<i>"The Name of Our Country is América" - Simon Bolivar</i> The Narco News Bulletin<br><small>Reporting on the War on Drugs and Democracy from Latin America
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Narco News Issue #44

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Entretien accordé par Jean-Bertrand Aristide

“ L’élite fera tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer le contrôle d’un président et d’un parlement fantoches. ”


Par Peter Hallward
Haiti Analysis

16 février 2007

(Introduction) Au milieu des années 1980, Jean-Bertrand Aristide était un jeune curé travaillant dans un quartier pauvre et conflictuel de Port-au-Prince. Il devint bientôt le porte-parole d’un mouvement populaire grandissant contre la série de régimes militaires qui ont dirigé Haïti après l’effondrement de la dictature des Duvalier en 1986. En 1990, il gagna les premières élections présidentielles démocratiques du pays avec 67% des voix. Perçu comme une menace par l’élite minoritaire dirigeante d’Haïti, il a été renversé par un coup militaire en septembre 1991. Les conflits avec cette même élite, appuyée par ses puissants alliés aux Etats-Unis et en France, ont façonné toute la trajectoire politique d’Aristide: après une autre victoire écrasante aux élections de 2000, la résistance de l’élite a finalement culminé dans un deuxième coup contre lui dans la nuit du 28 février 2004. Aristide vit en exil en Afrique du Sud depuis deux ans.

Depuis l’expulsion d’Aristide d’Haïti il y a trois ans, ses partisans ont souffert la plus brutale période d’oppression violente dans l’histoire récente du pays. D’après les meilleures estimations disponibles, 5000 d’entre eux ont sans doute péri aux mains du régime soutenu par les Etats-Unis et l’ONU et qui a remplacé le gouvernement constitutionnel en mars 2004. Bien que la situation reste tendue et que les troupes des Nations Unis occupent toujours le pays, le pire de cette violence a pris fin en février 2006 lorsque, à la suite d’une autre campagne extraordinaire, l’ancien premier ministre d’Aristide et allié de René Préval (qui lui a succédé comme président en 1996) a été lui-même réélu au cours d’une autre victoire écrasante. Des appels à un retour immédiat et inconditionnel d’Aristide continuent à polariser la politique haïtienne. Bon nombre de commentateurs ainsi que des membres importants du gouvernement actuel reconnaissent que, si la constitution permettait à Aristide de se présenter à nouveau pour une réélection, il gagnerait facilement.

***

Peter Hallward: Haïti est un pays profondément divisé, et vous avez toujours été un personnage profondément conflictuel. Pour la majorité des nombreux observateurs sympathisants des années 90, il était facile de comprendre cette division plus ou moins en fonction des critères de classe: vous étiez considéré comme un démon par les riches, et idolâtré par les pauvres. Mais, ensuite, les choses ont commencé à être plus compliquées. A la fin de la décennie, beaucoup de ceux qui vous appuyaient à l’origine étaient devenus plus sceptiques, et votre deuxième gouvernement (2001-04) a été accablé par des accusations de violence et de corruption. Tout en restant le politicien le plus populaire et le plus digne de confiance pour l’électorat Haïtien, il semblerait que vous ayez perdu beaucoup du support dont vous jouissiez auprès des ouvriers, activistes, intellectuels etc., tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. La plupart de mes questions se réfèrent à ces accusations, en particulier l’affirmation qu’avec le temps vous faites des compromis ou abandonnez bon nombre de vos idées.

Pour commencer, j’aimerais vous poser des questions sur le processus qui vous a porté au pouvoir la première fois en 1990. La fin des années 80a été une période très réactionnaire dans la politique mondiale, spécialement en Amérique Latine. Comment expliquez-vous la force considérable et l’endurance du mouvement populaire contre la dictature en Haïti, mouvement qui allait être connu comme lavalas (nom créole qui signifie « inondation » ou « avalanche » et aussi « foule de gens » ou « tous ensemble ») ? Comment expliquez-vous donc le fait que, en dépit des circonstances et certainement à l’encontre des désirs des Etats-Unis, des militaires et du pouvoir en place en Haïti, vous ayez pu gagner les élections de 1990?

Jean-Bertrand Aristide: Une grande partie du travail avait été déjà faite par des personnes qui étaient là avant moi, des personnes comme Père Antoine Adrien et ses collègues, et Père Jean-Marie Vincent, qui a été assassiné en 1994. Ils avaient développé une vision théologique progressiste qui reflétait les espoirs et attentes du peuple haïtien. Déjà, en 1979, je travaillais dans le contexte de la libération théologique, et il y a une phrase en particulier qui peut aider à résumer ma compréhension de la situation à l’époque. La Conferencia de Puebla a eu lieu à Mexico, en 1979, et plusieurs théologiens de la libération ont été menacés et empêchés d’y participer. Le slogan auquel je pense dit quelque chose comme ça : si el pueblo no va a Puebla, Puebla se quedara sin pueblo. Si le peuple ne peut pas aller à Puebla, Puebla sera coupé du peuple.

En d’autres mots, le peuple est pour moi au cœur même de notre combat. Il ne s’agit pas de lutter pour le peuple, au nom du peuple, loin du peuple, il s’agit de lutter avec et au milieu du peuple.

Ceci se rattache à un second principe: la théologie de libération peut-elle, elle-même, être une étape dans un plus large processus. L’étape où nous devons d’abord parler au nom des pauvres et des opprimés prend fin lorsqu’ils commencent à parler de leurs propres voix et avec leurs propres mots. Le peuple commence à assumer sa propre place sur la scène publique. La théologie de Libération laisse la place alors à la libération de la théologie. Tout le processus nous emmène loin du paternalisme, de toute notion d’un “sauveur” qui pourrait venir guider le peuple et résoudre ses problèmes.

L’émergence du peuple comme une force publique organisée avait déjà commencé en Haïti dans les années 80, et en 1986 cette force était assez forte pour chasser la dictature des Duvalier du pouvoir. C’était un mouvement de la base et non un projet pyramidal dirigé par un leader unique ou une seule organisation. Il n’était pas non plus exclusivement politique. Il s’est surtout développé au travers de la formation, dans tout le pays, de nombreuses petites communautés chrétiennes ou ti legliz. Ce sont ces dernières qui jouèrent un rôle historique déterminant. Lorsque j’ai été élu président, il ne s’agissait pas de l’élection d’un politicien ou d’un parti politique conventionnel, c’était l’expression de la mobilisation du peuple entier. Pour la première fois, le palais national était devenu un lieu non seulement pour les politiciens professionnels mais aussi pour le peuple. Accueillir des gens venant des secteurs les plus pauvres de la société haïtienne au cœur du centre du pouvoir traditionnel, a été un geste profondément transformateur.

PH: Vous avez hésité un moment avant de consentir à vous présenter comme candidat à ces élections de 1990. Vous étiez parfaitement conscient, qu’étant donné l’équilibre des forces en présence, participer aux élections aurait pu diluer ou diviser le mouvement. Avec le recul maintenant, pensez-vous toujours que c’était la chose à faire ? Il y avait-il une alternative viable à celle de la voie parlementaire ?

JBA: J’ai tendance à penser l’histoire comme un processus de cristallisation de différents types de variables. Certaines variables sont connues, d’autres non. Les variables que nous connaissions et comprenions à cette époque étaient assez claires. Nous avions une idée de quoi nous étions capables et nous savions aussi que ceux qui cherchaient à maintenir le statut quo avaient une pléiade de moyens à leur disposition. Ils avaient toutes sortes de stratégies et de mécanismes – militaires, économiques, politiques…- pour désorganiser tout mouvement qui s’opposerait à leur mainmise sur le pouvoir. Mais nous ne pouvions pas savoir comment ils s’en serviraient exactement. Ils ne pouvaient pas le savoir eux-mêmes. Ils prêtaient très attention à la forme de lutter du peuple afin de concevoir la manière de s’organiser, la manière de relever efficacement le défi. C’est ce que j’entends par variables inconnues : le mouvement populaire était en train d’être inventé et développé, sous pression, sur-le-champ, et il n’y avait pas moyen de savoir à l’avance quelle contre-mesure il provoquerait.

Maintenant, étant donné l’équilibre de ces deux types de variables, je n’ai pas de regret. Je ne regrette rien. En 1990, on m’a demandé au sein du mouvement d’accepter la croix qui m’incombait. C’est en ces termes que le Père Adrien l’a dit et c’est ainsi que je l’ai compris : je devais accepter le fardeau de cette croix. « Vous êtes sur la route du Calvaire », a-t-il dit et je savais qu’il avait raison. D’abord quand j’ai refusé, Monseigneur Willy Romélus en qui j’avais et ai encore confiance en tant qu’aîné et conseiller, a affirmé que je n’avais pas le choix. « Votre vie ne vous appartient plus » a-t-il dit. « Vous l’avez donnée en sacrifice au peuple. Et maintenant que se présente concrètement à vous une obligation, maintenant que vous êtes face à cet appel particulier de suivre Jésus et de porter votre croix, réfléchissez bien avant de tourner le dos » Cela alors je le savais et le savais fort bien à cette époque. C’était une sorte de chemin de Croix. Et dès que j’ai pris ma décision, j’ai accepté ce chemin pour ce qu’il était, sans illusions, sans m’y soustraire. Nous savions parfaitement bien que nous ne pourrions pas tout changer, que nous ne pourrions pas redresser toutes les injustices, que nous allions devoir travailler sous de dures contraintes etc…

