English | Español | Português | Italiano | Français | Deutsch | Nederlands | August 15, 2018 | Issue #46 | |||
Oaxaca refuse d’être « gouvernée »La lutte passe de la question de la Ville à celles de l’eau et de la terrePar Nancy Davies
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Photos: D.R. 2007 Nancy Davies |
Près de 200 écoles restent sous le contrôle de la section 59 ; dans les autres, les sections en conflit travaillent dans les mêmes locaux, ce qui produit un stress non négligeable. La section 22 refuse d’accepter l’existence de la section 59 et, maintenant que la 59 a compris qu’elle a soutenu un gouverneur qui les ignore, la 22 va commencer ce délicat processus qui consiste à courtiser la 59 pour les faire revenir dans leur giron. Le pouvoir de 70 000 enseignants unis a été et serait écrasant.
La force du secrétaire général de la section 22, comme celui de son prédécesseur, Enrique Rueda Pacheco, est pour le moins bancale. Selon un professeur qui s’exprimait sur la situation, Rueda Pacheco était à la fois courtisé et menacé par le gouverneur. Sa famille était menacée de mort si Rueda n’acceptait pas les subsides du gouvernement, Rueda a quitté le Mexique — personne ne sait pour quel pays — et, selon ce professeur, une fois parti, le gouvernement a coupé l’argent qu’il lui avait promis.
Il est possible maintenant qu’Ezekial Rosales soit pris sous les mêmes menaces. Cela semble être la procédure standard de menacer d’assassiner les enfants des militants (comme nous le savons depuis la Dr Bertha Muñoz). Cependant, selon beaucoup d’autres, comme le conseiller de l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO) Marcelino Coache Verano, l’appel général de la section 22 et/ou de l’APPO n’a pas été rendu public ; si les enseignants étaient appelés à retourner dans les rues ou les sit-in, déclare Coache, ils répondraient tous, indépendamment de la situation dans laquelle s’est fourré leur secrétaire avec l’APPO.
Plusieurs autres syndicats sont, ont été ou sont sur le point de se mettre en grève. Les syndicats sont gouvernementaux, c’est-à-dire qu’ils travaillent pour l’État, reçoivent leurs salaires de l’État et sont malheureux. En plus des enseignants, les travailleurs de l’éducation de l’université, les travailleurs de la santé, même des policiers et des pompiers manifestent. Le 22 août, le quotidien Las Noticias titrait « Steuabjo bloque l’autoroute ». Il s’agit du personnel de la principale université du Oaxaca. Également en une, la police de Xoxocotlan protestait contre le renvoi de leur chef.
Durant les deux derniers mois, les chauffeurs de taxi ont bloqué des routes afin de protester contre l’incompétence et les agissements criminels du gouvernement qui distribue les licences de taxi contre des dessous de table — quelle surprise !—, et il y a maintenant des centaines de taxis sur les routes sans la moindre solution à l’horizon du scandale des licences. Les chauffeurs de bus ont bloqué des autoroutes avec leurs engins, se plaignant de leurs conditions de travail et de l’état lamentable de leurs bus, trop vieux, qui de temps à autre tombent des routes de montagne à cause de l’état croulant de ces mêmes routes.
Les citoyens sont descendus dans la rue. Pas l’APPO, mais les commerçants partisans du PRI. Une autre surprise ! Ils protestent contre l’intention du gouvernement de fermer de nouvelles rues autour du zocalo [place centrale] pour les repaver et les réparer afin de les transformer en rues piétonnes. Ceci a eu lieu après que les commerçants se sont plaints d’être au bord de la banqueroute pendant le sit-in des enseignants, alors que très peu de voitures circulaient dans le centre. Une fois encore, le peuple — seule l’appellation a changé — arrache les parcmètres (censés appartenir à des personnes privées) et, dans les rues où la reconstruction est en cours, ils ont enlevé les plots orange et bloqué les ouvriers.
