Un film indépendant met en lumière les sombres canyons de l’immigration
Un documentaire révèle la noirceur des nantis de San Diego et soulève les problèmes d’éthique liés à la dénonciation des injustices
Par Bill Conroy
Via The Narcosphere
19 février 2007
L’hypocrisie de la politique états-unienne d’immigration est soulignée par la réalité peu connue des migrants Mexicains dans la ville-frontière de San Diego.
2000 (estimation) Mexicains sans-papiers vivent dans des bicoques exiguës dans les canyons rocheux, broussailleux et infestés de serpent à sonnette qui jouxtent les limites de la ville de San Diego qui étale des villas de plusieurs millions de dollars.
Les propriétaires de ces villas emploient des travailleurs sans-papiers avec des salaires inférieurs aux minima pour s’occuper de leurs jardins et faire les travaux d’entretien de leurs domaines. Les travailleurs mexicains font chaque jour à pied le trajet depuis leurs humbles baraques faites de bâches en plastique et de planches de récupération jusqu’aux vastes domaines qui dominent les canyons. Leur seul but est de faire un peu d’argent pour l’envoyer à leurs familles au Mexique depuis que leur possibilité de vivre de leurs terres au Sud de la frontière a été détruite par la chute des prix suite au libre-échange.
Mais même au milieu de l’affreuse pauvreté qui marque leurs vies dans les canyons accidentés, les travailleurs mexicains gardent un sens de la communauté et ils ont même construit une petite chapelle dans un coin des canyons où ils se réunissent pour la messe du dimanche.
Cependant, le développement de l’immobilier poussant de plus en plus vers les canyons de San Diego, les travailleurs mexicains sont déplacés (chassés par les mêmes personnes qui les emploient) car leurs bidonvilles sont considérés inesthétiques et défigurent la vue des habitants des villas.
Ces faits sont révélés par le réalisateur indépendant John Carlos Frey, de Los Angeles, lui-même fils d’immigrés mexicains et natif de San Diego. Frey a décidé de montrer cette tragédie humaine dans un film pour exposer la merde dans laquelle se trouvent ces gens dans l’espoir qu’il pourrait améliorer la vie de ces travailleurs. Peut-être, espère-t-il, ce film ouvrira les yeux des habitants des villas sur le prix payé par les travailleurs mexicains pour prendre soin des jardins des riches.
En novembre dernier, Frey a sorti son documentaire titré « The Invisible Mexicans of Deer Canyon » (Les Mexicains invisibles de Deer Canyon). La jaquette du DVD fait cette description :
M. Frey a passé une année avec les immigrés mexicains qui vivent dans des baraques clandestines et dans des bidonvilles à un coup d’œil de villas de plusieurs millions de dollars. Plus de deux cents personnes vivent dehors dans les canyons isolés de San Diego, Californie, invisibles pour la population locale. Leurs baraques n’ont ni électricité ni eau courante ni sanitaire. Les migrants vivent à quelques mètres des quelques-uns des terrains immobiliers les plus chers d’Amérique et travaillent dans le jardinage, la construction, l’agriculture et le tourisme.
Le film vaut vraiment le coup d’être vu parce qu’il dit la vérité, ce qui est rare dans le contexte actuel du débat survolté sur l’immigration dans ce pays.
Mais je dois être honnête à propos d’une question qui me restait en suspend après avoir été éclairé par le travail de Frey. Je lui donc ai demandé :
Comment vous êtes-vous mis d’accord avec ces gens, dans le sens qu’une fois qu’ils se seraient montrés dans le film, ils pourraient être pris pour cible par les autorités et les fachos pour se venger contre eux de la gêne qu’ils causent à la structure du pouvoir?
Ont-ils compris ces conséquences potentielles ?
Il est clair que la communauté dans la région doit savoir qui ils sont puisqu’ils les emploient et envoient des gens d’église dans le canyon pour prêcher les soit-disant évangiles, mais une fois qu’ils se sont montrés dans un film aussi puissant que celui-ci, ces immigrés deviennent par essence des figures publiques qui peuvent bien être prises pour cible par des gens sans scrupules pour des raisons politiques.
Ceci est un dilemme auquel les réalisateurs font particulièrement face puisqu’ils ne peuvent pas vraiment exposer ces questions sans insérer cette prise d’injustice dans notre système.
Je pense qu’il est important de savoir comment vous avez géré cela ou comment vous voyez cela car c’est une question qui est destinée à rester en suspend dans la tête de certaines personnes qui verrait le film.
La réponse de Frey :
Votre question … est quelque chose auquel j’ai pensé profondément lors de la préparation du film. Je n’ai pas utilisé les véritables noms de qui que ce soit, tout comme « Deer Canyon » n’est pas le vrai nom de l’endroit. Ceci étant dit, le scénario dont vous parlez est arrivé exactement comme vous le décrivez, ceci à ma grande déception.