Si j’avais dit non, je ne me présenterai pas. Comment aurait réagi le peuple ? J’entends encore l’écho de certaines voix demandant : « maintenant on va voir si vous avez le courage de prendre cette décision, on va voir si vous n’êtes pas trop lâche pour accepter cette tâche. Vous qui avez prêché de si beaux sermons, qu’allez-vous faire maintenant ? Vous allez nous abandonner ou vous allez assumer la responsabilité afin que tous ensemble nous avancions ? J’y ai pensé. Quel était le meilleur chemin de mettre en pratique le message des Gospels ? Qu’est ce que je devais faire ? Je me rappelle comment j’ai répondu à cette question lorsque, quelques jours avant les élections de décembre 1990, je suis allé commémorer les victimes du massacre de la ruelle de Vaillant, où une vingtaine de personnes ont été tués par les Macoutes le jour des élections avortées de novembre 1987. Un étudiant m’a demandé : « Père, pensez-vous que vous pourrez changer seul cette situation tellement corrompue et injuste ? » Et j’ai dit en réponse : « pour qu’il pleuve, il faut une ou de plusieurs gouttes de pluie ? Pour faire une inondation, il faut un filet d’eau ou une rivière torrentielle ? Et je l’ai remercié de m’avoir donné l’occasion de présenter notre mission collective sous la forme de cette métaphore : ce n’est pas seul comme des gouttes d’eau isolées que vous et moi allons changer cette situation mais ensemble, comme une inondation ou un torrent, lavalassement que nous allons la changer, l’assainir, sans illusions que ce sera facile ou rapide.

Alors y avait-il d’autres alternatives ? Je ne sais pas. Ce dont je suis sûr, c’est qu’il y avait une opportunité historique et que nous avons donné une réponse historique. Nous avons donné une réponse qui a transformé la situation. Nous avons fait un pas dans la bonne direction. Naturellement, ce faisant, nous avons provoqué une réaction. Nos opposants ont riposté par un coup d’état. D’abord la tentative de coup d’état de Roger Lafontant en janvier 1991 et lorsqu’il a échoué, le coup d’état de septembre 1991. Nos adversaires auraient toujours des moyens démesurément puissants pour empêcher le mouvement populaire et aucune décision ou action n’aurait pu changer cela. L’important, c’est que nous avons fait un pas en avant, un pas dans la bonne direction, suivi par d’autres pas. Le processus qui a démarré alors est encore en marche et je suis convaincu qu’il ne fera que se renforcer et qu’il prévaudra à la fin.

PH: Le coup de septembre 1991 a eu lieu malgré le fait que les politiques que vous appliquiez une fois au pouvoir étaient relativement modérées et prudentes. Le coup était-il donc inévitable? Est-ce que la seule présence de quelqu’un comme vous au palais présidentiel était inacceptable pour l’élite Haïtienne? Dans ce cas, était-il possible de faire plus pour anticiper et essayer de résister aux répercussions brutales?

JBA: Ce qui arriva en septembre 1991 arriva aussi en février 2004, et pourrait facilement arriver encore, aussi longtemps que l’oligarchie qui contrôle les moyens de répression, les utilise pour préserver une version creuse de la démocratie. Leur obsession est de maintenir une situation que l’on pourrait appeler «démocratique», mais qui au fond ne consiste qu’en une démocratie superficielle et importée, imposée et contrôlée d’en haut. Ils ont pu garder les choses ainsi pendant longtemps. Haïti est indépendant depuis 200 ans, mais nous vivons maintenant dans un pays où près d’un pourcent de la population contrôle plus de la moitié de la richesse. Pour l’élite, il s’agit de nous contre eux, de trouver un moyen de préserver les inégalités massives qui affectent chaque facette de la société haïtienne. Nous sommes soumis à une sorte d’apartheid. Même depuis 1804, l’élite a tout fait ce qui était en son pouvoir pour garder les masses en marge, de l’autre côté des murs qui protègent leurs privilèges. C’est sur quoi nous sommes contre. C’est sur quoi tout projet vraiment démocratique est contre. L’élite fera tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer le contrôle d’un président et d’un parlement fantoches. Elle fera tout ce qui est nécessaire pour protéger le système d’exploitation dont dépend son pouvoir. Votre question doit être posée en considérant ce contexte historique, cette continuité profonde et considérable.

PH: Tout à fait – mais dans ce cas, que faut-il faire pour combattre le pouvoir de cette élite ? Si au final elle est prête à utiliser la violence pour contrer toute vraie menace à son hégémonie, quel est le meilleur moyen pour surmonter cette violence ? Malgré sa force, le mouvement populaire qui vous a porté à la présidence n’a pas pu vous maintenir au pouvoir, face à la violence qu’il provoquait. On vous compare parfois à Toussaint L’Ouverture, qui a eu des victoires extraordinaires sous des contraintes extraordinaires – mais Toussaint est aussi souvent critiqué pour n’avoir pas pu aller plus loin. C’est Dessalines qui a mené la dernière bataille pour l’indépendance. Que répondez-vous à ceux qui disent (comme Patrick Elie, par exemple or Ben Dupuy) que vous étiez trop modéré, que vous avez agi comme Toussaint dans une situation qui exigeait un Dessalines? Que dites-vous à ceux qui affirment que vous avez fait trop confiance aux Etats-Unis et à ses alliés domestiques?

JBA: Bon [rires]. « Trop de confiance aux Etats- Unis », cela me fait sourire. Toussaint L’Ouverture, en tant qu’homme, avait ses limites. Mais, il a fait tout ce qui était possible, et en réalité, il n’a pas échoué. Il a été capturé, emprisonné et tué; mais son exemple et son esprit nous guident toujours. Aujourd’hui, la lutte du peuple haïtien est le prolongement de cette campagne pour la dignité et la liberté. Ces deux dernières années, de 2004 à 2006, les haïtiens ont continué à défendre leur dignité et ont refusé de capituler. Le 6 juillet 2005, Cité Soleil a été attaqué et bombardé, mais ceci, et les nombreuses autres attaques similaires, n’ont pas découragé le peuple dans la lutte pour faire entendre sa voix. Ils ont dénoncé l’injustice. Ils ont voté pour leur président en février dernier; ils n’accepteront pas l’imposition d’un autre président venant de l’étranger ou d’en haut. Cette simple insistance pour leur dignité est en elle-même un moteur de changement historique. Le peuple veut être le sujet de son histoire et non en être l’objet. Comme Toussaint était le sujet de son histoire, de même le peuple haïtien a repris et prolongé son combat, comme sujet de son histoire.

Ceci ne veut pas dire que le succès est inéluctable ou facile, que des intérêts puissants n’essaieront pas de tout faire pour revenir en arrière. Néanmoins, quelque chose d’irréversible s’est passée, quelque chose qui fait son chemin à travers la conscience collective. C’est la signification de la célèbre déclaration de Toussaint lorsqu’il avait été capturé par les français, à savoir qu’ils ont coupé le tronc de l’arbre de la liberté, mais qu’il repoussera parce que ses racines sont profondes et nombreuses. Notre lutte pour la liberté rencontrera beaucoup d’obstacles, mais elle ne sera pas déracinée. Elle est solidement enracinée dans l’esprit du peuple. Le peuple est pauvre, certes, mais notre esprit est libre. Nous existons toujours comme peuple, sur la base de cette prise de conscience initiale, de cette conscience fondamentale que nous sommes.

Ce n’est pas un hasard, lorsqu’il a fallu choisir un chef, que le peuple, ce peuple si pauvre et marginalisé par les autorités en place, ait choisi non pas un politicien mais un prêtre. Les politiciens l’avaient laissé tombé. Il cherchait quelqu’un avec des principes, quelqu’un qui dirait la vérité et c’était, en un sens, plus important que le succès matériel ou une prompte victoire sur nos adversaires. C’est le lègue de Toussaint.

En ce qui concerne Dessalines, il a mené une lutte armée, nécessaire, puisqu’il devait casser les chaînes de l’esclavage définitivement. Mais notre lutte est différente. C’est Toussaint, et non Dessalines, qui peut accompagner le mouvement populaire d’aujourd’hui. C’est cette inspiration qui a donné la victoire aux élections de février 2006, qui a permis au peuple de déjouer ses adversaires, de choisir son propre chef à l’encontre de la volonté des autorités en place.

Avons-nous fait trop confiance aux américains? Etions-nous trop dépendants des forces extérieures? Non. Ce serait de la pure démagogie de la part d’un président haïtien de prétendre être plus fort que les Américains, ou de s’engager dans une guerre constante de mots, ou de s’opposer à eux par pur plaisir. La seule manière rationnelle de procéder est de bien penser à l’équilibre relatif entre les intérêts, de comprendre ce que les américains veulent, de leur rappeler ce que nous voulons, et de tirer parti des points de convergence qui existent. En 1994, Clinton avait besoin d’un succès en politique étrangère, et un retour à la démocratie en Haïti lui offrit cette opportunité; nous avions besoin d’un moyen pour vaincre la résistance de l’armée criminelle haïtienne, et Clinton nous offrit ce moyen. Nous ne nous étions jamais fait d’illusions en pensant que les Américains partageaient nos objectifs fondamentaux. Mais sans eux, nous n’aurions pas pu restaurer la démocratie.

PH: Il n’y avait aucune autre solution que le recours aux troupes américaines?

JBA: Non. Le peuple haïtien n’est pas armé. Il y a des criminels et des vagabonds, des trafiquants de drogue, des gangs armés, mais le peuple n’a pas d’armes. Vous vous trompez si vous pensez que le peuple peut mener une lutte armée. Nous devons regarder la situation en face : le peuple n’a pas d’armes et n’aura jamais autant d’armes que ses ennemis. Il est inutile de mener une lutte sur le terrain de vos ennemis ou de jouer leur jeu. Vous perdrez.

