John Ross : « Vingt questions pour Big Al, l’Autre Campagne et l’Armée Zapatiste de Libération Nationale »
Discussion et Débat à Propos de la Fracture entre la Gauche Anticapitaliste et la Politique Électorale au Mexique et en Amérique
Par John Ross (questions) et Al Giordano (réponses)
Spécialement pour « The Narco News Bulletin »
4 aoüt 2006
Édité en anglais juin 19, 2006
Al Giordano : Le journaliste John Ross m’a envoyé au cours des semaines dernières plusieurs emails critiquant l’Autre Campagne Zapatiste au Mexique et la couverture qu’en fait Narco News, la considérant trop manquer de sens critique. La semaine dernière il m’envoya « 20 Questions » qui reflètent la frustration de John. Le temps presse : j’examinais si cela valait la peine de répondre à ces questions qui sont pour l’essentiel de fausses questions , abondant en exposés de « faits » sans fondement, basés sur de pures suppositions de John, comme je le signale ci-dessous
Dans l’ensemble, ces « vingt questions » qui sont émaillées de références aux « supporteurs sans scrupule » et au « totalitarisme stalinien » et dont certaines touchent directement l’Autre Campagne en train de gâcher les élections mexicaines qui se terminent le 2 juillet, donnent un argument où il y a un contre argument. Les questions de John et mes réponses sont le reflet de débats historiques sur la gauche et au sein des mouvements sociaux en général et dans toute l’Amérique Latine en particulier. Si John est assez honnête pour les poser tout haut, il se pourrait qu’il y en ait d’autres qui se les posent tout bas – ou répètent leurs affirmations errantes comme des « faits ». Par conséquent je pense qu’il serait utile de répondre à John ici et – puisque ni John ni moi n’auront le dernier mot sur de tels grands et vastes sujets – j’invite nos 288 coéditeurs, et tout autre personne désireuse de signer de son nom, à rejoindre la table ronde en envoyant vos commentaires à narconews@gmail.com.
20 Questions
John Ross : Pourquoi n’y a-t-il pas eu de communiqués de la Comandancia du EZLN depuis le commencement de l’Autre Campagne le 1er janvier ?
Al : Pourquoi le demandez-vous à moi, cher ami ? Je ne parle pas au nom du EZLN et je ne vais pas parler au nom de cette organisation ni aucune autre dans les vingt réponses suivantes. Mais je peux, comme n’importe quel autre confrère, vous aider à chercher l’information qui se trouve déjà dans les archives publiques. Un « cours de rattrapage sur l’Autre Campagne est de règle.
En novembre 2005 est paru un communiqué signé par le CCRI-CG du EZLN (« Comité Indigène Révolutionnaire Clandestin – Etat major Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale »). Le Sous commandant Marcos l’a signé (pour la « Commission Sexta ») ainsi que le Lt.Colonel Moises (pour le « Comité Intergalactique »). Il annonce une «consultation sur le net » pour les gens du monde entier et une page web pour y participer. Vous pouvez y lire des communiqués signés du Lt.Col.Moises écrit du Chiapas en 2006. Donc on ne peut pas dire que l’on n’entendait pas parler de la forêt à cette époque, ni que la Comandancia n’a pas accès à la parole chaque fois qu’elle veut émettre un communiqué – réellement tout le monde sur terre peut envoyer un message à cette page . Votre question semble impliquer que ce que vous entendez comme silence révèle d’une certaine façon un manque de confiance dans ce que fait Marcos sur le parcours de l’Autre Campagne,
Je l’entends différemment. Dans ce cas, le silence équivaut au consentement, à l’approbation : une ratification. Par ailleurs, toutes les fois que les zapatistes du Chiapas n’ont pas gardé silence, ils ont communiqué leur consentement et leur approbation – et leur enthousiasme – pour la direction prise par l’Autre Campagne.
Mais votre question, en fait, s’inscrit dans le contexte des questions qui suivent. Aussi voyons la question numéro deux…
John : Pourquoi les Juntas de Buen Gobiernos (JBG) en exercice dans les cinq Caracoles n’ont-elles pas émis beaucoup de communiqués depuis le 1er janvier ?
Al : Qu’entendez-vous par « pas beaucoup » ? Je compte quatre communiqués venant des municipalités autonomes zapatistes pendant ces trois dernières semaines. On peut les lire sur la page de liaison. Il y a eu treize communiqués de cette sorte, en tout et pour tout, depuis le 5 mars.
Avant ça, je vois une communiqué du « JGB » (Assemblée de Bon Gouvernement) du « Caracol » (siège du gouvernement autonome) de Roberto Barrios, un autre datant du 17 février du JBG du Caracole d’Oventik, et un autre datant du 14 février du JBG du Caracol de Realidad, tous publiés sur notre page denuncias, ainsi que tant d’autres venant de tant d’autres organisations de tant d’états qui sont aussi, comme le EZLN, part de l’Autre Campagne.
D’après ce que je peux voir, 2006 a apporté plus de communiqués des municipalités Zapatistes autonomes que les autres périodes de cinq mois au plus de l’histoire zapatiste. Etant donné la différence de mes souvenirs et les faits que je viens de citer, pensez-vous que votre question ait encore un sens ?
Votre question suivante répète le même thème…
John : Pourquoi n’y a-t-il pas de comandantes indigènes qui accompagnent le Délégué Zéro sur l’Autre Campagne ?
Al : Cette question, qui diffère des deux précédentes, repose sur un fait réel : il n’y a pas eu, d’après mon observation, de comandantes EZLN avec Marcos sur la piste de l’Autre Campagne hors du Chiapas. C’est une décision qu’ils ont pris – et annoncée – bien avant 2006. Je suis d’accord avec cette décision, en particulier après avoir été témoin de cette vague de répression à Atenco et, en fait avant, à San Blas Atempa et dans d’autres endroits.
C’est la Comandancia, après tout, qui a envoyé Marcos pour qu’il soit leur « éclaireur » et dont les membres, selon leurs propres mots, le suivront deux par deux, restant de longues périodes dans chaque état, pendant la Phase Deux, une fois achevé le premier tour national. Je voudrais rafraîchir votre mémoire en revenant sur les explications du Lt.Col.Moises, en date du 16 septembre, expliquant pourquoi ils envoyaient un éclaireur en premier – Marcos – pour faire le compte rendu en terrain national de tous les endroits vers lesquels se déploieront plus tard les comandantes et insurgés. Voilà ce qu’a dit Moises :
« Pour nous, il est de notre devoir d’explorer le terrain où nous allons emmener nos compagnons et compagnes de nos peuples, nous sommes comme ça, les militaires, il y en a toujours qui partent en avant-garde. Nous appelons avant-garde ceux qui vont devant, et qui voient ce qu’il y a au-delà du terrain, que nous ne connaissons pas encore, et leur tâche est de détecter ce qu’il y a ; si le terrain est marécageux, pierreux, épineux, et d’autres situations que l’avant-garde observe et dont elle nous informe pour savoir quoi faire et comment le faire.
Nous savons que vous concevez l’avant-garde comme celui qui va diriger, ou ceux qui savent comment on doit lutter ou ceux qui commandent, et que ce sont les seuls et qu’ils ont raison et savent plus et mieux…..Nous, nous ne l’entendons pas ainsi, l’avant-garde pour nous c’est … celui qui va reconnaître le terrain, qui est pour nous un terrain inconnu, et où il est nécessaire d’aller pour avancer dans la lutte ; ce travail nous revient à nous, les militaires, l’exploration du terrain….
Le travail de reconnaissance du terrain de l’avant-garde pour l’Autre Campagne est revenu au compagnon Sous-Commandant Insurgé Marcos. Ce sera le premier à sortir, et derrière lui nous aussi, nous relayant pour faire le travail… ».
-Lieutenant Colonel Moises
Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN)
16 septembre 2005
C’est exactement ce que le EZLN a dit qu’il ferait depuis le début. Il me semble très naturel et logique à moi qu’ils tiennent leur parole et suivent leur plan.
John : Pourquoi les voix des femmes Zapatistes ne s’entendent-elles pas dans l’Autre Campagne ?
Al : Oh, frère : pourquoi adresses-tu cette question à un homme ?
Vous semblez avoir oublié que c’est une commission du EZLN (« la Sixième Commission ») qui a proposé le plan de l’Autre Campagne et qui comprenaient huit femmes zapatistes –Gabriela, Rosalinda, Keli, Delia, Ofelia, Yolanda, Ana Berta et Graciela – et sept hommes plus Marcos. Vous vous en souvenez – ces personnes avec des masques de ski – qui étaient l’été dernier au six réunions d’organisation, dans la forêt, et auxquelles vous avez participé au moins à une.