La ville de Tlaxiaco manifeste contre le transfert de 33 personnes vers une autre prison le 8 août, à six heures de trajet de leurs familles, sans avoir prévenu à l’avance ni qu’il y ait eu discussion sur les violations des droits des prisonniers. Les manifestants sont aussi descendus dans la rue dans une ville dont l’accès aux décharges d’ordures est bloqué, une autre où un pont a été détruit par la pluie, et une autre dont les rues pavées ont « fondu ». Des communautés entières, comme San Pablo Huixtepec, déclarent qu’elles ont été abandonnées par le gouvernement ; des photos de bâtiments qui s’écroulent et d’écoles à demi construites, de routes en ruine et d’eaux noires qui s’écoulent hors de tout système d’évacuation sont publiées chaque jour. La pauvreté continue de grimper (104 communautés oaxaquéniennes vivent au niveau de pauvreté de l’Afrique) et, bien que des violations des droits humains aient lieu chaque jour, personne n’est inquiété. Le sauvage passage à tabac d’un électricien le 16 juillet a disparu dans le territoire officiel, plein de fumée et de miroirs, du « oui, on va jeter un coup d’œil ».
Pendant la semaine du 5 août, quatre visiteurs de Catalogne ont été arrêtés et maltraités avant d’être expulsés. Mais peut-être était-ce seulement la pluie qui a empêché les gens d’assister à la marche pour la mémoire ; beaucoup sont arrivés pour le rassemblement.
L’APPO en tant que corps organisé semble virtuellement invisible lorsqu’elle lutte pour trouver des moyens d’affronter le gouvernement. Certains prétendent que des disputes internes l’auraient affaiblie. Donc, avec un manque de gouvernance visible et continu au Oaxaca, on peut penser que l’APPO est tout et tout le monde. Ou bien cette ingouvernance a d’autres causes — peut-être est-ce dû au peuple qui ne veut pas se soumettre, peut-être à l’incompétence du gouverneur et de ses acolytes. La semaine dernière, URO s’est rendu aux États-Unis, où il a dû faire face à des manifestations dans plusieurs villes dont New York. Les manifestants ont jeté des tomates sur le restaurant où URO et d’autres gouverneurs devaient dîner. Les violations des droits humains au Oaxaca sont tellement connues que même en Finlande Oaxaca est perçu comme un exemple de la lutte pour la dignité humaine, selon un homme qui en revient tout juste ; l’information sur le Oaxaca a atteint un niveau mondial.
Pourtant, à l’intérieur du Mexique, la meilleure chose qu’on ait faite était un appel de la part du sous-procureur de la Commission des droits humains, Juan de Dios Castro Lozano, appel à la démission d’URO pour les violations des droits humains commises et pour le bien du peuple. Mais Castro, membre du Parti d’action nationale (PAN), s’est rétracté le lendemain en déclarant : « Je me suis laissé emporter par l’émotion et je n’aurais pas dû mentionner le gouverneur ni ses institutions, et ce, bien qu’il ait une idéologie contraire à celle de ce gouvernement [PAN] », selon un article en ligne de La Jornada. Quand Castro a publié son démenti, il a déclaré cependant qu’il était d’accord avec le verdict de la Commission nationale des droits humains : des excès ont été commis. Encore une autre surprise.
Et, en parlant de droits humains, l’avocat du Comité de libération de novembre a été ramassé par la police mercredi 22 août. Selon le comité, Alejandro Noyola était dans sa voiture avec sa femme quand la police de Santa Lucía del Camino l’a intercepté. Ils l’ont extirpé de sa voiture et l’ont traîné à la prison de Santa Lucía del Camino, prétendant une infraction routière. Il a été libéré plus tard. Noyola affirme qu’il est persécuté depuis le 19 juillet quand il a réclamé une protection judiciaire pour la vie de cinq avocats, dont lui-même, qui défendent des cas de droits humains.
L’année du soulèvement n’a pas encore pris fin.
Entre-temps, dans d’autres parties de l’État, les projets transnationaux continuent et une réunion a été appelée pour la « défense de la terre et de la souveraineté nationale et pour le droit à consultation des peuples indiens » (voir la convocation ci-dessous). La lutte de la base est passée aux populations indigènes, qui demandent un contrôle sur leurs terres et leur eau. Bien qu’il avait déjà été rapporté, il y a de cela un an, que les résidents des communautés indigènes s’étaient organisés, il y avait trop d’action en cours dans les grandes villes pour que les zones rurales reçoivent de l’attention. On nous a ensuite gratifié d’histoires de « dehors la racaille » dans beaucoup de villages ruraux. Désormais, les luttes pour les mineurs, les forêts, la terre et l’eau sont sur le devant de la scène.