PH: Avez-vous payé trop cher pour le support des américains? Ils vous ont poussé à faire toutes sortes de compromis, à accepter beaucoup des choses auxquelles vous étiez opposées : un plan d’ajustement structurel strict, des politiques économiques néo-libérales, la privatisation des entreprises publiques etc. Le peuple haïtien a beaucoup souffert à cause de ces contraintes. Il a dû être très difficile d’avaler ces choses pendant les négociations de 1993.

JBA: Naturellement mais vous devez faire la distinction entre la lutte en principe, la lutte pour persévérer dans une option préférentielle pour le pauvre qui est inspiré par la théologie et est une affaire de justice et de vérité d’une part et d’autre part leur lutte politique qui se mène suivant différentes règles. Dans leur version de la politique, vous pouvez mentir et tricher si cela vous permet de poursuivre vos buts stratégiques. L’affirmation qu’il y avait des armes de destruction massive en Iraq, par exemple, était un mensonge flagrant. Mais comme c’était un moyen utile pour atteindre leur objectif, Colin Powell et compagnie suivirent cette voie.

En 1993, les Américains ont accepté avec plaisir un plan économique négocié. Lorsqu’ils ont insisté, à travers le FMI et d’autres institutions financières internationales, sur la privatisation des entreprises publique, j’étais prêt à approuver le principe – mais j’ai refusé tout simplement de les vendre, sans conditions, à des investisseurs privés. L’existence de la corruption était indéniable dans le secteur public, mais il y avait plusieurs façons d’aborder la question. Plutôt qu’une privatisation effrénée, j’étais prêt à accepter une démocratisation de ces entreprises, pour qu’une partie des bénéfices d’une usine ou d’une entreprise puissent aller aux personnes qui y travaillent, être investie dans des écoles ou des cliniques de santé environnantes, pour que les enfants des travailleurs puissent tirer des bénéfices de leur travail. Les Américains ont dit très bien, il n’y a aucun problème.

Nous avons tous signé ces accords et je suis en paix avec ma décision jusqu’à ce jour. J’ai dit la vérité. Tandis qu’ils les signaient dans un esprit différent. Ils signaient parce qu’ainsi ils pouvaient faciliter mon retour en Haïti et de la sorte organiser leur victoire en politique étrangère. Mais, une fois que je suis revenu au pouvoir, ils avaient déjà prévu de renégocier les conditions de la privatisation. Ils revinrent sur notre accord, et s’appuyèrent sur une campagne de désinformation pour faire comme si c’était moi qui avais manqué à ma parole. Ce n’est pas vrai. Les accords que nous avons signés sont là, les gens peuvent en juger par eux-mêmes. Malheureusement, nous n’avions pas les moyens de gagner la bataille des relations publiques. Ils ont gagné la bataille des communications en propageant des mensonges et en déformant la vérité mais j’ai toujours le sentiment que nous avons gagné la vraie bataille en nous tenant à la vérité.

PH: Qu’en est-il de votre bataille avec l’armée haïtienne, cette armée qui vous a renversé en 1991? Les Américains ont reformé cette armée dans le sens de leurs propres priorités en 1915, et ils sont toujours intervenus depuis lors pour la protection de ces priorités. A peine quelques mois après votre retour en 1994, vous aviez réussi à la démanteler, mais la façon dont vous l’avez fait demeure un sujet à controverse, et vous n’avez jamais pu complètement démobiliser et désarmer les soldats eux-mêmes. Certains d’entre eux sont revenus vous poursuivre de leur vengeance pendant votre deuxième administration.

JBA: Encore une fois, je n’ai aucun regret sur ce point. Il était absolument nécessaire de dissoudre l’armée. Nous avions une armée de quelques 7.000 soldats et elle absorbait 40% du budget national. Depuis 1915, elle servait comme une armée d’occupation interne. Elle n’a jamais lutté contre un ennemi extérieur. Elle a tué des milliers de gens du peuple. Pourquoi avions-nous besoin d’une telle armée, plutôt que d’une force de police convenablement entraînée? Nous avons fait ce qu’il fallait faire.

Nous avons organisé un programme social pour la réintégration des militaires démobilisés. Ils ont eux aussi le droit de travailler, et l’Etat a la responsabilité de respecter ce droit – d’autant plus que vous saviez que s’ils ne trouvaient pas de travail, ils seraient plus facilement tentés d’avoir recours à la violence ou au vol, comme l’avaient fait les Tontons Macoutes. Nous avons fait notre possible. Le problème vient du mécontentement de ceux qui étaient déterminés à préserver le statu quo. Ils avaient beaucoup d’argent et beaucoup d’armes, et ils travaillaient main dans la main avec la machine militaire la plus puissante de la terre. Il était facile pour eux de convaincre quelques anciens soldats, de les entraîner et de les équiper en République Dominicaine pour déstabiliser le pays. Mais, cela n’a pas été une erreur de démanteler l’armée. Ce n’est pas comme si nous avions pu éviter le deuxième coup en 2004, si nous nous y étions accrochés. Au contraire, si l’armée était restée en place, René Préval n’aurait jamais terminé son premier mandat (1996-2001), et je n’aurais certainement pas pu tenir pendant trois ans de 2001 à 2004.

En agissant de cette manière, nous avons fait la lumière sur le vrai conflit en jeu ici. Comme vous savez, l’histoire de Haïti est ponctuée d’une longue série de coups. Contrairement aux coups précédents, le coup de 2004 n’a pas été l’œuvre de l’« armée » haïtienne, agissant sous les ordres de notre petite oligarchie, conformément aux intérêts des puissances étrangères. Non, cette fois-ci ces intérêts tout-puissants ont du faire le travail eux-mêmes, avec leurs propres troupes et en leur propre nom.

PH: Dès que Chamblain et sa petite bande de rebelles se sont enlisés à la périphérie de Port-au-Prince, ne pouvant plus avancer, les Marines des Etats-Unis devaient aller vous expulser du pays.

JBA : C’est exact. La vérité vraie de la situation, la réelle contradiction à l’œuvre dans cette situation s’est finalement dégagée et est apparue entièrement à l’opinion publique.

PH: Est-ce que la création du Parti Fanmi Lavalas en 1996 a joué un rôle similaire, en aidant à clarifier les lignes de conflit interne qui avait déjà fracturé la coalition peu structurée des forces qui vous avaient porté au pouvoir la première fois? Pourquoi y avait-il de si profondes divisions entre vous et quelques-uns uns de vos anciens alliés? Pour ainsi dire tout le premier gouvernement de Préval a été affecté par des rivalités. Avez-vous alors essayé de créer un parti unifié et discipliné, un parti qui pouvait produire un programme politique cohérent?

JBA: Non, cela ne s’est pas passé ainsi. En premier lieu, par formation et par inclination, j’étais un professeur et non pas un politicien. Je n’avais aucune expérience des partis politiques, et j’étais content de laisser aux autres la tâche de développer une organisation politique, de former les membres du parti, et autres. Déjà, en 1991, j’étais content de laisser tout ceci à des politiciens de carrière, à des personnes comme Gérard Pierre-Charles, et à d’autres, avec qui il avait commencé à travailler en ce sens tout de suite après le retour de la démocratie. Il nous a aidé à créer l’Organisation Politique Lavalas (OPL) et j’ai encouragé certaines personnes à le joindre. Ce parti avait gagné les élections de 1995, et à la fin de mon mandat en février 1996, il avait la majorité au Parlement. Mais après les élections, l’OPL tomba dans les caractéristiques et les coutumes traditionnelles de la politique haïtienne. Il s’est refermé sur lui-même, s’est éloigné du peuple, et était plus enclin à faire des promesses vides. Je n’étais plus au pouvoir, et je suis resté à l’écart. Mais un groupe de prêtres impliqués dans le mouvement Lavalas sont devenus frustrés, et ont voulu restaurer un vrai lien avec le peuple. A cette époque (en 1996), ceux qui étaient de cet avis, et qui étaient mécontents de l’OPL, formaient un groupe connu sous le nom « la nébuleuse » – ils étaient dans une position incertaine et confuse. Avec le temps, le nombre de personnes de plus en plus mécontentes ne cessait d’augmenter.

Nous nous sommes engagés dans de longues discussions sur ce qui devait être fait, et Fanmi Lavalas est né de ces discussions. Le peuple lui a donné naissance lui-même. Il n’a jamais été conçu comme un parti politique conventionnel. Si vous regardez à travers la constitution de l’organisation, vous verrez que mot « parti » n’y est jamais mentionné. En Haïti, nous n’avons aucune expérience positive de partis politiques; les partis ont toujours été des instruments de manipulation et de trahison. D’un autre côté, nous avons une longue et positive expérience d’organisations populaires – les ti legliz, par exemple.

Ce n’est pas moi qui aie « fondé » Fanmi Lavalas comme parti politique. J’ai juste apporté ma contribution à la formation de cette organisation qui offrait une plate-forme à ceux qui étaient frustrés avec le parti OPL (qui devait bientôt se renommer comme Organisation néo-libérale du Peuple en Lutte), ceux qui étaient encore actifs dans le mouvement mais qui s’y sentaient exclus. Or pour être efficace Fanmi Lavalas devait attirer l’expérience des gens qui s’y connaissaient en politique, des gens qui pouvaient agir en chefs politiques sans abandonner leur engagement pour la vérité. C’est le grand problème, bien sûr. Fanmi Lavalas n’a pas la discipline stricte et la coordination d’un parti politique. Certains de ses membres n’ont pas encore acquis la formation ni l’expérience nécessaires pour maintenir à la fois un engagement pour la vérité et une participation politique efficace. Pour nous, la politique est profondément liée à l’éthique, c’est le point crucial. Fanmi Lavalas n’est pas une organisation exclusivement politique. C’est pourquoi aucun politicien n’a pu s’en approprier et utiliser Fanmi Lavalas comme tremplin pour le pouvoir. Ce ne sera jamais facile : les membres de Fanmi Lavalas exigent la fidélité de leurs chefs.