Le 16 septembre, lorsque nous avons entendu Marcos et Moises donner des renseignements sur la proposition de l’Autre Campagne, nous avons aussi entendu parler la Comandanta Ramona (quatre mois avant sa mort), la Major Ana Maria, la Comandanta Susana et plusieurs autres femmes comandantas, nous enjoignant tous de nous mettre à l’œuvre pour réaliser leur projet: L’Autre Campagne.
Je sais que avez assistez à d’autres événements et réunions de l’Autre Campagne depuis le premier de l’an car nous nous sommes vus. Admettez-le, je vous en prie, car votre question a d’autres implications : durant toutes ces réunions on entendait parler les femmes autant que les hommes, dans certaines plus de femmes que d’hommes parlaient et les femmes aussi ont dirigés certains événements, comme le concert des femmes sans peur du 22 mai où Marcos était l’un des deux seuls hommes à parler sur scène.
Vous étiez là le 1er janvier au Chiapas quand, selon notre compte rendu écrit par Giovanni Proiettis, les Commandantes Keli et Hortensia ont pris la parole convoquant Marcos à entreprendre son voyage.
Ça fait pas mal de temps qu’on ne vous a pas vu. Je ne vous ai pas vu, John, dans les états de Quintana Roo, Yucatan, Oaxaca, Querétaro, Michoacán, Morelos, Guerrero, Tlaxcala ni dans l’état de Mexico. Je vous ai vu deux fois à Mexico lors d’événements. Nous avons entendu dans tous ces lieux la même participation des voix des femmes et des d’hommes (des enfants et des personnes âgées aussi). Dans notre équipe d’autres personnes ont noté la même chose dans les autres réunions qui avaient lieu dans d’autres états. Donc le point de départ de votre question n’est simplement pas exact. Les voix de femmes, d’hommes, de personnes âgées, d’enfants, d’indigènes et non indigènes et de bien d’autres secteurs ont été écoutées intégralement et pendant des heures jusqu’au bout. Dans toutes les réunions d’adhérents de l’Autre Campagne, tout le monde est invité à prendre le microphone. Tout le monde prend la parole aussi longtemps qu’il le veut. Votre question insinuante sous-entend autre chose. Il y a des montagnes de rapports sur la page de l’Autre Journalisme qui démentent votre déclaration. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot à ce sujet. N’importe qui lisant cette discussion a la possibilité de retourner vérifier les articles, via notre page et d’autres et il y a des milliers de témoins oculaires sur tout cela.
Maintenant, peut être par « femmes zapatistes » vous voulez dire celles avec des masques de ski sur la tête ? Comme Gabriela, Rosalinda, Keli, Delia, Ofelia, Yolanda, Ana Berta et Graciela ? Comme Ramona, Susana et Ana Maria et d’autres? Elles ont déjà expliqué pourquoi elles envoyaient Marcos en éclaireur et qu’elles s’en iraient lors de la prochaine vague.
In Chetumal – vous avez sans doute raté cette perle lors de la première halte de l’Autre Campagne hors du Chiapas – Marcos annonçait que la Comandanta Susana serait un des deux commandants Zapatistes qui irait vivre dans l’état de Quintana Roo pour s’occuper de l’organisation, le moment venu, en phase deux. Nous espérons rendre compte de son long séjour – et ses efforts d’organisation – sur cette péninsule.
John : Est-ce que L’Autre Campagne est une entreprise collective ?
Al : Oui. Je vous mets au défi de trouver un exemple de quoi que ce soit d’aussi grand qui ait été plus « collectif » que l’Autre Campagne. C’est facile de balancer un mot vague comme « collectif ». Citez-moi vos exemples d’autres efforts nationaux qui aient été plus « collectifs» que celui-là. Et voyons comment vous définissez « collectif » dans ce contexte.
Je soutiens que l’Autre Campagne a été plus collective car la collectivité ne se passe pas en haut, parmi les « grosses têtes du mouvement » avec un penchant pour le processus de groupe mais du bas où le travail se fait.
Quant à la Sixième Commission du EZLN – une des organisations faisant partie de l’Autre Campagne – je ne connais pas tous les détails de leur processus de prise de décision interne, bien qu’ils nous aient donné pas mal d’indices toutes ces années.
Je pense que vous voulez parlez de la relation entre les autres organisations (des centaines) et les individus (des milliers) qui font partie de l’Autre Campagne et vous vous demandez si le EZLN et son éclaireur, Marcos, n’ont pas une voix disproportionnée. Je pense que oui dans une certaine mesure et c’est accepté collectivement par toutes les organisations et les individus engagés.
C’est ma façon de voir et cela correspond à ce que le « Délégué Zéro » disait dans tous les états qu’il a traversés, à savoir que sa tournée à l’écoute et à la recherche de faits n’est qu’une partie de l’Autre Campagne mais aussi que tous nos efforts accomplis dans notre secteur (par exemple, le secteur du journalisme authentique, dont je fait partie, et où vous avez une place depuis le début) et notre organisation ou individuellement en forment partie. Nous avons de l’autonomie au sein de cette Autre Campagne et le EZLN a aussi de l’autonomie. Ils peuvent dire et faire ce qu’ils veulent. Nous aussi. Et vous aussi. Je remarque, John, que vous n’hésitez pas à dire ce que vous pensez,
Par exemple, en tant qu’adhérent, quand vous vous asseyez pour écrire une article ou un commentaire, le signalez-vous à un quelconque comité avant sa publication ? J’en doute. L’écriture est une tâche qui s’exerce au mieux dans la solitude. A l’intérieur de cet effort collectif il y a aussi des initiatives à niveau individu et organisation. Personne ne doit demander permission à personne pour faire ou dire quelque chose. Cela vaut pour Marcos : voulez-vous qu’il soumette ses communiqués à un comité supérieur avant de les envoyer ? Qu’en est-il du texte de ses discours ? Qu’en est-il de ses commentaires improvisés et sans préparation qui sont nombreux (Je gage que ses déclarations et ses actions les plus importantes et effectives ont été improvisées ; mais vous savez bien que j’ai un faible pour le jazz). Suggérez-vous que sa liberté de parole devrait être assujettie à une restriction préalable d’une commission ? Ce n’est pas l’objet de la Otra.
Dans la mesure où les réunions avec Marcos attirent en général plus de monde que les événements de l’Autre Campagne sans lui, cela reflète une sorte de décision collective. Chaque individu qui assiste à ces événements vote avec ses pieds. Ils –nous- y assistons car cela fait avancer nos combats de le faire.
En attendant, dans les douze états du nord du Mexique où Marcos n’a pas encore mis les pieds, il y a aussi une Autre Campagne, active et visible, de Tijuana à Juarez, de Monterrey à San Luis Potosi et partout ailleurs. Le EZLN n’y a fait aucune réunion. Pareil devrait-ils attendre que Marcos arrive pour se mobiliser ? Pas question ! C’est la beauté de la « Otra ». Personne n’attend plus les ordres des quartiers généraux. Ces jours sont finis dans les efforts de solidarité Zapatista. Et croyez-moi le chemin est tracé pour que d’autres mouvements dans d’autres pays utilisent cette recette – que l’on peut appeler « autonomie à tout va » – afin de réaliser de grandes avancées.
Cette nouvelle liberté de parole nous permet de faire l’Autre Journalisme avec l’Autre Campagne. Nous avons cette liberté aussi. Comme Marcos disait l’été dernier : prend ta place dans l’autre Campagne, garde-la et défends-la et ne laisse aucune autre organisation te l’enlever. Cette déclaration a été un tournant pour moi. Elle a signalé l’avènement longtemps attendu de la promesse d’autonomie, ici et maintenant et non comme quelque chose que l’on attend.
Que dire des efforts dans le monde entier – les marches et les actions dans des dizaines de villes dans de nombreux pays – en particulier depuis les atrocités d’Atenco ? Est-ce que les gens qui s’organisaient à l’étranger attendaient sans rien faire la permission ? Ont-ils transmis leurs décisions, leurs slogans, leurs déclarations, leurs chansons, leurs processus de prise de décision ou autre à un comité central ? Non. Ils sont autonomes. Ça aussi c’est la « Otra » (et bien que dans ces 20 questions vous catégorisez l’Autre Campagne comme une entreprise «à moitié ruinée », admettez-vous au moins qu’elle a inspiré plus d’efforts de solidarité active dans plus d’endroits au monde qu’à un autre moment ces douze dernières années?)
Ce que vous sembler suggérer c’est que seule une des organisations impliquées –le EZLN – à cause de son pouvoir de convocation (fondé en partie sur son succès unique pour organiser une base populaire) devrait soumettre ses déclarations et ses actions –même les propositions qu’elle fait à la plus grande « Otra » – à un comité ou à un processus de groupe. Non seulement je ne suis absolument pas d’accord avec ça. Je ne voudrais pas participer à quelque chose d’aussi ennuyeux. Je ne peux rien imaginer de plus voué à l’échec qu’un « processus de groupe »de style-activisme gringo – rigide, affligé de rétention anale et plaçant les « orateurs » qui aiment assister aux meetings comme des patrons auto-nommés des « acteurs » – pour miner le bon travail et le moral de tout le monde.
