La guerre de basse intensite au Chiapas
Montée de la menace paramilitaire
Par Alejandro Reyes
Radio Zapatista
12 mars 2007
Guerre de basse intensité au Chiapas
RÉSUMÉ : La situation dans l’État mexicain du Chiapas, très tendue, empire à chaque jour qui passe. Nous assistons en effet à une nouvelle stratégie reposant sur l’utilisation de forces paramilitaires en coordination avec le gouvernement fédéral, le gouvernement chiapanèque, la police et l’armée mexicaine pour spolier les zapatistes de leurs terres et provoquer un conflit qui justifie l’envoi des troupes régulières.
Depuis le début de l’année 2007, les autorités des communautés zapatistes en résistance n’ont cessé de dénoncer les agressions et les menaces toujours plus fortes qu’elles subissent de la part de l’OPDDIC (“Organisation pour la défense des droits des indigènes et des paysans”), en réalité une organisation paramilitaire. Invasion de terres, menaces d’interventions violentes, tirs de semonce, destructions de la milpa (les champs généralement plantés de maïs et de haricots), vol de maïs, tabassages, arrestations et enlèvements appartiennent à l’arsenal de terreur quotidienne qui s’est abattue sur des centaines de familles indigènes du Chiapas. Le plus grave, cependant, selon les autorités autonomes zapatistes, c’est que tout cela se fait avec la complicité et le soutien actif des autorités mexicaines, qu’il s’agisse du gouvernement fédéral, du gouvernement chiapanèque, de la police ou de l’armée fédérale.
Alarmés par une telle situation – à laquelle très peu de médias ont prêté attention –, une brigade internationale d’observation a été créée début mars pour enquêter sur les plaintes des zapatistes et s’en faire publiquement l’écho au Mexique et dans le reste du monde. Des membres de cette brigade ad hoc venus d’Allemagne, d’Espagne, de France, de Grèce, du Mexique et des États-Unis se sont ainsi rendus dans différentes communes et communautés pour s’informer auprès des conseils de bon gouvernement zapatistes, des conseils municipaux et des habitants. Sur place, ils ont pu constater que la situation était encore plus préoccupante que ce que l’on croyait.
“Les champs étaient cultivés là-bas et, en octobre 2006, des membres de l’OPDDIC sont arrivés en armes et ont tout emporté”, raconte un habitant de la région autonome La Montaña. “Ils n’ont pas laissé un seul épis et ont saccagé trois hectares des compañeros.”
“Le plus grave, c’est quand ils ont coupé en trois occasions successives le câble du transbordeur et qu’ils ont démoli le canot de notre communauté, nous laissant complètement isolés”, dit un autre, qui vit dans le village de San Miguel, auquel on ne peut accéder qu’en traversant la rivière Agua Azul. San Miguel est situé tout près de la célèbre station balnéaire d’Agua Azul, source de revenus pour les habitants de Progreso et de Joyetá, deux communes de l’OPDDIC. On nous explique : “Ils disent aux touristes que nous sommes des bandits, alors que ce sont ceux de l’OPDDIC qui ont parfois attaqué des étrangers. Et ils ont chopé un compañero pour lui voler son argent.”
Le 22 et le 23 février dernier, trois paysans de la communauté Olga Isabel ont été enlevés par l’OPDDIC et menacés d’être brûlés vifs en les arrosant d’essence. Ce n’est qu’à la pression exercée par les zapatistes et par les organisations de défense des doits humains fondamentaux qu’ils doivent d’avoir été libérés il y a quelques jours.
Les représentants du Conseil de bon gouvernement de Morelia rapportent que l’OPDDIC leur a écrit pour les prévenir qu’elle suspendait tout dialogue avec les zapatistes et les menacer de les expulser de leurs terres par la force.
Pourquoi ces attaques ? Le motif en est, au départ, des disputes concernant les terres. L’OPDDIC existe depuis 1998 et a considérablement augmenté sa taille et ses activités sous le mandat présidentiel de Vicente Fox. Mais la recrudescence actuelle de ses attaques répond sans le moindre doute à une nouvelle stratégie du gouvernement visant à déposséder les zapatistes des terres qu’ils travaillent, d’affaiblir le mouvement et de laisser le champ libre aux grandes entreprises pour exploiter les ressources naturelles de cette région riche en bois précieux, en eau et en minerais. Entre-temps, des milliers d’indigènes vivent sous la menace et dans la terreur quotidienne.
Le Chiapas est l’État le plus pauvre du Mexique et celui où l’écart entre riches et pauvres est le plus grand. Avant 1994, l’immense majorité des paysans indigènes n’avaient pas de terres, presque toutes en possession de grands propriétaires terriens. Le soulèvement zapatiste a permis à des milliers d’Indiens chols, tojolabals, tzeltals et tzotzils de reprendre des terres dont ils avaient été spoliés durant des siècles. Le principal objectif de l’OPDDIC est d’arracher aux indigènes les terres pour lesquelles ils se sont tant battus.