PH: C’est une leçon que Marc Bazin, Louis-Gérald Gilles et quelques autres devaient apprendre pendant la campagne électorale de 2006.

JBA: C’est exact.

PH: Dans quelle mesure Fanmi Lavalas est devenu victime de son propre succès ? Comme le ANC ici en Afrique du Sud, il était clair dès le début que Fanmi Lavalas serait plus ou moins imbattable dans les sondages. Mais cela peut avoir ses avantages et ses inconvénients. Comment comptiez-vous composer avec les nombreux opportunistes qui ont tout de suite cherché à s’immiscer dans votre organisation, des gens comme Dany Toussaint et ses associés ?

JBA: J’ai laissé le pouvoir en 1996. En 1997, Fanmi Lavalas avait émergé comme une organisation fonctionnelle, dotée d’une constitution claire. C’était déjà un grand pas en avant. Au premier congrès de Fanmi Lavalas, nous avons voté et approuvé le programme inscrit dans notre Livre Blanc : Investir dans l’humain. Ce programme n’est pas sorti de rien. Pendant près de deux ans, nous avons tenu des réunions avec des ingénieurs, des agronomes, des médecins, des professeurs et autres. Nous avons écouté et discuté des mérites de différentes propositions. C’était un processus collectif. Et comme l’a même reconnu la Banque Mondiale, c’était un plan cohérent pour la transformation du pays. Ce n’était pas un paquet de promesses vides.

Au beau milieu de ces discussions, au beau milieu de l’organisation émergente, il est clair que vous allez trouver des opportunistes, des futurs criminels et des futurs dealers. Cela n’a pas été facile de les identifier, de les trouver et de les expulser à temps, avant qu’il ne soit trop tard. La plupart de ces gens, avant de gagner un siège au parlement, se conduisaient parfaitement correctement. Mais pour certaines personnes, le pouvoir peut être comme l’alcool : après un verre, deux verres, une bouteille entière…vous n’avez pas à faire avec la même personne. Cela étourdit certaines personnes. Il était difficile d’anticiper ces choses. Néanmoins, je pense que s’il n’y avait pas eu l’intervention des puissances étrangères, nous aurions pu faire de réels progrès. Nous avions établi des méthodes viables pour la discussion collaborative et pour maintenir des liens directs avec le peuple. Je pense que nous aurions fait de réels progrès, lentement mais sûrement.

Malgré l’embargo sur l’aide, nous avons réussi à réaliser certaines choses. Nous avons pu investir dans l’éducation, par exemple. En 1990, il y avait seulement 34 écoles secondaires en Haïti; en 2001, il y en avait 138. Nous avons construit une nouvelle université à Tabarre, une nouvelle école de médecine. Bien que disposant de moyens restreints, le programme d’alphabétisation a été lancé en 2001 et marchait bien aussi; Les experts cubains qui nous ont aidé à le gérer, étaient confiants qu’en décembre 2004 nous aurions réduit le taux d’analphabétisme chez les adultes à 15%, une petite fraction de ce qu’il était dix ans avant. Les gouvernements précédents n’avaient jamais essayé sérieusement d’investir dans l’éducation, et il est clair que notre programme allait constituer une menace pour le statu quo. L’élite ne veut pas entendre parler d’éducation populaire, et cela, pour des raisons évidentes. L’enjeu est celui-là : nous pouvons soit partir d’une position de réelle liberté et d’indépendance pour travailler à la création d’un pays qui respecte la dignité de tout son peuple ou alors nous devrons accepter une position de dépendance servile, un pays où la dignité du peuple ordinaire ne compte pour rien. C’est ce qui est en jeu ici.

PH: Fanmi Lavalas a dûment gagné une victoire écrasante dans les élections législatives de mai 2000, avec environ 75% des voix. Personne n’a contesté la transparence et la légitimité de cette victoire. Mais vos ennemis aux Etats-Unis et chez vous ont vite attiré l’attention sur le fait que la méthode utilisée de comptage des voix nécessaires pour gagner des sièges au Sénat au premier tour (c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire d’un deuxième tour entre les deux candidats les plus populaires) était du moins un sujet a controverse pour ne pas dire illégitime. Ils ont sauté sur cette technicité pour semer le doute sur la validité de la victoire électorale elle-même, et l’ont utilisée pour justifier une suspension de l’aide et des prêts internationaux. Tout de suite après le début de votre deuxième mandat (en février 2001), les vainqueurs des élections pour ces sièges ont été persuadés d’abandonner leurs sièges, en attendant un deuxième tour des élections. Mais un an s’était déjà écoulé; n’aurait-il pas été mieux de résoudre le problème plus rapidement, pour éviter de donner aux américains un prétexte pour saboter votre pouvoir avant même qu’il ne débute?

JBA: Vous dites que nous « avons donné » un prétexte aux américains. En réalité, les Américains ont créé leur propre prétexte, et si ce n’était pas ça, cela aurait été quelque chose d’autre. Il a fallu aux Etats- Unis 58 ans pour reconnaître l’indépendance d’Haïti. Leurs priorités n’ont pas changé, et la politique américaine d’aujourd’hui est plus au moins conforme à ce qu’elle a toujours été. Le coup de septembre 1991 a été fait avec l’aide du gouvernement américain, et en février 2004, c’est arrivé à nouveau, grâce à beaucoup de ces mêmes personnes.

Les Etats-Unis ont créé leur petit prétexte. Ils avaient beaucoup de difficulté pour persuader les autres chefs de la CARICOM à prendre position contre nous (beaucoup d’entre eux n’ont jamais réussi à être persuadés), et il leur fallait un prétexte qui était facile à comprendre. Des « élections truquées », c’était la carte d’atout à jouer. Mais, lorsqu’ils sont venus observer les élections, ils ont dit « très bien, aucun problème »: le processus était qualifié de pacifique et juste. Ensuite, lorsque les résultats ont été proclamés, pour saper notre victoire, ils ont questionné le mode de comptage des voix. Mais, je n’avais rien à voir avec cela. Je n’étais pas un membre du gouvernement, et je n’avais aucune influence sur le Conseil Electoral Provisoire, qui seule avait l’autorité de décider dans ces cas. Le CEP est un organisme souverain et indépendant. Ensuite, une fois que j’ai été réélu, et que les Américains ont demandé que je révoque ces sénateurs, quelle devait être mon attitude? La constitution ne donne pas au président la prérogative de révoquer des sénateurs qui avaient été élus conformément au protocole décidé par le CEP. Pouvez-vous imaginer une situation comme celle¬là aux Etats-Unis? Que se passerait-il si un gouvernement étranger insistait pour que le président révoque un sénateur élu? C’est absurde. La situation est tout simplement raciste; ils imposent des conditions qu’ils n’envisageraient jamais d’imposer sur un pays «légalement » indépendant, sur un pays blanc. Nous devons appeler les choses par leur nom : le problème est-il une question de gouvernement démocratique, de validité d’un résultat électoral particulier ? Ou s’agit-il en fait d’autre chose ?

Les Américains ont voulu utiliser le législatif contre l’exécutif. Ils espéraient que je serais assez stupide pour insister sur la révocation des sénateurs. J’ai refusé. En 2001, dans un geste de bonne volonté, les sénateurs ont choisi de démissionner en partant du principe qu’ils contesteraient de nouvelles élections aussitôt que l’opposition serait prête à y participer. Mais les Américains n’ont pas réussi à faire charger d’avis le Sénat et le parlement contre la présidence, et il était devenu rapidement évident que l’opposition n’avait aucun intérêt dans de nouvelles élections. Une fois que cette tactique échoua, les Etats-Unis ont recruté ou acheté quelques têtes brûlées dont Dany Toussaint et compagnie, et les ont utilisées, un peu plus tard, contre la présidence.

Encore une fois, l’objectif général était de saper la célébration de notre bicentenaire, la célébration de notre indépendance avec toutes ses implications. Le temps venu, ils envoyèrent des émissaires en Afrique, spécialement en Afrique francophone, pour dire à leurs chefs de ne pas assister aux célébrations. Chirac exerça une énorme pression sur ses collègues africains ; les Américains en firent autant. Thabo Mbeki était presque seul à vouloir résister à cette pression et par lui l’Union Africaine était représentée. J’en suis très heureux. La même pression fut exercée dans les Caraïbes : le premier ministre du Bahamas, Perry Christie, décida de venir mais c’était le seul. C’était très décevant.

PH: Entre temps dans la presse, on vous présentait non pas comme le vainqueur incontesté d’élections légitimes mais comme un autocrate de plus en plus tyrannique.