C’est la séquence de mise au point sur les différents acteurs du mouvement : les enseignants de la section 22, puis l’APPO, ensuite la société civile et les organisations non-gouvernementales ; désormais les populations rurales et indigènes. Le mouvement populaire ne meurt pas. Il change de forme et de lieu. La demande de justice continue.
Ces dernières années, avec l’imposition de plusieurs mégaprojets comme le plan Puebla-Panama, les dégâts et la violence envers les populations rurales et indigènes se sont intensifiés. Les grands programmes d’investissement dans les projets énergétiques promus par le gouvernement sont orientés vers le bénéfice des corporations transnationales. Ces dernières ne prennent pas en compte les droits des communautés affectées ni les coûts environnementaux et économiques, que la mise en œuvre de ces projets entraîne. De plus, le gouvernement mexicain violent les accords et traités internationaux, tout comme la législation nationale. Depuis l’exécution de ces programmes, les communautés indigènes concernées n’ont été ni informées ni consultées.
Avec ces mégaprojets, le gouvernement fédéral favorise la privatisation de l’industrie de l’énergie, qui est un patrimoine national, pour qu’elle bénéficie à des compagnies majoritairement états-uniennes et espagnoles. La Commission électrique fédérale, bien qu’elle soit un service public, agit comme si elle était la propriété d’un groupe de politiciens et de technocrates, offrant un service médiocre à un prix élevé, ce qui signifie la dislocation de populations entières comme récemment les communautés indigènes de la zone El Cajón, au Nayarit.
En ce moment même, la deuxième phase d’un gigantesque parc éo-électique débute, sans aucune consultation et avec des combines ouvertes en ce qui concerne les terres communales, dans l’isthme de Tehuantepec. Ce mégaprojet a déjà signé la mort de plus de 1000 hectares, propriété de communautés et ejidos [terres communales], au bénéfice de la transnationale Iberdrola. La mise en route de 98 générateurs à air dans la zone de La Venta a déjà causé une grande mortalité parmi les oiseaux, tout comme le drainage de la lagune de Tolistoque puisque les études sur l’impact environnemental ont été approuvées en dépit des grandes irrégularités qu’elles présentent. Néanmoins, à travers tout le pays, des communautés entières ont fait entendre leurs voix, tout comme des syndicats, des groupes de citoyens et des écologistes, dans le but de stopper ces politiques qui affectent la population. Plus particulièrement, dans le sud-ouest de notre pays, un mouvement de résistance civile contre les prix élevés grandit. Les campesinos [« paysans »] du Guerrero ont réussi jusqu’à maintenant à empêcher la construction du barrage de La Parota, devenant par là même un exemple national de résistance. Et dans l’isthme de Tehuantepec, une importante lutte existe contre un mégaprojet éolien. Néanmoins, beaucoup de ces efforts sont menés dans l’isolement et avec des résultats minimes. Les luttes menées par les gens et leurs organisations sont inconnues de la majorité des Mexicains et cela empêche une plus grande solidarité et le soutien nécessaire pour affronter les intérêts des politiciens et des corporations transnationales.
Pour toutes ces raisons, nous, communautés, ejidos, organisations rurales ou indigènes, groupes sociaux et peuples cités plus bas, signons cet appel pour participer à la Rencontre mexicaine pour la défense de la terre et de la souveraineté nationale et pour le droit à la consultation des peuples indiens, qui aura lieu les 22 et 23 septembre 2007 dans la communauté zapotèque de La Ventosa, commune de Juchítan, État du Oaxaca. Lors de cette réunion, nous discuterons, en ateliers comme en réunions plénières, des luttes de résistance qui ont lieu en divers endroits du pays ; nous essaierons de coordonner des actions pour s’opposer aux grandes corporations transnationales et aux politiques de privatisations de l’État mexicain ; et nous dénoncerons les graves dégâts sociaux et environnementaux qu’ils ont causés.
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