La Otra arrive pour rompre ce scénario de défaite. Et tant que ça durera, nous seront là pour en informer. Car ce qui attire aussi beaucoup d’entre nous dans cette histoire, c’est la façon dont la recette développée ici peut s’appliquer dans d’autres pays – comme les USA –pour rompre avec cet horrible et tragique activisme de la «politique identitaire » du monde prétendu développé, activisme fanatique du contrôle, bureaucratique et maniaque.
Quand l’ « Autre Campagne » atteindra la frontière des USA et se réunira avec les mexicains de « l’Autre côté » à Juarez et à Tijuana, ce sera un test important pour savoir si cette même « autre » manière de s’organiser –autonomie partout- peut prendre racine dans une culture activiste qui souffre encore des nombreux vices dont La Otra nous a libéré ici-bas.
John : Comment Marcos s’est-il empêtré dans cette guerre débile de desgaste (guerre d’usure) qui a moitié ruiné l’Autre Campagne ? (Réponse -absence de prise de décision collective)
Alt : Comme je j’ai répondu plus haut, l’existence ou l’absence de prise de décision collective (ou desgaste) se trouve dans les yeux du….spectateur .
D’où je suis, en tant que non-spectateur – avec mon expérience, décrite plus haut, montrant que je n’ai jamais fait partie d’un mouvement mené d’une façon plus collective que celui-là – il n’y a pas de « guerre d’usure », l’Autre Campagne n’est pas du tout « à moitié ruinée » et que vous pensiez différemment démontre simplement que vous n’avez pas « encore » pris, ni gardé, ni défendu votre place» dans cette entreprise.
Après le Jour des Elections au Mexique, le 2 juillet, l’Autre Campagne sera encore là tandis que tous les comités de campagne électorale et les partis politiques auront brûlé toutes leurs cartouches, avec un seul gagnant possible et même ça pourrait être mis en question. Votre « déclaration de fait » que l’Autre Campagne « est à moitié ruinée » et « en guerre d’usure » va s’avérer faux dans à peine deux semaines, John, aussi, prenez votre mal en patience et vous verrez que ce que je dis ici se démontre vrai ou du moins le sera très bientôt.
Collective, schmollective : Le EZLN est une armée. Vous le saviez déjà. Elle a toujours admis qu’elle est hiérarchisée, qu’elle a une ligne de commandements. Il y a des années que vous le savez et ça n’avait pas l’air de vous turlupiner avant.
Puisqu’un mot comme « prise de décision collective » est sacrément vague, j’aimerais entendre votre proposition précise sur la façon dont vous pensez comment les décisions doivent être prises.
L’Autre Campagne est une entreprise horizontale qui comprend des collectivités, quelques syndicats (qui ont leur propre forme d’organisation), des ONG avec leur direction et leurs salariés pour quelques unes et des organisations locales ad hoc autour, des artistes, des communicants, des comités indigènes avec leurs différentes méthodes propres de prise de décisions de place en place et, oui, quelques organisations avec une hiérarchie de commandements.
Voulez-vous que l’Autre Campagne soit plutôt une entreprise hégémonique ? Toute organisation qui adhère à la Otra doit-elle se soumettre à un test de pureté et n’être admise que si elle a un système de prise de décision « collectif » ? De tout façon qu’est-ce-que ce sacré « système de prise de décision collectif » ? Cela veut-il dire qu’un mouvement national doit travailler par consensus ? Ou selon les Règles de Procédure de Sr Robert, Ou avec des élections ? Devons-nous présenter notre propre liste de candidats, L’Autre Campagne doit-elle tenir des assemblées gigantesques avant de prendre une décision tactique ? Et que dire des gens des provinces qui ne peuvent pas voyager si facilement ? Les gens d’une région, disons Mexico, doit-elle prédominer ? Ou des groupes avec beaucoup d’expérience qui manœuvrent le vrai peuple avec des astuces « de dynamique de groupe » plein les manches, doivent-il être responsables ? Les gens qui aiment aller aux réunions– je les appelle « les orateurs » – doivent-ils avoir le dernier mot sur ce que peut faire ou ne pas faire ceux qui font l’organisation de base – je les appelle « les acteurs »- ? Bien, c’est là que je dois sauter du train. Et un grand nombre d’autres « acteurs », qui ne peuvent encaisser les réunions stupides pleines d’ « orateurs » qui ne font rien ou presque, prendraient sans doute la même porte de sortie. Non pas pour protester mais simplement parce qu’un grand nombre de personnes créatives ne tolèrent guère la tyrannie des meetings, même si leurs processus se prétendent démocratiques.
L’Autre Campagne est ainsi faite pour que tout un chacun -vous compris, John- voulant prendre des initiatives et mettre de l’huile de coude pour faire quelque chose, puisse commencer à le faire à l’intérieur des paramètres qui ont été établis lors des six gigantesques meetings l’été dernier où tout le monde, vous inclus, a eu son tour au microphone. La Sixième Commission des 16 Zapatistes écoutèrent toutes les 106 heures de témoignages, sans interruption, ni roulement d’yeux à tout ce qui se disait, les formulèrent ensuite en une proposition. Des milliers de personnes et d’organisations exprimèrent leur accord avec enthousiasme et la volonté de participer à cette stratégie. Une campagne nationale gigantesque fut lancée et continue à présent. Des suggestions sont faites tous les jours sur la messagerie du Sous-commandant Sup’s weblog et beaucoup se réalisent. De notre petit coin, nous avons fait diverses suggestions à la Sixième Commission via email pour dire comment l’Autre Campagne pouvait nous faciliter la couverture de la Otra à nous et à d’autres et la plupart se concrétisèrent rapidement. Il est clair que la Sixième Commission –et le Délégué Zéro- lisent leurs emails attentivement et prennent en considération chaque chose et chaque personne. Ce qui est, pour moi, « diriger par obéir » et le prototype de l’effort collectif.
En tous cas je doute beaucoup que vous ayez écrit vos « 20 questions » en comité ou que vous ayez « pris une décision collective » ou même fait un effort collectif pour les formuler. Je ne serai jamais pour qu’on soumette vos écrits ou ceux d’un autre à ça. Mais pourquoi, comme le sous-entend votre question, devrait-on uniquement censurer Marcos de la sorte ?
John : Pourquoi a-t-on imposé une Alerte Rouge aux communautés Zapatistes autonomes du Chiapas ? Quel était le danger ? Pourquoi n’a-t-elle pas été annulée ?
Al : C’est une question militaire. Je suis civil. Etant donné que je ne suis pas résident des communautés Zapatistes autonomes du Chiapas, je considère que ce n’est pas mon rôle de répondre en leur nom. Encore une fois, je respecte leur autonomie comme elles respectent la mienne…et la vôtre et celle de n’importe qui. Ce que je peux dire c’est que depuis que l’on a déclaré l’Alerte Rouge, l’équipe de l’Autre Journalisme et moi, nous avons fait plus de travail par jour qu’avant et c’est ce qui vous indique le mieux que nous somme d’accord avec les décision autonomes prises par une de nos organisations co-adhérentes, le EZLN.
Nous ne recevons d’ordres de personnes et nous respectons le fait que d’autres organisations adhérentes –le EZLN inclus- n’en reçoivent pas de nous. En tout cas, vu comment vont les choses, je ne prévois rien qui pourrait nous faire vouloir supprimer un effort auquel nous croyons plus aujourd’hui qu’au début.
Dans l’Autre Campagne, personne venant d’une organisation différente au sein d’une plus grande, ne pourra jamais dire ce que doit ou ne doit pas faire le EZLN ou l’Ecole de l’Autre Journalisme du Narco News, ou Marcos ou John ou qui que ce soit. Ces jours sont passés grâce à La Otra. C’est une évolution que nous applaudissons tous, nous qui votons avec nos pieds et occupons cette salle de presse.
John : Pourquoi l’Alerte Rouge, mécanisme politico-militaire du EZLN représentant le niveau de danger le plus haut, a-t-elle été imposée par le Délégué Zéro de Mexico alors, qu’ en fait, le Délégué Zéro n’est plus le commandant des forces militaires Zapatistes ?
Al : La supposition dans votre question –que Marcos (« Délégué Zéro ») « n’est plus » le commandant militaire du EZLN est incorrecte. Comme nous l’avons signalé pendant l’Autre Campagne, Marcos est encore le commandant militaire du EZLN. Je ne sais d’où vous avez pris cette fausse idée. Aussi récemment qu’en avril dans le Guerrero, quand Marcos a rencontré la Police Communautaire de Guerrero, il s’est présenté comme « commandant en chef » des soldats et officiers du EZLN, les saluant de soldat à soldat. Je n’ai rien dans mes souvenirs ni mes notes sur des réunions– y compris l’été dernier, lors de la présentation du plan– qui ait pu suggérer qu’il ait cessé de l’être.