JBA: Exactement. Une grande partie des $200 millions environ destinés à l’aide au développement qui avaient été suspendus lorsque nous avons gagné les élections en 2000, a été détournée vers une campagne de propagande et de déstabilisation contre notre gouvernement et contre Fanmi Lavalas. La campagne de désinformation était vraiment massive. D’énormes sommes d’argent furent dépensées pour faire passer le message, par radio, par les journaux, par divers petits partis politiques qui devaient servir de relais pour l’opposition …C’était extraordinaire. Quand je repense à cette période extrêmement décourageante de notre histoire, je la compare à ce qui est arrivé récemment ailleurs. Ils sont passés par les mêmes ennuis quand ils ont essayé de dire qu’il y avait des armes de destruction massive en Iraq. Je vois encore Colin Powell assis à la tête des Nations Unis, avec son petit sac à malice, démontrant au monde entier que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive. Regarder cette preuve irréfutable ! C’était pathétique. Dans tous les cas, la logique était le même : ils montent un mensonge utile et ils le vendent. C’est la logique des gens qui se croient tout puissants. S’ils décident que 1+1=4, alors ce sera 4.

PH: My Lai, les Iran-Contras, l’Iraq, Haïti, Colin Powell a fait toute sa carrière dans cet ordre d’idées…Mais revenons en mai 2000 : tout de suite après la proclamation des résultats en mai 2000, le chef du CEP, Léon Manus, quitta le pays, déclarant que les résultats étaient invalides et que vous et Préval avaient mis de la pression sur lui pour calculer les voix d’une façon particulière. Pourquoi s’est-il rangé du côté américain?

JBA: Bon, je ne veux pas juger Léon Manus, je ne sais pas ce qui s’est passé exactement. Mais je pense qu’il a agi de la même façon que quelques leaders du Groupe 184. Ils sont redevables à un patron, un boss. Le boss est américain, un américain blanc; et ils sont noirs (sic). Ne sous-estimez pas le complexe d’infériorité qui souvent encore conditionne ces relations. Vous êtes noir, mais parfois vous vous sentez plus blanc que blanc, si vous êtes disposés à vous mettre à genou devant le blanc. C’est un héritage psychologique de l’esclavage: mentir pour l’homme blanc n’est pas mentir, puisque les hommes blancs ne mentent pas [rires]. Comment les hommes blancs pourraient-ils mentir. Ils sont les civilisés. Si je mens pour les blancs, je ne me mens pas vraiment. Je ne fais que répéter ce qu’ils disent. Donc, je ne sais pas, mais j’imagine que Léon Manus s’est ainsi senti lorsqu’il a répété le mensonge qu’ils voulaient qu’il répète. N’oubliez pas que son voyage hors du pays a commencé dans un véhicule aux plaques diplomatiques, et il est arrivé à Saint Domingue dans un hélicoptère américain. Qui a accès à ce genre de transport?

PH: Pourquoi ces gens manifestaient-ils une hostilité aussi farouche contre vous et votre gouvernement? Il y a quelque chose de bizarre et drôle dans les positions adoptées par la prétendue «Convergence Démocratique», et plus tard, par le «Groupe 184», et par des gens comme Gérard Pierre-Charles. Ils ont refusé tout compromis, ils ont insisté sur toutes sortes de conditions déraisonnables avant même de considérer de prendre part à un second tour des élections. Les américains eux-mêmes semblaient exaspérés de leur attitude, mais n’ont pas fait d’effort vraiment pour les rappeler à l’ordre.

JBA: Ils n’ont fait aucun effort pour les rappeler à l’ordre car cela faisait parti du plan. C’est un peu comme ce qui se passe maintenant (juillet 2006) avec Yvon Neptune : les américains ont versé des larmes de crocodiles sur le pauvre Neptune emprisonné comme s’ils n’avaient pas été complices ni responsables de son emprisonnement ! Comme s’ils n’avaient pas le pouvoir de libérer trois ou quatre prisonniers qu’ils avaient eux-mêmes mis en prison [rires]. Naturellement ils doivent respecter la loi, les strictes procédures, l’intégrité des institutions haïtiennes ! C’est du bluff, c’est absurde.

Pourquoi le Groupe 184 et nos adversaires de la « société civile » sont hostiles ? A nouveau, cela relève en partie d’une pathologie sociale. Quand un groupe de citoyens est prêt agir d’une façon si irrationnelle, si servile, quand ils sont disposés à relayer le message concocté par leurs maîtres étrangers, sans même réaliser qu’en faisant cela ils se nuisent à eux-mêmes – et bien si vous me le demander, c’est un symptôme de réelle pathologie. C’est lié à une haine viscérale devenue une réelle obsession : une haine des gens. Cela n’a jamais été à mon propos, cela n’avait rien à voir avec moi en tant qu’individu. Ils détestent et méprisent le peuple. Ils refusent absolument de reconnaître que tous les hommes sont égaux. Donc, ce comportement s’explique en partie par le fait qu’ils veulent se réassurer eux-mêmes qu’ils sont différents. Il est essentiel qu’ils se considèrent supérieurs aux autres. C’est une partie du problème, et ce n’est pas simplement un problème politique. Il y a quelque chose de masochiste dans ce comportement et il y a plein de sadiques étrangers qui ne demandent pas mieux d’exécuter leurs obligations !

Je suis convaincu qu’il est lié à l’héritage esclavagiste, à un mépris qui a été hérité pour le peuple, pour les petits nègres. C’est la psychologie de l’apartheid: il est mieux de se mettre à genoux avec les blancs que d’être côte à côte avec les noirs. Ne sous¬estimons pas la profondeur de ce mépris. L’une des premières choses que nous avons fait en 1991 a été l’abolition de la catégorisation de «paysans », sur les actes de naissance, des personnes nées hors de Port-au-Prince. Ce genre de catégorisation, et toutes sortes d’autres choses du même genre, servait à maintenir un système d’exclusion rigide. Il servait à tenir les gens à l’écart, de les traiter comme moun andey˜ – gens du dehors. Les gens clandestins. C’est ce que j’entends par la mentalité d’apartheid, et elle ne date pas d’hier.

PH: Qu’en est-il de votre propre volonté de travailler avec des gens compromis par leur passé, par exemple, l’inclusion d’anciens Duvaliéristes dans votre deuxième gouvernement? Est-ce que cela été une décision facile à prendre?

JBA: Non, cela n’a pas été facile, mais, je l’avais vu comme un mal nécessaire. Prenez Marc Bazin, par exemple. Il a été ministre des finances sous Jean-Claude Duvalier. Je me suis tourné vers Bazin parce que mes opposants de la Convergence Démocratique, de l’OPL et autres, refusaient de participer au gouvernement.

PH: Vous étiez sous pression pour former un gouvernement de consensus, d’unité nationale, et vous avez approché des personnes de la Convergence d’abord?

JBA: Oui, et cela ne m’a mené nulle part. Leur objectif était de bloquer tout le processus, et ils ont dit non immédiatement. Nous avions une majorité massive au parlement et je n’étais pas prêt de dissoudre un parlement dûment élu. Mais j’étais conscient du danger d’exclure tout bonnement l’opposition. Je voulais former un gouvernement démocratique, par conséquent, j’avais décidé de le rendre aussi inclusif que possible dans les circonstances. Puisque la Convergence ne voulait pas y participer, j’ai invité des personnes venant des secteurs qui avaient peu ou pas de représentation au parlement à avoir une voix dans le gouvernement, à occuper quelques positions ministérielles et à garder un équilibre entre les branches législatives et exécutives du gouvernement.

PH: Cela a du être très controversé. Bazin a non seulement travaillé pour Duvalier, mais aussi il a été votre adversaire en 1990.

JBA: Oui, c’était controversé, mais je n’avais pas pris la décision seul. Nous en avons longuement discuté, nous avons tenu des réunions, pour trouver des compromis. Certains étaient pour, d’autres contre, et à la fin, il y a eu une majorité qui était d’accord sur le fait que nous ne pouvions pas travailler seuls, que nous avions besoin de démontrer notre volonté et notre capacité de travailler avec des gens qui clairement n’étaient pas pro-Lavalas. Nous avions déjà publié un programme politique bien défini, et s’ils étaient disposés à coopérer sur un aspect ou un autre, nous étions alors disposés à travailler avec eux.

PH: Ironiquement, on vous a souvent accusé d’être un président « monarchique » sinon tyrannique, d’être intolérant à l’égard de la dissidence, d’être déterminé à imposer votre volonté. Mais que répondez-vous à ceux qui avancent que le vrai problème était juste le contraire, que vous étiez trop tolérant? Vous avez permis à d’anciens soldats de demander ouvertement et à maintes reprises la reconstitution de l’armée. Vous avez permis aux dirigeants autoproclamés de la « société civile » de tout faire pour renverser votre gouvernement. Vous avez permis à des stations de radio de soutenir une campagne féroce de désinformation. Vous avez permis toutes sortes de manifestations, demandant votre départ, d’avoir lieu jour après jour, et bon nombre des manifestants étaient financés et organisés directement par vos ennemis aux Etats-Unis. Finalement la situation s’est détériorée et ceux qui cherchaient à profiter du chaos n’étaient certainement pas motivés par le respect du droit à la liberté de parole !

JBA: Bon, c’est ce qu’exige la démocratie. Ou bien vous permettez l’expression libre d’opinions diverses ou bien vous ne le permettez pas. Si les gens ne sont pas libres de manifester et de faire entendre leurs revendications, il n’y a pas de démocratie. Je savais que nous étions en position de force au parlement, et que la grande majorité du peuple était derrière nous. Une petite minorité s’opposait à nous. Leurs connections avec l’étranger, leurs intérêts commerciaux et autres, les ont rendu puissants. Toutefois, ils avaient le droit de protester, de formuler leurs demandes, comme tout le monde. C’est normal. Quant aux accusations que je devenais dictateur, autoritaire et autres, je ne les écoutais pas. Je savais qu’ils mentaient et je savais qu’il savait qu’ils mentaient. C’était bien sûr une stratégie prévisible ; cela contribuait à créer une image familière qu’ils pouvaient vendre au monde extérieur. 0 l’intérieur, cependant, tut le monde savait que c’était ridicule. Et à la fin, comme je l’ai dit auparavant, c’était les maîtres de l’étranger eux-mêmes qui devaient venir à Haïti terminer le boulot. Mon gouvernement ne fut certainement pas renversé par les gens qui manifestaient dans la rue.