Le film a été projeté à plusieurs endroits dans la région de San Diego juste après qu’il soit terminé en novembre 2006. Il y a eu des protestations contre le film et son contenu. Des groupes anti-immigrés dont une radio de droite et les Minutemen (groupe de surveillance de la frontière et d’auto-défense contre les « clandestins ») ont mis en scène un « camping avec les clandestins » pour les forcer à quitter le canyon. Comme vous pouvez l’imaginer, la rhétorique était de nature KKK (Ku Klux Klan). On aurait dit qu’un lynchage allait avoir lieu.
Ces groupes accusaient les migrants de tenir un bordel dans le camp. Ils les ont représentés comme des dealers de drogue, des violeurs et même des pédophiles. La presse a tout avalé car c’était bon pour les ventes. En gros, ils n’allaient pas laisser ce film montrer une autre version de l’histoire et la presse était contente de participer à cela.
Comme conséquence de la grande couverture presse et du dénigrement des immigrés, les migrants ont été une fois de plus expulsés du canyon depuis la fin du tournage. La chapelle montrée dans le film a été démolie le 8 janvier 2007. On m’a accordé un accès exclusif à la dernière messe dominicale et j’ai filmé toute la scène où les migrants eux-mêmes, avec des masses et des scies, ont détruit ce qui était leur sanctuaire depuis 20 ans.
Je suis en train de travailler sur la suite du film qui montrerait plus particulièrement les événements que je viens de décrire et qui culminent avec la démolition de la chapelle. J’étais révolté. J’ai essayé d’amener la presse à couvrir le fait qu’un lieu de culte avait été fermé par des groupes haineux, mais personne n’a voulu écouter. La démolition de la chapelle installée depuis longtemps n’a eu AUCUNE couverture et c’est l’une des raisons pour lesquelles je continue avec la suite.
Je ne me sens pas responsable de ce qui s’est passé. Il y a eu un moment où je me disais que l’expulsion des migrants du canyon et la démolition de leur chapelle étaient de ma faute mais ce n’est pas moi qui ai perpétré cette violence. Ce dont je suis responsable, c’est d’avoir aidé à révéler de profonds sentiments de haine et de xénophobie. Je pense que cela devait arriver si la situation devait jamais se résoudre d’elle-même. Les sentiments et les secrets doivent être révélés afin qu’on puisse les gérer. Comme conséquence, la section de San Diego des Minutemen est vue comme un groupe haineux. Il pourrait même y avoir des poursuites contre eux. San Diego est en train d’avoir la réputation d’une ville raciste – quelque chose dont ils ne veulent certainement pas et ils travaillent à résoudre certaines des questions qu’ils avaient laissées de côté depuis des années.
J’ai perdu de nombreuses nuits de sommeil à cause de la question que vous me posez. Ma seule résolution et réponse, c’est de continuer à apposer la lumière de la vérité car je crois fermement que c’est la seule chose qui, finalement, révélera les mensonges pour ce qu’ils sont. Peut-être ai-je tort en croyant cela mais je continuerai à travailler sur ce prochain film et à ne faire que cela : exposer la haine et la xénophobie pour ce qu’elles sont : l’ignorance et la peur.
Est-ce que vous regrettez d’avoir posé la question?
J’ai répondu à Frey comme suit :
Je ne regrette pas d’avoir posé la question. J’ai eu à me poser des questions similaires dans des articles que j’ai écrit au long des années.
Dans les années 80, j’ai couvert l’histoire d’un incendie volontaire qui faillit coûter la vie à une douzaine de personnes à Milwaukee. J’ai enquêté et suivi l’incendiaire, un marchand de sommeil qui avait mis le feu au bâtiment à cause d’une dispute avec un autre propriétaire. Il essayait simplement de se venger.
Suite à la publication de l’article qui, en gros, désignait le type, le marchand de sommeil a pété les plombs en se sachant démasqué. Peu de temps après, il a assassiné sa femme, s’est dirigé vers une rivière qui coule le long de sa propriété et s’est tiré une balle dans la cervelle. Je suis toujours en train de régler ça près de 20 ans après.
Nous devons tous être honnête avec nous-mêmes si nous espérons jamais dire la vérité dans les médias. Cette honnêteté comprend la reconnaissance du fait que, écrivains ou réalisateurs, nous devenons une partie des histoires que nous couvrons et nous partageons les conséquences que ces histoires ont sur nos communautés, sur d’autres personnes.
Dire la vérité a toujours des conséquences. C’est un fardeau qui ne peut jamais être liquidé par un chèque.
Pour plus d’information sur le film de Frey et ses futures projections, consultez le site web suivant.
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