Ce qu’on a souvent dit c’est qu’un plan est en place s’il arrivait quelque chose au chef militaire –Marcos – pour que quelqu’un d’autre prenne le commandement militaire. Mais cela ne doit pas du tout se confondre avec la suggestion qu’il ait été déplacé de son poste.
En tous cas vous et tout le monde ont vu qu’au moment de la déclaration de l’Alerte Rouge, les communautés Zapatistes du Chiapas ont agi en accord. Cela n’indique-t-il pas aussi le consentement ? Et vous ne savez pas si cela a été décrété, comme vous le sous-entendez, sans consultation ni consentement de la Comandancia. Toute personne extérieure au commandement du EZLN qui proclame savoir ce qui se passe derrière des portes fermées – ici et partout – ne sait rien. Ce sont des décisions conformes à l’organisation. Je les respecte.
John : Pourquoi Marcos commence-t-il l’Autre Campagne comme « Sous délégué » Zéro et maintenant s’appelle-t-il « Délégué Zéro » ?
Al : Vous pouvez retirer la question si vous voulez. Voila ce qu’a dit Marcos le 16 septembre, à l’annonce du programme de l’Autre Campagne :
« Mon premier voyage, comme je l’ai déjà expliqué, commencera au mois de janvier et finira au mois de juin. Pendant six mois celui qui s’appelle le délégué zéro –c’est-à-dire moi- fera un premier tour à travers le pays pour tenir des réunions par état pour l’Autre Campagne et mettra en place le transport, le logement, la restauration et le déplacement de la Sixième Commission. »
Il a dit « délégué zéro », rien de sous délégué.
Voici le lien de la traduction du discours complet, prononcé du même podium où se tenaient assis tant de comandantes (et comandantas) pour parler. Personne n’exprima son desaccord. Il y a un lien sur cette page avec le texte original en espagnol. Les mots « sous délégué » ne sont pas utilisés. Peut-être y-a-t-il une confusion à cause de son autre titre de sous commandant ? Il a toujours été les deux : Sous commandant et Délégué.
Il y a eu un communiqué – du 26 décembre- je donnerai le lien quand j’y ferai référence ci-après- où il signe « Sous-délégué ». C’était un jeu de mots. Peut-être l’a-t-il fait en d’autres occasions. Enfin, John, vous êtes poète. Comprenez.
Votre question semble impliquer qu’il est parti dans son propre show et que la Comandancia ne le soutient pas. Mes ces mots viennent d’un communiqué signé du fameux « CCRI-CG du EZLN », un communiqué qui finit avec les signatures des sept femmes et six hommes au commandement : les voici :
…La Sixième et l’Autre Campagne n’appartiennent désormais plus seulement à l’ EZLN, mais à tous ceux et à toutes celles qui la font leurs.
Pour le Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène- Commandement Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale,
Commandante Ramona,
Commandante Susana,
Commandante Esther,
Commandante Miriam,
Commandante Hortensia,
Commandante Gabriela,
Commandant David,
Commandant Tacho,
Commandant Zebedeo,
Commandant Ramón.
Pour les troupes insurgées et miliciennes de l’Armée Zapatiste De Libération Nationale, Lieutenant-Colonel Insurgé Moisés.
Pour la Commission Sixième de l’EZLN,
Sous-Commandant Insurgé Marcos.
J’espère que cela dissipe tout malentendu. A la question suivante………
John : Pourquoi pendant son apparition à Tlatelolco le 3 mai , après avoir vu le reportage télévisé sur le premier jour de la bataille d’Atenco et conscient que la couverture signalait une répression brutale de la part du mal gobierno (mauvais gouvernement), le Délégué Zéro a-t-il incité les adhérents de la Otra Campaña à se rendre immédiatement à Atenco où ils furent arrêtés, frappés et violés et même assassinés (Ollin Alexis) le jour suivant, le 4 mai ?
Al : Votre question est basée sur de fausses déclarations, encore une fois. Heureusement, il y a des reportages audios et vidéos, des transcriptions et des traductions qui réfutent votre « description des faits ». Voici ce qui a été dit à Tlatelolco, citation :
« En tant que sixième Commission de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, organisation adhérente à l’Autre Campagne, nous demandons respectueusement aux coordinateurs régionaux et sous-régionaux dans tout le pays de convenir et de mettre en place des mobilisations en soutien du Front des Peuples pour la Défense de la Terre demain 4 mai, à 8 heures du matin.
En tant que Sixième Commission nous nous déclarons en alerte. Les troupes de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale viennent d’être déclarées en alerte rouge et à l’heure actuelle les Caracoles et les Municipalités Zapatistes Autonomes Rebelles seront fermées. A partir de maintenant, la nouvelle chaîne de commandement de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale est en fonction. Peu importe ce qui peut m’arriver, il y a des gens ici pour prendre des décisions. Nous ne vous connaissons pas tous mais aujourd’hui nous sommes tous Atenco.
Nous allons prêter attention à vos demandes. Nous vous appelons à vous réunir par secteur et par région pour que vous y réfléchissiez et conveniez des actions. En tant que Sixième Commission nous annulons toute notre participation aux activités programmées et attendons la parole du Front des Peuples en Défense de la Terre. S’ils ont besoin de notre présence là-bas, alors nous viendrons. Sinon nous participerons directement à une des actions que vous programmez pour demain à partir de 8 heures du matin ».
Prêtez attention, s’il vous plait, à ce qu’il a dit exactement. Marcos appelle à la mobilisation à partir de 8 heures du matin le 4 mai. Il n’a pas dit où. Et il a dit, cela vaut vraiment la peine de répéter : « nous attendons la parole du Front des Peuples en Défense de la Terre. S’ils ont besoin de notre présence là-bas, nous viendrons. Sinon nous participerons directement à une des actions que vous programmez pour demain à partir de 8 heures du matin. »
Il a dit attendez l’invitation du FDPT, l’organisation adhérente à Atenco. Il a dit que le EZLN attendait également cet appel.
Juste après qu’il ait dit ces mots, America del Valle, représentant ce même FPDT, demanda au gens de se mobiliser à 8 heures, le 4 mai, à l’Université de Chapingo (à l’extérieur d’Atenco) et aussi à un pont de Ecatepec (à l’extérieur d’Atenco). Ni elle ni Marcos ont dit aux gens de se précipiter à Atenco et aucun de ceux qui répondirent à l’appel et allèrent à Chapingo et à Ecatepec ne furent arrêtés, ni frappés, ni violés, ni tués, aucun d’entre eux.
En tant qu’adhérents, nous n’anticipons pas les décisions autonomes de chaque organisation ou individu. Nous sommes solidaires avec ceux qui décidèrent d’y aller (beaucoup d’entre eux sont maintenant blessés ou prisonniers politiques, un d’entre eux, Alexis Berhumea, est mort) et nous respectons aussi et soutenons ceux qui ont attendu que le FPDT les y invite (y compris le EZLN).
Pour nous –et c’est tout à fait l’esprit de la Otra comme nous l’interprétons– l’autonomie de chaque organisation, de chaque individu est prépondérante et digne de solidarité et de soutien. Les jours sont finis où des secteurs de mouvements sociaux pouvaient entonner : « Oh, mais nous, nous aurions fait autrement, par conséquent nous dégageons notre solidarité » et pouvait trouver un chœur important pour les accompagner, du moins en ce qui concerne l’Autre Campagne.
Je ne trouve rien de plus prétentieux que cette forme d’activisme qui insiste sur la pureté, qui accorde et retire ses alliances sur des querelles de tactique. Cette approche démodée et égoïste de la politique ne marche pas. C’est un excès de vanité. C’est considérer les mouvements sociaux comme des produits de consommation où le consommateur dit : « Bon, je vais faire affaire ailleurs ! » c’est stupide. Cela ne fait jamais gagner une seule bataille et cela en a causé la perte de beaucoup. La Otra est un retour du principe de « solidarité pour toujours ». C’était une chanson qu’on chantait – et une éthique qu’on vivait – quand les mouvements syndicaux et sociaux gagnaient des batailles. Tous pour un et un pour tous, c’est ça pour nous l’Autre Campagne.
John : Pourquoi le Délégué Zéro n’apparaît pas à Atenco avant le soir du 5 mai ?
Al : Car c’est le jour où il a été invité. Il y est allé le 5 mai –un jour après le raid de la police – avec des milliers d’autres gens, tous ensemble. Au moment où l’organisation locale – le FPDT -l’invita lui et les autres à venir. Cela me semble plutôt naturel et raisonnable.