PH: L’accusation la plus grave et la plus fréquente portée contre vous par les manifestants, et reprise par les critiques à l’étranger est que vous avez eu recours à la violence pour vous accrocher au pouvoir, que, lorsque la pression sur votre gouvernement a augmenté, vous avez commencé à vous appuyer sur des gangs armés des bidonvilles, appelés « chimères », et que vous les avez utilisés pour intimider, et dans certains cas, assassiner vos opposants.

JBA: Dès que vous regardez rationnellement ce qui se passait, ces accusations sont loin de tenir debout. Plusieurs choses doivent être prises en compte. D’abord, la police travaillait sous un embargo depuis plusieurs années. Nous ne pouvions pas acheter des gilets pare¬balles ou des bonbonnes de gaz lacrymogène. La police était très mal équipée, et était souvent incapable de contrôler une manifestation ou une confrontation. Certains de nos opposants, certains des manifestants, qui cherchaient à provoquer des confrontations violentes, le savaient parfaitement bien. Il était de notoriété publique que pendant que la police avait épuisé ses punitions et ses réserves. Des armes lourdes étaient passées en contrebande à nos adversaires au travers de la République dominicaine. Le peuple le savait aussi, le comprenait et s’en inquiétait. Ils ont commencé à être nerveux, avec raison.

Les provocations augmentaient, et on enregistrait des actes isolés de violence. Cette violence, était-elle justifiée? Non. Je l’ai condamnée. Je n’ai pas arrêté de la condamner. Mais avec les moyens limités à notre disposition, comment pouvions nous prévenir les flambées de violence? Il y avait beaucoup de provocation, beaucoup de colère, et il n’y avait aucun moyen pour nous de faire en sorte que chaque citoyen refuse la violence. Mais, il n’y a jamais eu d’encouragement délibéré à la violence, il n’y a jamais eu de recours délibéré à la violence.

En ce qui concerne les « chimères », ceci est clairement une autre expression de notre mentalité d’apartheid, le mot dit tout. Les « Chimères » sont des gens qui sont pauvres, qui vivent dans un état de grande insécurité et de chômage chronique. Ils sont les victimes d’une injustice structurelle, d’une violence sociale systématique. Et ils se retrouvent parmi les gens qui ont voté pour ce gouvernement, qui ont apprécié ce que le gouvernement faisait ou avait fait, malgré l’embargo. Ce n’est pas surprenant qu’ils doivent confronter ceux qui ont toujours bénéficié de cette même violence sociale, lorsqu’ils ont commencé activement à saboter leur gouvernement.

Encore une fois, ceci ne justifie pas des actes de violence occasionnels, mais où se trouvait la vraie responsabilité? Qui sont les vraies victimes de la violence ici? Combien de membres de l’élite, combien de membres des nombreux partis de l’opposition ont été tués par les « chimères »? Combien? Qui sont-ils? Pendant ce temps certain des intérêts économiques puissants étaient heureux de financer des gangs criminels, d’armer des vagabonds, à Cité Soleil et ailleurs, en vue de créer du désordre et d’en rejeter le blâme sur Fanmi Lavalas. Ces mêmes personnes ont aussi payé des journalistes pour présenter la situation d’une certaine façon, et entre autres choses, leur ont promis des visas – récemment, quelques-uns uns d’entre eux, qui vivent en France maintenant, ont admis qu’on leur avait quoi dire, pour pouvoir obtenir leur visa. Donc, vous avez des personnes qui finançaient la désinformation d’un côté, et la déstabilisation d’un autre, et qui encourageaient de petits groupes de truands à semer la panique dans les rues, pour créer l’impression que le gouvernement perdait le contrôle de la situation.

Comme si cela ne suffisait pas, au lieu de permettre aux munitions de la police de parvenir en Haïti, au lieu d’envoyer les armes et les équipements pour renforcer le gouvernement, les américains les ont envoyé à leurs représentants en République Dominicaine. Vous n’avez qu’à regarder qui étaient ces gens – des personnes comme Jodel Chamblain, un criminel reconnu coupable par la justice, qui s’est échappé de prison pour être accueilli par les Etats-Unis, qui a ensuite armé et financé ces «combattants de la liberté» attendant à la frontière en République Dominicaine. C’est ce qui s’est vraiment passé. Nous n’avons pas armé les «chimères», les Etats-Unis ont armé Chamblain et Philippe. L’hypocrisie est extraordinaire. Ensuite, lorsque nous parlons de 2004-06, soudainement tous les propos indignés contre la violence se sont tus. Comme si rien ne s’était passé. On entassait des gens dans des conteneurs et on les jetait à la mer. Cela ne comptait pas. Les innombrables attaques sur Cité Soleil, elles ne comptaient pas non plus. Et je pourrai continuer longtemps. Des milliers de personnes sont mortes. Mais, elles ne comptent pas, parce qu’elles ne sont que des « chimères » après tout.

PH: Si on parlait des personnes de votre entourage comme Dany Toussaint, votre ancien chef de sécurité, qui a été accusé de toutes sortes de violence et d’intimidation?

JBA: Il travaillait pour eux dès le début, et nous nous sommes laissés prendre. Bien sûr je le regrette. Mais, il n’a pas été difficile pour les américains ou leurs représentants d’infiltrer le gouvernement, d’infiltrer la police. Nous n’étions pas en mesure de fournir à la police les équipements dont ils avaient besoin, nous pouvions à peine leur payer un salaire convenable. Il était facile pour nos opposants de jeter le trouble, de corrompre quelques policiers. Ceci était incroyablement difficile à contrôler. Nous étions vraiment encerclés. J’étais encerclé par des gens qui d’une manière ou d’une autre étaient à la solde des puissances étrangères qui travaillaient activement à renverser le gouvernement. Un de mes amis dit alors en revoyant la situation, « je comprends maintenant pourquoi tu crois en dieu car autrement je ne peux comprends pas comment tu peux être encore en vie, au beau milieu de tous ça ».

PH: Je suppose que même vos ennemis savaient qu’il n’y avait rien à gagner à vous tourner en martyr.

JBA: Oui, ils savaient qu’un mélange de désinformation et de diffamation serait plus efficace, plus ravageur. J’y suis certes habitué [rires].

PH: Comment puis-je mieux me renseigner sur le rôle de Toussaint dans tout cela? Il n’a pas voulu me parler lors de mon séjour à Port-au-Prince il y a deux mois de ça. Il est curieux que les personnes qui réclamaient son arrestation lorsque vous étiez au pouvoir, ont soudainement décidé de le laisser tranquille, lorsqu’il a pris position contre vous (en décembre 2003), et lorsqu’ils étaient eux-mêmes au pouvoir. Mais, pouvez-vous prouver qu’il travaillait pour ou avec eux depuis le début?

JBA: Ce ne sera pas facile à prouver, je l’admets. Mais, si vous chercher bien pour trouver des preuves, je crois que vous en trouverez. Il y a un proverbe créole qui dit twou manti pa fon: tôt ou tard, la vérité finit par sortir. Il y a beaucoup de choses qui se passaient à l’époque, mais sur lesquelles la lumière a récemment commencé à se faire.

PH: Vous voulez dire des choses comme les éventuels aveux publics, faits au cours de l’année dernière par les chefs rebelles, Remissainthe Ravix et Guy Philippe, sur l’ampleur et la longueur de leur collaboration avec la Convergence Démocratique, avec les américains?

JBA: Exactement.

PH: Dans le même ordre d’idées, que dites-vous aux groupes de militants de gauche comme Batay Ouvriye qui affirment que votre gouvernement n’a pas assez fait pour aider les pauvres, que vous n’avez rien fait pour les ouvriers ? Bien qu’il semble qu’ils n’ont pas grand chose en commun avec Convergence, ils font et continuent à faire le même genre d’accusations contre Fanmi Lavalas.

JBA: Je crois, bien que je n’en sois pas sûr, qu’il y a plusieurs explications possibles. D’abord il faut regarder d’où viennent leurs fonds. Le discours fait plus sens dès qu’on sait qui paye la facture. Les américains ne financent pas que des groupes politiques bon gré mal gré.

PH: Particulièrement pas des syndicalistes quasi-trotskistes…

JBA: Bien sûr que non. Et encore une fois, je pense qu’en grande partie la raison remonte à ce que je disais tout à l’heure, que quelque part, d’une certaine façon, il y a une petite satisfaction, peut être inconsciente, à dire ce que les puissants blancs veulent qu’on dise. Même ici, je pense que ça donne un peu près ça : « oui nous sommes ouvriers, nous sommes paysans, nous luttons au nom des ouvriers mais quelque part, il y a une petite partie de nous qui voudrait échapper à notre classe mentale, l’état d’esprit de notre classe pour sauter dans une autre classe mentale ». Je sens que c’est quelque chose comme ça. En Haïti, le mépris pour le peuple remonte loin. D’après mon expérience, l’opposition à notre revendication pour l’égalité, pour être ensemble avec le peuple, remonte très loin assurément. Même quand il s’agit de banalités.