Les autorités locales de la commune Vicente Guerrero expliquent que dans la communauté de Nance, la moitié de la population est zapatiste, tandis que l’autre est affiliée à l’OPDDIC. Depuis 2002, les membres de cette organisation ont tout tenté pour expulser les zapatistes et s’emparer de toutes les terres. Récemment, ils ont sollicité auprès de l’antenne chiapanèque du département de la réforme agraire d’enregistrer légalement, à leurs noms, l’ensemble du territoire de la commune, y compris celui des zapatistes, pour en faire un ejido.
L’une des principales victoires de la révolution mexicaine de 1910 résidait justement dans la création des ejidos dans le but de protéger les paysans de la spéculation agraire. Les ejidos sont en effet un ensemble de terres gérées par la communauté et ne pouvant être vendues qui furent concédées par la Réforme agraire aux communautés indigènes et paysannes pour en finir avec le problème endémique du latifundisme. Cependant, en 1992, le gouvernement de Carlos Salinas de Gortari modifia la Constitution mexicaine, notamment en matière de propriété des terrains cultivables, de sorte que les ejidos* peuvent maintenant être vendus. La Constitution qui avait servi à l’origine à garantir une juste répartition de la richesse sert donc aujourd’hui à protéger les intérêts des grandes entreprises.
Quand la terre est convertie en ejido, les ejidatarios, les membres de la communauté de cultivateurs ainsi créée peuvent l’enregistrer au “Procede”, le programme gouvernemental permettant la privatisation de la terre des ejidos. Une fois enregistrées comme telles, ces terres peuvent alors être vendues aux grandes compagnies d’exploitation forestière, hydroélectriques ou minières. Le problème réside dans le fait qu’il faut que tous les habitants du lieu soient d’accord pour pouvoir déclarer les terres concernées comme ejido. Dans la communauté de Nance, par exemple, 26 familles y sont encore opposées.
C’est ce qui explique entre autres l’agressivité de la politique de l’OPDDIC : acculer les habitants à rejoindre cette organisation et déclarer comme “envahisseurs” ceux qui s’y refusent, en les menaçant de les expulser par la force. Les membres de l’OPDDIC bénéficient du soutien du gouvernement et reçoivent même des armes. Selon les représentants de San Miguel Agua Azul, en effet, la police du Chiapas leur vend des grenades et des munitions. Ils reçoivent également des aides financières et bénéficient des programmes du gouvernement, ce qui constitue, dans une telle situation de pauvreté et de peur, une raison supplémentaire pour les paysans zapatistes de cesser de résister et de rejoindre l’OPDDIC.
Le ministère de la réforme agraire (SRA), lui aussi, est complice de l’OPDDIC. Récemment, le CAPISE, Centre d’analyse politique et de recherches sociales et économiques, a dénoncé le fait que Beltrán Ruiz Chacón, l’avocat représentant l’OPDDIC devant le Tribunal Unitario Agrario dans le procès que celle-ci a intenté pour expulser les zapatistes de la communauté de Nance, est en fait délégué du syndicat des travailleurs du ministère concerné (le SRA). Cette révélation a donc obligé le SRA à admettre que la procédure entamée était illégale, ce qui n’a pas empêché le ministère de déclarer qu’il continuerait à appuyer les procès intentés par l’OPDDIC.
Un autre facteur intervient cependant, encore plus préoccupant, si possible : une éventuelle intervention de l’armée. Les zapatistes ont en effet déclaré en maintes occasions qu’ils défendraient leurs terres coûte que coûte, chose parfaitement compréhensible après tout le sang qu’ils ont dû verser en 1994 et au cours des années qui ont suivi pour reprendre et conserver ces terres. En outre, durant toutes ces années, ils y ont construit des systèmes autonomes d’éducation et de santé, inventé de nouvelles formes de démocratie, éliminé l’alcoolisme et la drogue, développé des réseaux de commerce équitable et, surtout, enseigné à leurs enfants, filles et garçons, à vivre dignement. La sérénité qu’ils ont su conserver, notamment face aux provocations de l’OPDDIC, est en tout point admirable. Cependant, on ne peut faire autrement que de se demander jusqu’à quand ils vont pouvoir continuer à résister pacifiquement à une telle violence, aux menaces et aux humiliations. Tout indique en effet qu’avec de telles méthodes l’OPDDIC fait tout pour provoquer un affrontement qui justifierait l’intervention de l’armée mexicaine. Ce qui, étant donné le discours de “main dure” de l’actuel président Felipe Calderón semblerait tout naturel (et ne pourrait constituer une issue plus tragique et désastreuse).
Devant une telle situation, c’est à nous, citoyens conscients, dans le monde entier, de faire tout ce qui est possible pour stopper cette guerre “de faible intensité” et pour défendre tout ce que nos frères indigènes ont construit et déjà légué au monde au cours de ces treize années de résistance.
Alejandro Reyes
Radio zapatiste
San Francisco, Californie, États-Unis.
Radio Zapatista
Traduit par Ángel Caído – CSPCL
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