Et pour souligner ce point, ce que les gens d’Atenco nous ont dit (car nous y sommes retournés de temps en temps depuis) c’est que Marcos – le 3 mai , en contact par téléphone portable avec leur porte-parole Nacho del Valle – proposa à plusieurs reprises de venir immédiatement. Nacho répondit que non, qu’ils étaient sur le point de se faire matraquer et qu’ils avaient besoin de l’Autre Campagne encore debout pour les en sortir après ça. Ceci, confirme pour moi l’intelligence de la stratégie et de la tactique de Nacho – et son désintéressement. Sous une répression et une pression énorme, il fit un appel de sang froid. Et c’est ce qui est arrivé. Tout le monde n’est pas allé en prison. Un mouvement existe à l’extérieur luttant pour la mise en liberté des prisonniers et qui a gagné jusqu’ici le relâchement de 189 détenus sur les 217 arrêtés.
Voici un credo que nous avons sans cesse répété autour de notre salle de presse tout le mois dernier en voyant les réactions des gens à la crise d’Atenco, qui passaient de l’héroïque à l’effective jusqu’à la maniaco-dépressive de ceux qui choisissent, dans le feu de l’action, de se plaindre et de lancer des flèches au lieu de travailler pour sortir nos gens de là : dans les moments de crise morale, se révèle le vrai caractère de chaque individu.
Le 3 mai et après, nous avons pu voir qui était méthodique, prudent, qui réussissait et tout sous d’énorme pression. Ce sont ces gens – non ceux qui ont des réactions automatiques dont la premier réflexe en temps de crise est de se mettre à commander les autres alentour comme si c’était un troupeau de moutons – qui mènent un mouvement à la victoire.
John : Pourquoi le Délégué Zéro a-t-il accordé à Télévisa une interview prolongée en studio avec le présentateur vedette Carlos Loret de Mola après avoir dénoncé et satirisé le monopole de la télévision pendant 12 ans et en dépit du passage au sénat de l’infâme « loi Télévisa » quelques jours auparavant ?
Al : Le 5 mai à Atenco –nous y étions en reportage et vous pouvez lire ici à ce sujet – Marcos annonçait d’une façon transparente qu’il accorderait des interviews sous des conditions très spécifiques au masse média qui garantirait que ses paroles seraient retransmises en entier et sans correction. La Jornada, Televisa, CNN et TeleSUR, dans cet ordre, fournirent ces garanties.
Personne – du moins pas en bas ni à gauche –n’a jamais posé ouvertement ces conditions à Télévisa ou à une autre grande chaîne TV, or c’est ce qu’il a fait.
Mon opinion c’est que cette interview – dans ce contexte important qui est omis dans votre question – fut une victoire pour la lutte contre les médias commerciales et une défaite pour Télévisa en particulier. Je le vois à la lumière de mon « manifesto » de 1997 : The Medium is the Middleman : For a Revolution Against the Media (avec des annotations de mises à jour reflétant l’évolution de ma pensée en 2002). L’Autre Campagne a forcé Télévisa à laisser cet antécédent que l’on peut désormais demander zéro censure de leur part en échange de l’octroi d’interviews. Et ce précédent établit aussi qu’on peut le faire de la façon que vous appelez « prolongée » (vous signalez la longueur de l’interview comme un reproche : Je dis non. Gagner le droit à l’accès prolongé aux ondes, sans interruption ni censure et non abrégée est l’antidote à la mentalité du spot archi-simplifié des actualités télévisées. En tous cas je suis en train de vous accorder une interview encore plus longue que celle-là, en ce moment…
En plus, je pense que l’interview elle-même avait son importance par ses mérites. Elle s’inscrit dans le renversement des rôles de « la version officielle » de l’histoire d’Atenco (qui était celle d’une foule violente et indisciplinée corrigée par les forces de l’ordre et de la loi) et l’a rendue à ce qu’elle est maintenant : une histoire d’un régime répressif et illégitime qui frappe, arrête, viole et tue pour arriver à ses fins. J’ai écrit à ce sujet dans « The Zapatista Other Campain and the Netwar Over Defining Atenco » le 26 mai, si vous voulez lire pourquoi cela a marché d’après moi.
La semaine dernière, nous avons vu comment ce « renversement des rôles » est entré en jeu à Oaxaca, conduisant à l’échec d’un raide policier fédéral similaire (cette fois avec des professeurs en grève) et à une réponse différente du gouvernement fédéral qui cette fois refusa la semonce du gouverneur d’envoyer des troupes fédérales taper sur des têtes. C’est le meilleur signe que la stratégie qui a introduit une apparition à Télévisa, mais sans se limiter du tout à cela, a marché.
John : Pourquoi le Délégué Zéro appelle-t-il maintenant dans les meetings publiques à renverser le gouvernement alors que dans le passé le EZLN a déclaré à plusieurs reprises que la prise du pouvoir d’état ne l’intéressait pas?
Al : Faire tomber un gouvernement est une chose .Prendre le pouvoir d’état serait une toute autre chose. Je ne suis pas d’accord avec votre déduction que c’est une seule et même chose. On peut détruire quelque chose et ne pas s’en désigner son propriétaire après. Peut-être le meilleur exemple en est, dans l’histoire du Mexique, Emiliano Zapata, lequel fit basculer le régime mais refusa de s’assoire sur la chaise du président quand on l’y invita.
Mais cela n’a rien de nouveau comme vous savez. Si l’on révise, comme nous l’avons fait, la somme totale de tout ce qu’a dit Marcos tout au long du parcours de l’Autre Campagne, dans tous les états, le message est essentiellement le même qu’il y a douze ans. Dans le premier communiqué de 1994, Déclaration de Guerre, ils jurent de « surpasser » les forces fédérales et de faire tomber le gouvernement, une fois la révolte à Mexico. Cela fait 12 ans que c’est répété. Et ça été sûrement répété dans la Sixième Déclaration, document que vous avez lu et signé. Vous êtes allé dans la forêt et avez également parlé comme adhérent. La Sexta appelle à la destruction du capitalisme. Vous n’avez alors exprimé aucun désaccord et je doute que vous ne soyez pas d’accord maintenant.
La totalité de vos questions – car en écoutant nous essayons aussi d’écouter ce que les gens ne disent pas tout haut – semble suggérer que le Délégué Zéro est en quelque sorte un individu solitaire, abandonné par sa base de soutien du Chiapas et que lui seul, avec ses dangereux pouvoirs hypnotiques, a détourné par magie vers un autre chemin. le EZLN et tous ceux engagés avec lui Vous suggérez presque qu’il a trahi les principes mêmes du Zapatisme. Ce n’est pas là l’histoire dont nous avons été témoin et que nous n’avons pas arrêté de raconter en route depuis cinq mois presque six. Ce scénario est imaginaire, un phantasme, une théorie sans preuve.
John, vous étiez pris par la rédaction finale de votre livre. Dans plusieurs articles que vous avez publiés pendant cette période, dans la rubrique description de l’auteur, vous dites « ne me dérangez pas, je suis pris par la rédaction finale de mon livre ». Peut être aurais-je dû vous déranger pour vous sortir dans un club de blues et vous présenter ces points de vue en buvant une bière ou deux. Cette priorité signifiait aussi que vous n’étiez pas tellement au courrant de l’Autre Campagne dehors dans les provinces, depuis janvier que vous étiez au Chiapas et plus récemment lors d’événements à Mexico. Et c’est – je le répète ici – votre décision autonome. Je la respecte. Je ne vais pas vous rabaisser et en déduire que vous êtes moins adhérent que moi ou que d’autres dans cette équipe. Nous affrontons tous ensemble le même peloton d’exécution. Mais vous avez des idées qui ne correspondent simplement pas à la réalité que nous avons vécue et constatée nous tous lors de nos voyages dans le sud et au centre du pays, au sein de cette équipe, sur les routes de cet Autre Journalisme. Notre expérience au cours de la tournée de l’Autre Campagne est légitime. Notre reportage a été d’une honnêteté impeccable. Or il nous conduit à des conclusions très opposées.
En tous cas j’arrive avec impatience à votre question suivante au sujet de Staline car elle va m’aider à mieux expliquer le concept d’autonomie absolue et quelques autres « principes essentiels » – de même que les impératifs stratégiques – derrière nos opinions…
John : Pourquoi le Délégué Zéro ne dit rien au sujet des portraits de Joe Staline qui apparaissent maintenant à chaque meeting ? N’est-ce pas le but de l’Autre Campagne de construire à partir d’en bas une gauche horizontale, miroir opposé du totalitarisme stalinien ?
Al : J’ai écrit à propos du poster de Staline –porté par une organisation (pas le EZLN) adhérant à l’Autre Campagne – lors de cette récente guerre des médias (netwar). Je pense que c’est une question intéressante. Mais commençons par une réflexion.