PH: Comme inviter dans votre piscine des enfants des quartiers pauvres ?

JBA: C’est vrai. Vous ne pouvez imaginer les réactions que cela a provoquées. C’était le scandale : les piscines sont sensées être réservées aux riches. Quand j’ai vu les photographies, en février, des gens nageant dans la piscine de l’hôtel Montana, j’ai souri [rires]. J’ai pensé que c’était formidable. J’ai pensé que maintenant je pouvais mourir en paix. C’était beau à voir car à cette époque, quand des enfants sont venus nager dans notre piscine de Tabarre, beaucoup ont dit : regarde, il ouvre les portes de sa maison aux miséreux, il leur met des idées dans la tête. D’abord il demande de nager dans sa piscine ; puis ils demanderont de rentrer chez lui. Et j’ai dit non, c’est tout le contraire. Je n’avais aucun intérêt pour cette piscine, je ne l’utilisais presque pas. Ce qui m’intéressait c’était le message. Les enfants des quartiers les plus pauvres n’ont normalement jamais l’occasion de voir de piscine, sans parler d’y nagé. Bon nombre envie les riches. Mais après avoir nagé dans une piscine, après qu’ils se soient rendu compte que ce n’est qu’une piscine, ils concluent que c’est sans importance. L’envie s’est évaporée.

PH: Ce jour de février, une énorme foule de milliers de personnes sortirent des taudis pour faire des remarques au CEP (qui était basé au Montana hôte). Ils ont présenté leurs revendications, puis des centaines d’entre eux ont nagé dans la piscine de l’hôtel et s’en sont allés sans rien toucher. Pas de dégât, pas de vol, juste une remarque.

JBA: C’est exact. C’était une joie de voir ces photos.

PH: Voyons maintenant ce qui c’est passé en février 2004. Il y a des versions très diverses sur qui s’est passé dans les jours précédents votre expulsion du pays. Les américains insistent que tard dans la journée où vous avez appelé pour demander de l’aide, vous avez subitement paniqué et qu’ils ont été pris de court par l’effondrement rapide de votre gouvernement. Les rebelles bien armées de Guy Philippe avaient réussi à désarmer quelques stations de police isolées, et semblaient contrôler presque toute la partie du nord¬ouest du pays. Mais de quel soutien disposaient vraiment les rebelles? Et il y avait sûrement peu de chance qu’ils puissent prendre le pouvoir dans la capitale elle-même, face aux milliers de personnes prêtes à la défendre?

JBA: Il y avait eu des tentatives récentes de coup, un en juillet 2001, lors d’une attaque sur l’académie de police, l’ancienne académie militaire, et une autre quelques mois plus tard, en décembre 2001, lors d’une incursion au palais national. Elle ont échoué, et dans les deux occasions, les rebelles avaient été forcées de quitter la ville. Ils ont juste réussi à s’échapper. Ce n’est pas la police seulement qui les ont poursuivies, mais une coalition entre la police et le peuple. Donc, les rebelles savaient qu’ils ne pouvaient pas prendre Port-au-Prince. Ils pourraient trouver une façon pour rentrer dans la ville, mais il leur serait difficile d’y rester. Donc, ils ont hésité, dans les faubourgs de la ville, à environ 40 km Nous n’avions rien à craindre. La balance des forces était en notre faveur. Il y a des occasions où un très grand nombre de personnes sont plus puissantes que des mitraillettes et des armes automatiques. Et Port-au-Prince, une ville où il y a de nombreux intérêts nationaux et internationaux, était différente des zones plus isolées comme Saint-Marc ou Gonaïves.

Les rebelles savaient qu’ils ne pouvaient pas prendre la ville, c’est pourquoi leurs maîtres décidèrent à la place de faire une diversion, d’attaquer les provinces pour donner l’illusion qu’une grande partie du pays était sous leur contrôle, qu’il y avait une grande insurrection. Mais ce n’était pas le cas. Il n’y avait pas un grand soulèvement : il y avait un petit groupe de soldats, lourdement armés, qui avaient réussi à envahir quelques stations de police, tuer des policiers, et créer certains dégâts. Les policiers étaient à court de munitions, et ne faisaient pas le poids face aux M16 des rebelles. Mais la ville, c’est une autre histoire. Les gens étaient prêts, et je ne m’inquiétais pas.

Pendant ce temps, le 29 février, une cargaison de munitions pour la police que nous avions achetés en Afrique du Sud, tout à fait légalement, devait arriver à Port-au-Prince. La question était réglée. Déjà, le rapport des forces n’était pas en faveur des rebelles; en plus de cela, si la police était rétablie dans toute sa capacité opérationnelle, les rebelles n’avaient aucune chance.

PH: Donc, à ce stade, les américains n’avaient pas d’autres options que d’aller vous chercher eux-mêmes dans la nuit du 28 février?

JBA: C’est exact. Ils savaient que dans quelques heures, ils allaient perdre leur opportunité de «résoudre» la situation. Ils ont saisi leur chance pendant qu’ils l’avaient, et nous ont embarqués dans un avion au milieu de la nuit.

PH: Les américains – Ambassadeur Foley, Luis Moreno et compagnie – insistent sur le fait que vous aviez sollicité leur aide, qu’ils avaient dû arranger un vol pour vous mettre en sûreté à la dernière minute. Plusieurs journalistes étaient prêts à soutenir leur version. D’un autre côté, parlant sous le couvert de l’anonymat, un des gardes de sécurité qui étaient dans votre avion ce soir-là a dit au Washington Post, tout de suite après l’événement, que la version des Etats-Unis était un «pur mensonge». Votre chef de sécurité personnelle, Frantz Gabriel, confirme aussi que vous avez été kidnappé ce soir-là par des militaires américains. Qui devons-nous croire?

JBA: Vous faites face à une nation qui était prête et qui a pu, à la face des Nations- Unies et du monde entier, fabriquer des allégations sur l’existence d’armes de destruction massive en Iraq. Ils étaient prêts à mentir sur un problème d’importance internationale. Ce n’est pas surprenant qu’ils aient pu trouver une poignée de personnes pour dire les choses qu’ils voulaient dire en Haïti, dans un petit pays sans grande importance stratégique. Ils avaient leurs personnels, leurs ressources, leur façon de faire. Ils ont juste exécuté leur plan, c’est tout.

PH: Ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas envoyer des soldats de la paix pour aider à stabiliser la situation, mais aussitôt après votre départ, les troupes sont arrivées rapidement.

JBA: Le plan était parfaitement clair.

PH: Il me reste deux dernières questions. En août et en septembre 2005, lors des élections qui ont finalement eu lieu en février 2006, il y avait beaucoup de discussions à l’intérieur de Fanmi Lavalas sur ce qu’il fallait faire. A la fin, la majorité des militants de la base se sont massivement rangés derrière votre ancien collègue, votre « frère jumeau » René Préval, mais quelques membres de la direction du parti ont choisi de se présenter comme candidat eux-mêmes; d’autres étaient même prêts à soutenir la candidature de Marc Bazin. C’était une situation confuse, une situation qui a dû mettre une grosse pression sur l’organisation, mais vous avez gardé votre silence.

JBA: Dans une dictature, les ordres vont du haut vers le bas. Dans une organisation démocratique, le processus est plus dialectique. Les petits groupes ou cellules que nous appelons les ti fanmis font partie de Fanmi Lavalas, discutent, débattent, s’expriment jusqu’à ce qu’une décision collective émerge de la discussion. C’est comme cela que l’organisation travaille. Bien sûr nos opposants vont toujours crier à la « dictature, c’est Aristide qui donne des ordres »Mais les gens qui sont familiers avec notre organisation savent qu’il n’en est pas ainsi. Nous n’avons aucune expérience de situations où quelqu’un vient donner un ordre sans discussion. Quand nous avons eu à choisir les candidats aux élections pour Fanmi Lavalas en 1999, les discussions à la Fondation [la Fondation Aristide pour la Démocratie] continuaient souvent tard dans la nuit. Des délégations venaient de partout dans le pays, et des membres des cellules de base discutaient pour et contre. Souvent, il n’était pas facile de trouver un compromis, mais c’est ainsi que le processus fonctionnait. Donc, quand est venu le moment de décider sur un nouveau candidat à la présidence l’année dernière, j’étais confiant que les discussions allaient se passer de la même façon, même si à ce niveau, beaucoup de membres de l’organisation avaient été tués, et tant d’autres se cachaient, étaient en exile ou en prison. Je n’ai fait aucune déclaration dans un sens ou dans l’autre sur ce qu’il fallait faire ou qui supporter. Je savais qu’ils prendraient la bonne décision de leur propre façon. Beaucoup des choses que « j »’ai décidé en tant que président étaient, en réalité, décidées de cette manière: la décision ne venait pas de moi, mais d’eux. Je parlais avec leurs mots. Les décisions que nous avons prises ont émergé d’un pur processus collectif. Les gens sont intelligents et leur intelligence est souvent surprenante.

Je savais que les sénateurs de Fanmi Lavalas qui ont décidé de soutenir Bazin allaient être bientôt confrontés avec la vérité, mais je ne savais pas comment cela allait arriver puisque la vraie décision émergeait du peuple, d’en bas, non d’en haut. Et personne n’aurait pu le deviner quelques mois à l’avance. Ne jamais douter de l’intelligence du peuple, de son pouvoir de discernement. Ai-je donné un ordre pour supporter Bazin ou pour s’opposer à Bazin ? Non, je n’ai donné aucun ordre quelqu’il soit. J’ai fait confiance à l’adhésion pour arriver à la vérité.