N’étant pas un enfant des années 1960, c’est la génération punk des années 1970 qui m’a formé, à New York notamment où elle atteint quelques unes de ses premières manifestations. Là-bas un artiste du nom de Arturo Vega était le « design director » du groupe musical les Ramones. C’était avant qu’ils aient enregistré leur disque. Comme Bob Dylan devait imprégner votre génération, ces punks ont imprégné la mienne. Et Vega – qui était membre d’un autre groupe musical, un duo du nom de Suicide – avait une appartement où vivaient les membres des Ramones et il y exerçait son art.
Un jour Vega monta un mur entier de croix gammées fluo – beaucoup dans le style, disons, des fluos « peace-and-love » des années soixante de l’artiste Peter Maxx – et il allait s’asseoir pour observer la réaction des gens quand ils entraient et voyaient son œuvre d’art provocatrice. La réaction des gens le faisait hurler d’une joie goguenarde. Il partagea plus tard ses réflexions avec McNiel et Gillian Mccain pour leur histoire orale du mouvement punk, Please Kill Me (1966, Grove Press).
Dans une critique sur ce livre pour le supplément littéraire de Phoenix Boston, je donnais cet argument que je reproduis ici :
Des gauchistes hyper-socialisés ont longtemps été contre la négation comme outil de changement du monde : « Il est certain que vous bouleversez les choses » disent-ils, « mais quel est votre programme ? »Le programme punk « c’était » le bouleversement. Le mouvement punk codifiait l’art de « ce qui n’est pas beau ». L’artiste Arturo Vega peignsit des croix gammées fluo qui décoraient l’appartement des Ramones. Il considérait les peintures « un détecteur de Nazi secret » démasquant ceux qui contestaient le plus bruyamment car réprimant leur propres tendances autoritaires (« pense toujours que pour vaincre le mal » dit-il « tu dois lui faire l’amour »).
Quand j’ai vu, lors des réunions dans la forêt de l’été dernier, le poster de Staline (ainsi que d’autres de Marx, Engels et Lénine) et j’ai vu les membres du Parti Communiste Mexicain l’entourer malicieusement comme s’ils montaient un poster sacrilège, c’était comme juste d’avoir gagné la révolution, j’avais, dans la forêt, « un moment punk rock à la Arturo Vega ».
D’abord cela m’embêtait de les voir là, tout comme je tique encore si je vois une croix gammée et je dois me rappeler la Doctrine d’Arturo Vega ou, d’ailleurs si je sens l’odeur d’un truc « New Age » (ce qui me semble un des fondamentalismes les plus puritain de notre époque, nous avons tous nos bêtes noires, non ?) et c’était le premier indice pour y regarder de plu près. Quand un discours m’embête, j’essaie d’observer mes propres réactions et non le discours (ou le poster, l’image ou toute autre forme de discours) car, en fait, mots et images –contrairement à l’opinion des gauchistes hyper-socialistes du monde développé et les créatures qu’il déforme en ce que nous sommes – ne dérangent personne. Comme un syndicaliste anarchiste de tendance Makhnovshchine (ce qui veut dire ennemi juré du stalinisme, non pas que la tendance à laquelle nous nous rattachons intéresse la plupart des gens, mais j’écarte celle-ci ), je devais vraiment réfléchir longuement au sujet des implications du poster de Staline.
Il était là : ce poster de Staline aux méchants yeux perçants, nous dévisageant tous quelque part dans les montagnes du sud-est mexicain, comme une scène d’un film d’horreur du Rocky Horror Picture Show. Un autre adhérent arriva avec une pétition demandant qu’on l’enlève. C’était le premier indice pour moi. Qu’un poster conduise un adhérent à vouloir censurer l’expression d’un autre adhérent. Je me dit : « Ah ah ! Voilà la face cachée du stalinisme dans l’Autre Campagne ! »Ce n’était pas tant dans un poster mais dans le besoin de le déporter en Sibérie. Le besoin d’extirper une, si ce n’est la, caractéristique qui définit le stalinisme.
Je dis au compañero : « rien ne t’empêche de placer un poster anti-Staline à côté », en refusant de signer sa pétition. Comme partisan absolu de la liberté de parole, je commençais à penser à tout ce vacarme différemment. Je commençais à regarder ces membres du Parti Communiste comme des rockers punk qui exposaient ce qu’ils considéraient être l’expression la plus sacrilège ou « radicale » et, comme Arturo Vega, observaient les réactions des personnes qui entraient. Ils adoraient définitivement cela. Cela semblait plus anarchiste que staliniste, cet esprit de méchanceté. C’était leur version du Coussin Péteur glissé sous les sièges des gens manquant humour.
Quand ils ont emmené ce poster sur le tour de l’Autre Campagne et qu’ils se sont mis à le brandir partout où Marcos apparaissait, j’ai du y réfléchir un peu plus sous l’angle de la propagande car la gueule de Staline n’est pas exactement attrayante pour beaucoup de bonnes gens. Naturellement tous les autres de tendances politiques différentes commencèrent à en parler entre eux. Les Marxistes-Léninistes du Parti Communiste Mexicain – un groupe différent du CP avec le poster de Staline, organisation qui rejette fermement le Stalinisme – et les Troskistes, les anarchistes, les punks, les pacifistes, les catholiques, les protestants, les ONG de type droits de l’homme, les excentriques des médias alternatives (votre compadre Hermann Bellinghausen dit que la Caravane est comme l’arche de Noé car il y en a au moins deux de chaque tendance) et tout le monde – sauf la grande majorité des gens sans« tendance » déclarée – parlaient du poster.
En même temps nous commencions à faire connaissance avec ces « staliniens », à partager nos repas avec eux, parler avec eux et il devenait évident que ces gens n’étaient une menace pour aucun d’entre nous. Ils avaient le sens de l’humour. Quand on devait organiser des trucs en vitesse, ils étaient vraiment bons. Ils travaillaient bien ensemble, en équipe. Nous pouvions les taquiner au sujet de El Gran Pepe. Et ils savaient se moquer de nous en nous traitant de mixture d’anar, de punks ou autre. Avec le temps, ils montrèrent par l’exemple ce que Marcos voulait dire en disant : « prend ta place dans l’Autre Campagne », garde-la et défends-la. » Car, mon vieux, ils devaient vraiment défendre ce mouvement d’un grand nombre de personnes qui voulaient enlever leur poster ou les bannir complètement. Ce fut ouvertement débattu à la session plénière du 16 septembre dans la forêt mais l’écrasante majorité des adhérents considéra le débat comme un spectacle dissident. Il n’y avait pas de lame de fond pour bannir le discours d’un autre. Ainsi pour la grande majorité de l’Autre Campagne, la motion de censure n’a pas été de mise il y a neuf mois. Et maintenant où aille le poster de Staline, des drapeaux anarchistes lui font de l’ombre : deux idéologies opposées qui trouvent un terrain d’entente dans l’Autre Campagne et s’entendent entre eux pour atteindre un but supérieur commun. Je trouve ça encourageant et non pas décourageant.
Sautons à Atenco, 4 mai : deux de ces compagnons avec le poster de Staline dont j’avais fait la connaissance au cours de tant de haltes sur la route –Bertin et Pedro – furent mis en prison. Nous nous battîmes exactement avec la même vigueur pour les en sortir que pour les autres. J’étais fier de les connaître quand ils ont brûlés publiquement leurs uniformes de prison, le 28 mai.
Le problème avec les gauchistes hyper-socialisés c’est qu’ils prêchent la tolérance à un niveau fétichiste pour « les groupes identitaires » (c’est à dire les classifications d’ethnie, de race, de genre, d’orientation sexuelle, etcetera) mais ne montrent aucune tolérance pour des différences d’opinion. Les pacifistes veulent que nous renoncions à la violence révolutionnaire et même à la confrontation et les militants veulent que nous renoncions au pacifisme et même à la non-violence. Les anarchistes veulent que nous renvoyions les communistes et les communistes veulent que nous mettions des coussins péteurs sous les sièges des anarchistes. Les hippies détestent les punks et les punks méprisent les hippies et il y a une armée de mômes sortant derrière nous qui voient les hippies et les punks comme vieux jeux (et ils ont raison comme les jeunes ont tendance à l’être à propos des générations précédentes) mais ils sont encore prêts à travailler avec nous dans l’Autre Campagne. Passons sur le coup de couteau dans le dos historique et les guerres de territoire qui eurent lieu – avant l’Autre Campagne- entre les organisations de médias alternatives : c’est pour l’essentiel fini maintenant. Dieu vous bénisse si vous êtes juste une personne normale qui n’affiche aucune tendance politique mais qui sait que l’injustice est un tord et qui croit simplement en la démocratie, la liberté et la justice. La gauche est tout le temps paralysée par cette mutuelle intolérance.