Bien sûr l’organisation est guidée par certains principes et j’ai attiré l’attention sur certains d’entre eux alors. En Afrique du Sud, en 1994, aurait-il pu y avoir des élections justes si Mandela était encore en prison, si Mbeki était encore en exil, si les autres membres du ANC étaient dans la clandestinité ? La situation en Haïti ces dernières années était très semblable : il n’aurait pas pu y avoir de justes élections avant que les prisonniers aient été délivrés, avant que les exilés aient été autorisés à rentrer, et ainsi de suite. J’étais prêt à m’expliquer à ce sujet, comme une affaire de principe général. Mais au-delà de cela, se déclarer pour tel ou tel candidat, telle ou telle ligne de conduite, non ce n’était pas à moi de le dire.

PH: Comment voyez-vous l’avenir? Que va-t-il se passer dans le future? Peut-il avoir un vrai changement en Haïti sans faire face directement à la question des privilèges de classe et du pouvoir, sans trouver une façon pour venir à bout de la résistance de la classe dominante?

JBA: Nous devrons faire face à ces questions, d’une façon ou d’une autre. La condition sine qua non pour le faire est sans aucun doute la participation du peuple. Une fois que le peuple peut véritablement participer dans le processus démocratique, alors ils pourront trouver un moyen acceptable pour continuer. De toute façon, le processus est irréversible. Il est irréversible au niveau mental. Maintenant les membres des secteurs pauvres de la société haïtienne ont maintenant une expérience de démocratie, et ils n’accepteront pas l’imposition d’un gouvernement ou d’un candidat. Ils l’ont démontré en février 2006, et je sais qu’ils continueront à le démontrer. Tout revient, à la fin, au principe simple que tout moun se moun – chaque homme est un homme, chaque personne est capable de penser par elle-même. Ceux qui n’acceptent pas ce principe, lorsqu’ils regardent les nègres d’Haïti – consciemment ou inconsciemment, c’est ce qu’ils voient – ils voient des gens qui sont trop pauvres, trop grossiers, trop ignorants, pour penser par eux-mêmes. Ils voient des gens qui ont besoin que d’autres décident pour eux. C’est une mentalité de colon, encore très répandue dans notre classe politique. C’est aussi une projection: ils projettent sur les gens le sentiment de leur propre faiblesse, de leur propre inégalité dans les yeux du maître.

Donc, même si nous n’avons pas encore de structures et d’institutions démocratiques viables, il y a déjà une conscience démocratique collective, et ceci est irréversible. Février 2006 montre quels sont les acquis, il montre où nous en sommes sur la voie de la démocratie, malgré le coup, malgré deux ans de violence féroce et de répression.

Ce que l’on ne sait pas encore c’est le temps que cela prendra. Nous pouvons aller très vite, si à travers leur mobilisation, le peuple rencontre des interlocuteurs disposés à écouter, à dialoguer avec lui. S’il ne les trouve pas, cela prendra plus longtemps. De 1992 à 1994, par exemple, il y avait des gens dans le gouvernement américain qui étaient disposés à écouter plus au moins, et cela avait aidé à faire avancer le processus démocratique. Depuis 2000, nous avons dû négocier avec un gouvernement diamétralement opposé à son prédécesseur, et tout s’est ralenti considérablement ou est allé à reculons. Le problème n’est pas seulement haïtien, il n’est pas situé à l’intérieur de Haïti. C’est un problème pour Haïti qu’il soit situé hors de Haïti ! Les gens qui la contrôlent peuvent accélérer les choses, les ralentir, les bloquer complètement, comme ils veulent. Mais le processus en lui-même, le processus démocratique en Haïti, continuera d’une manière ou d’un autre, c’est irréversible.

Quant à ce qui va se passer maintenant ou prochainement, ce n’est pas clair. Les variables inconnues que j’ai mentionnées avant restent fortes et beaucoup dépend de comment réagiront ceux qui contrôlent les moyens de répression à la fois ici et à l’étranger. Nous devons encore trouver de nouvelles façons pour réduire ou éventuellement éliminer notre dépendance à l’égard des puissances étrangères.

PH: Quelle est votre prochaine étape personnelle? Je sais que vous espérez toujours retourner en Haïti le plus tôt possible: est-ce qu’il y a des progrès dans ce sens? Quelles sont vos propres priorités maintenant?

JBA: Oui : la dernière déclaration publique de Thabo Mbeki sur ce point date de février, quand il a dit qu’il ne voyait pas pour quelle raison particulière je ne devrais pas rentrer et cela reste encore valable. C’est une question de juger du moment opportun, de juger de la sécurité et de la stabilité de la situation. Le gouvernement Sud Africain nous a accueilli comme des invités, et non comme des exilés; en nous aidant si généreusement, ils ont contribué à la paix et à la stabilité en Haïti. Et une fois que les conditions seront favorables, nous y retournerons. Aussitôt que René Préval juge que le moment est opportun, alors je rentrerai. Je suis prêt pour rentrer demain.

PH: Dans les yeux de vos adversaires, vous représentez toujours une grande menace politique.

JBA: Des criminels comme Chamblain et Philippe sont libres de marcher dans la rue, même maintenant, mais je devrais rester en exil parce que quelques membres de l’élite pensent que je représente une grande menace ? Qui est la vraie menace ? Qui est coupable et qui est innocent ? Ou nous vivons dans une démocratie ou nous n’y vivons pas, soit nous respectons la loi, soit nous ne la respectons pas. Il n’y a pas de justification légale pour bloquer mon retour. C’est un peu comique : j’ai été élu président mais je suis accusé de dictateur par des gens anonymes qui sont redevables de personne et cependant ont le pouvoir de m’expulser du pays et de retarder ou empêcher mon retour [rires]. En tout cas, dès que je pourrai enfin rentrer, les craintes de ces gens vont s’évaporer comme la brume car elles n’ont pas de substance. Elles n’ont pas plus de substance que la menace d’une action légale contre moi qui fut finalement abandonnée la semaine dernière, dès que les avocats américains qui étaient chargés d’entamer la procédure, se rendirent compte qu’il n’y avait rien.

PH: Vous avez aucun plan dans le future de jouer un rôle quelconque dans la politique?

JBA: On m’a souvent posé cette question et ma réponse reste la même. Il y a différentes façons de servir le peuple. Participer dans la politique de l’état n’est pas la seule manière. Avant 1990, j’ai servi le peuple, en dehors des structures de l’état. Je continuerai à servir le peuple, en dehors des structures de l’état. Ma première vocation était l’enseignement. L’une des grandes réalisations de notre deuxième gouvernement est la construction de l’Université de Tabarre, qui avait été construite entièrement sous embargo mais qui, en termes d’infrastructure, est devenue la plus grande université d’Haïti (depuis 2004, elle est occupée par des troupes étrangères). J’aimerais retourner à l’enseignement.

En ce qui concerne la politique, je n’ai jamais eu d’intérêt à devenir un leader politique « à vie». C’était Duvalier: président à vie. En fait c’est aussi de cette façon que la plupart des partis politique en Haïti fonctionne encore : ils servent les intérêts d’un individu particulier ou d’un petit groupe d’amis. Souvent ce n’est qu’une douzaine de personnes, groupés autour de leur chef à vie. Ce n’est pas de cette façon qu’une organisation politique doit travailler. Une organisation politique est composée de ses membres, elle n’est pas l’instrument d’un seul homme. J’aimerais bien sûr aider à consolider l’organisation. Si je peux aider dans la formation de ses membres, si je peux accompagner l’organisation dans son développement, je serais alors heureux d’être en service. Fanmi Lavalas a besoin d’être plus professionnel et a besoin d’avoir plus de discipline interne; le processus démocratique a besoin de partis politiques fonctionnant correctement, partis au pluriel. Donc, je ne dominerai, ni ne dirigerai le parti, ce n’est pas mon rôle, mais j’y apporterai ce que je peux.

PH: Après toutes ces longues années de lutte et après les échecs de ces dernières années, quel est votre sentiment général sur la situations ? Etes vous découragé, optimiste ?

JBA: Je ne suis pas découragé. Vous enseignez la philosophie ainsi permettez-moi de formuler ma réponse en termes philosophiques. Vous savez que nous pouvons penser la catégorie d’être soit en terme de potentiel, soit d’action, en puissance ou en acte. C’est une distinction aristotélicienne familière : être peut être potentiel ou actuel. Tant qu’il est potentiel, vous ne pouvez pas le toucher ou le confirmer. Mais c’est, néanmoins, il existe. La conscience collective du peuple haïtien, leur mobilisation pour la démocratie, ces choses ne sont peut être pas encore complètement actualisées mais elles existent, elles sont réelles. C’est ce qui me soutient. Je suis soutenu par ce potentiel collectif, la puissance de cet être potentiel collectif [cet être collectif en puissance]. Ce pouvoir n’a pas encore été actualisé, il n’a pas encore été engagé dans la construction d’assez d’écoles, de plus d’hôpitaux, de plus d’opportunités mais ces choses vont venir. Le pouvoir est réel et c’est ce qui anime la voie de l’avenir.

[FIN]

Note de l’éditeur : cette interview a été conduite à Pretoria, le 20 juillet 2006; elle a été traduite et éditée par Peter Hallward, professeur de philosophie à l’Université de Middlesex. Une version abrégée de l’interview paraît dans London Review of Books 29:4 (22 février 2007), http://www.lrb.co.uk/v29/n04/hall02_.html. Le texte de l’interview complète paraîtra en appendice du prochain livre de Hallward Damming the Flood: Haiti, Aristide and the Politics of Containment, en été 2007.

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