L’Autre Campagne a mis fin à cela, non pas en « bannissant », « censurant » ou « renvoyant » les gens mais en trouvant un meilleur chemin, plus attractif, vers l’unité. La co-existence de toutes ces tendances disparates à côté de tant de « gens normaux » aussi dans la caravane a prouvé que c’est faisable. Hermann a raison. L’Autre Campagne est le nouvel Arche de Noé. Elle nous fait traverser l’inondation. Quand la pluie s’arrêtera, nous pourrons vivre les uns avec les autres – collaborer – d’une manière que peu d’entre nous pensaient possible avant que le bateau quitte le port.
Quant à la décision de Marcos de ne « rien dire » (vos mots) à ce propos, demandez-lui. Je répète ce fut déjà débattu dans une assemblée de milliers d’adhérents et il y eu peu de soutien pour censurer l‘expression ou la tendance de quiconque dans l’Autre Campagne. Je me suis pleinement exprimé à ce sujet mais il est clair que mes conclusions diffèrent des vôtres. Ça ne m’embête pas, un poster : limogez-moi alors. Ceux qui semblent excessivement embêtés m’ont l’air de Mrs Teasdale confrontée à un autre Marx du nom de Groucho, un des Marx Brothers. Mes propres principes anarchistes anti-stalinistes – je les ai oubliés ou j’ai changé d’opinions sur les erreurs du stalinisme – me font défendre des discours même si je ne suis pas d’accord. D’un autre côté j’adore observer, à la façon d’Arturo Vega, des soi-disant anti-autoritaires se livrer à leurs propres impulsions de censure staliniste au nom de l’anti-stalinisme. Nous sommes tous dans un processus d’auto éducation, dans ce truc aussi. Vous êtes assis sur le coussin péteur. Belle affaire. Envoyez-le promener et de retour au combat. Si vous y croyez encore dur comme fer, apporter votre propre poster anti-staliniste au prochain événement au lieu de demander à Marcos ou à un autre de le faire pour vous. Ça aussi c’est l’Autre Campagne.
John : Pourquoi plusieurs adhérents qui assistèrent au ralliement du Zocalo le 10 juin en mémoire de Ollin Alexis furent-ils expulsés du meeting ? Étaient-ils des « porras » (agitateurs) comme le soutenaient une poignée de membres du Conseil Général de la Grève ?
Al : Je n’ai rien entendu sur l’événement que vous décrivez. Je n’y étais pas. Peut-être y étiez-vous. Mais mon esprit journalistique interroge : que voulez-vous dire par les gens furent « expulsés » du Zocalo ? Comment quelqu’un peut-il être « expulsé » d’un parc public, le plus public de tout le Mexique ? Se pourrait-il que l’Autre Campagne appelle la police ? J’en doute.
Maintenant on dirait sans doute qu’il ne parlerait pas s’ils étaient présents – cela est arrivé auparavant au cours de la tournée de l’Autre Campagne (Elena Poniatowska de la non-autre campagne étant la seule à s’en plaindre publiquement) – mais c’est le droit de tout un chacun de ne pas parler devant quelqu’un avec qui il ne veut pas parler. A certains moments dans mes concerts de blues, j’ai arrêté le concert parce que quelqu’un pour qui je ne voulais pas chanter, est entré et j’attendais qu’il soit parti pour recommencer. Peut-être avez-vous vu des choses semblables dans des lectures de poèmes. C’est le droit de chacun en tant que personne publique : le silence est un droit. Mais je doute fortement que quelqu’un ait été expulsé du Zocalo. J’aimerais lire votre compte rendu sur cette éventuelle expulsion. Mais cela ne passe pas le test de réalité, pas la façon dont vous l’avez décrite.
John : L’Autre Campagne n’est-elle pas censée être intégrative ?
Al : Je pense ce que je viens de dire concernant l’intégration même des stalinistes le prouve.
Mais ne surévaluons pas la capacité d’intégration. Nous avons tous payé cher le fait de laisser entrer dans nos vie ou nos projets quelqu’un avide de pouvoir, émotionnellement instable ou peut être provocateur. Pour faire de la place pour intégrer quelqu’un, il y a souvent exclusion de ceux qui feraient dérailler un projet. Pour faire de la place pour l’intégration de l’Autre Campagne – anticapitaliste et de gauche – il y a eu une exclusion marquée de militants, candidats et officiels de partis politiques électoraux. A cette phase du processus – dans la chaleur de la campagne électorale présidentielle – cela me semble raisonnable.
Ceux-ci attrapés dans l’horloge électorale –A 13 jours du compte à rebours – sont frénétiques, obsédés par une seule chose, un vote, une date. Uta Madre ! Même les supporteurs de Patricia Mercado – votre réel spoiler (candidat saboteur) cette année –en sont insupportables. Dès qu’ils entrent dans une pièce, rien d’autre ne peut se passer, tant ils sont zélés. Cette « Arche de Noé » qu’est l’Autre Campagne n’aurait jamais été construite si ces gens avaient été là, nous poussant encore et encore vers leur impératif électoral qui malgré toute leur ferveur religieuse, sera terminée dans moins de deux semaines. Noé n’avait pas non plus invité à monter dans le bateau deux espèces de variole. C’est ce jour là – la fin des élections et le commencement de « ce qu’il y a après » – je pense, que beaucoup de ceux qui ont abandonné l’Autre Campagne ou l’ont vu comme une plaisanterie commenceront à la comprendre vraiment pour la première fois. Car l’aveuglement électoral sera enfin passé et les faux espoirs que beaucoup se font dans ce qui se passe en haut commenceront à s’écraser sur l’écueil de la realpolitik.
John : Est-ce que le PRD est vraiment content de la mort d’Ollin Alexis, comme l’affirme le Délégué Zéro ? Le PRD est-il réellement aussi mauvais que le PAN ou le PRI ? Est-ce que le pire est meilleur ?
Al : Vous me demander encore de parler au nom de quelqu’un d’autre, cette fois des partis politiques. Un parti politique ne peut être content ou mécontent de rien. Seuls les individus peuvent être contents ou mécontents. Je suis sûr qu’il y a des membres dans chaque parti qui en sont attristés et d’autres qui en jubilent. Je ne suis pas sûr de l’exactitude de votre citation dans la réprobation de ce qu’a dit Marcos, puisque nous avons traduit virtuellement tout ce qu’il a dit à propos d’Alexis et je ne me rappelle pas une telle citation. Mais peut-être a-t-il dit une chose pareille. Je le répète : vous êtes poète. Si vous n’aimez pas le poème d’un autre poète, écrivez-en un meilleur. Il n’y a pas grand-chose à faire en ce qui concerne les mots d’un autre. C’est un but indigne que d’essayer de censurer quelqu’un d’autre.
Je peux répondre à une question : je ne crois pas que le pire soit le mieux. Je ne crois pas que les choses doivent empirer afin de créer les conditions objectives pour une révolution. Les choses sont suffisamment mauvaises comme ça. Nous n’avons pas besoin d’impulsion supplémentaire pour la révolte. Je ne crois pas non plus que l’Autre Campagne essaie de provoquer un parti franchement d’aile droite pour gagner la présidence du Mexique, comme on dit erronément au PRD (Parti de la révolution démocratique). Quelque chose d’autre se passe en bas et sur une horloge différente.
Je peux dire que j’ai fais mon temps dans la prison qu’est de regarder en haut. Je l’ai fait pendant des années comme reporter politique aux États-unis. Je l’ai fait en Amérique Latine. Quand Lula da Silva fut élu au Brésil, j’y suis descendu y vivre en espérant être témoin et partie d’un grand saut en avant. Mais ce n’est pas arrivé, non ? Et Lula était gauchiste de bonne foi ! C’était une dure leçon.
L’Autre Campagne a été très claire : comment voter ou si voter, c’est une décision personnelle. Elle ne voulait pas de militants d’aucun parti engagés avec La Otra – ce n’est pas nouveau, c’était annoncé dès le premier jour – et, à mon avis, c’était une requête intelligente. Il faut s’assurer que les gens qui seront hors du gouvernement – anti-capitalistes et de gauche – sont organisés ensemble pour confronter toute administration de parti, de gauche, de droite ou du centre, lorsqu’ il entre au pouvoir.
Je ne crois pas non plus que les élections au Mexique ou aux États-unis soient justes et libres ni même proches de la démocratie authentique. Aux US, je crois que Gore gagna les élections populaires de 2000 et que Kerry gagna les élections de 2004 et que les preuves de fraude furent bien documentées, quoique pas dans les masses médias. Je suis d’accord que les choses sont pires pour tout le monde car Bush est à la Maison Blanche et que sa défaite aurait été préférable. Mais les fraudes informatiques sont faciles à faire et difficiles à détecter. Je crois que nous en avons vu des exemples ces dernières années. Qui empêchera de le faire au Mexique, où on ne peut même pas avoir un inspecteur des élections qui comptent les votes à chaque bureau de vote ? Tout ce bavardage sur « comme la sécurité du comptage des votes à chaque bureau de vote a évolué, blablabla, c’est du vent. Si on ne peut compter les sacrés votes au bureau de vote, on ne peut garantir l’absence de fraude informatique, à la 1988.
De plus je crois que l’argent et le coût des médias rend de telles élections injustes dès le départ. C’est une mauvaise plaisanterie. La décision sur la présidence du Mexique sera faite d’en haut comme ce fut le cas il y a six ans quand l’Empire paria sur Fox.
Si ceux d’en haut décident que cela doit être Andres Manuel Obrador, le « centre-gauche », ils auront de bonnes raisons de le faire, leurs propres intérêts. Car si, inversement, ils décident que ce soit la droite de Felipe Calderon du PAN (Parti action national) un grand nombre de gens ne vont pas l’avaler, la mémoire collective de la fraude que vous avez si bien décrite l’autre jour et la révolte pourrait apparaître dès le 3 juillet. Je n’écarte pas encore le scénario où le système lance Roberto Madrazo et le PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) comme les supposés gagnants. Mais le système peut acheter plus de temps avec Lopez Obrador qu’il le peut avec les autres. C’est un risque pour le système car il y a encore la possibilité, quoique minime, que Lopez Obrador nous surprenne, comme Chavez au Venezuela, peut être et fasse correctement quelques grandes choses. Le seul moyen possible de le faire, ce serait un mouvement populaire hors de son gouvernement pour l’y pousser, comme s’est arrivé au Venezuela et qui pourrait arriver en Bolivie ; nous verrons. Encore une fois, tout ramène à la nécessité de l’Autre Campagne.
Bon, John, imagine que ce soit maintenant le 3 juillet. Si Lopez Obrador est déclaré gagnant, qui poussera ce gouvernement d’en bas à gauche ? On aura besoin de l’Autre Campagne. Si Calderon est déclaré gagnant : qui mènera la charge pour proclamer son illégitimité ? On aura besoin de l’Autre Campagne. Si le diable sort de sa boîte –surprise – Madrazo sort en vous souriant, vous aurez vraiment besoin de l’Autre Campagne alors. Les élections sont des choses fugaces; comme la Coupe du Monde, ce sera bientôt terminé. Qui a pensé à ce qui viendra après ? Beaucoup d’adhérents de l’Autre Campagne l’ont fait à un degré auquel n’est arrivé, à mon avis, aucun des candidats ni des partis.
John : Pourquoi la presse alternative ne dit rien sur tout ça ? N’est-ce pas le rôle de la presse alternative d’être critique ?
Al : J’ai l’impression d’avoir cette discussion juste en ce moment. Toujours est-il que je ne partage pas vos points de vue. Il est clair que je suis en désaccord avec bon nombre de vos exposés des « faits » et nous en avons donné la justification évidente ci-dessus. La plupart de vos objections, d’après moi, sont au stade de supposition injustifiée et d’approximation. Bien que d’autres aient dit la mêmes chose, c’était généralement des groupes médiatiques ou des geignards anonymes sur internet et il est inutile d’entamer un débat avec des pseudonymes. Mais c’est bien : John et Al ayant une conversation en public, avec nos noms apposés. J’espère que cela signifie que si l’un de nous démontre, avec faits à l’appui, que l’autre est dans l’erreur, l’autre modifiera sa position en conséquence.
Il y a différentes sortes de médias alternatives. A Narco News nous ne nous identifions pas avec ce mot. « Alternative à quoi ? » Aux Etat-unis, les « médias alternatives » sont une grande entreprise. Il ne plaisante même pas avec le combat anti-capitaliste, comme il le faisait il y a 30 ans, et n’en fait encore moins le reportage. Nous préférons le terme « journalisme authentique » car nous ne réagissons pas contre eux, ni contre les masses medias. Nous ne faisons que ce que nous pensons juste. Pour nous tous ces simulateurs en haut sont « des alternatives » – ils inventent littéralement une réalité alternative et l’impose ensuite à tout le monde – tandis que nous essayons de faire le reportage de la réalité que nous vivons, en combattant en bas.
Comme de vrais gens, comme des êtres humains qui choisissent de faire du journalisme, nous ne vérifions pas notre humanité à la porte, ni assumons une attitude « objective » distante (comme si c’était possible). Nous n’essayons même pas. Nous ne considérons pas cela comme un but valable. Nous sommes une classe d’ouvriers qui est surtout exploitée par le secteur privé, non par la censure de l’Etat mais par la mise au ban du Nouvel Etat que forment les médias. Ils prêchent la liberté comme ils réduisent quotidiennement la parole au silence ; plus exactement ils noient sous un flot de mensonges la parole véridique. Je n’ai pas besoin de vous le dire. Vous savez comment c’est là bas. C’est horrible. Souvent la « presse alternative » est le pire exploiteur du travail. Aussi nous avons notre propre combat. En nous alignant sur les combats d’autres ouvriers, de fermiers, de tous les autres secteurs de l’Autre Campagne, nous faisons ce que nous pensons le mieux pour tout le monde mais aussi pour nous.
La Sixième Déclaration nous séduisait car elle est anti-capitaliste et de gauche et, pour nous, cela signifie reprendre les moyens de production. En tant qu’ouvriers des médias cela signifie reprendre les ondes, les presses, les réseaux de distribution ou détruire ceux qui existent et faire un espace pour tout le monde dans la société pour en construire de nouveaux. Ce n’est pas que nous voulons devenir les nouveaux directeurs de Télévisa ou les prochains correspondants du New York Times en Amérique Latine, pas plus que les Zapatistes veulent être des hommes de congrès ou que Zapata voulait être président. Non. C’est que nous détruisons le pouvoir de convocation de Télévisa, du New York Times et tous les autres, nous « envoyons promener » leur crédibilité et la croyance des gens à mesure que nous construisons quelque chose d’autre, quelque chose « autrement », nous-mêmes. Depuis six ans Narco News a été actif dans cette bataille et comme individus depuis plus longtemps encore.
Lorsque nous avons vu les zapatistes – des fermiers la plus part – reprendre les terres des propriétaires de plantations et les ouvriers posséder de nouveau leur propre travail et défendre ce terrain depuis douze ans, nous cherchèrent comment cette recette pouvait s’appliquer au journalisme. Quand nous lisons dans la Sixième Déclaration de la Forêt Lacandonienne que le temps est venu pour chaque secteur de le faire, nous répondîmes à l’appel de notre propre place. Notre méthode d’être parti prenante de cette cause – non séparé d’elle –non en haut de quelque olympe en haute masturbation avec les intellectuels, mais partie prenante – a été de faire ce que nous faisons : du journalisme mais comme part de quelque chose de plus grand que du journalisme. Nous découvrons nos influences. Quel est le problème alors ?
Parler de la « presse alternative » comme si c’était une espèce de monolithe est une grande erreur. Avant que l’Autre Campagne ne commence, peu d’entre nous pouvaient se mettre d’accord au déjeuner. Mais parmi ceux qui y étaient entrés, comme nous, nous avons vu d’autres projets comme Radio Pacheco, comme les deux Indymedias au Mexique et au Chiapas, comme Radio KeHuelga et Radio Sabotage et d’autres se développer comme nous. Nous avons vu quelques projets débutants intéressants aussi au niveau local et régional ou national tel que le magasine Palabras de la Otra. Il s’avère qu’aucun de ces projets – bien que quelques uns fonctionnaient comme çà dans le passé – n’étaient jamais en compétition pour les mêmes espaces ou le même personnel. Que chacun, par ses adhérents de l’Autre Campagne, a trouvé une équipe qui s’agrandit toujours de gens ayant les mêmes dispositions et à l’aise avec chacun des différents styles (il est clair que les styles de chaque projet sont très différents des uns des autres). Chacun a aussi élargi son audience public. Quand Marcos commentait en février que « les médias alternatives n’ont fait qu’utiliser l’Autre Campagne comme ses coulisses », je pense qu’ « il a pigé » avec force. Il le pensait dans le sens le plus positif. Que La Otra est un espace qui permet à plusieurs sortes de différents projets de valeur de grandir et de prospérer, bon, pas financièrement mais de toutes les autres façons importantes.
Ainsi la façon dont vous définissez votre travail de « média alternative » peut être bien différente de la mienne ou des autres membres de notre équipe. La Otra a de l’espace pour tout le monde dans toutes ses nuances. Mais je ne vais pas vous dire comment faire votre boulot. Je ne laisserais certainement personne me dire comment faire le mien. J’ai combattu trop durement pour gagner cette liberté pour la laisser passer maintenant.
En dépit de nombreuses divergences, nous paraissons quand même d’une certaine manière collaborer. Vous m’envoyez vos articles. Nous les publions. Notre réseau de lecteurs les distribue et les mettent en valeur. Vous lisez ce que d’autres collègues publient et nous lisons les vôtres et « une vérité plus grande » naît de cette combinaison. Je ne veux pas que John Ross soit comme moi. Il est clair que je ne veux pas être obligé d’être comme quelqu’un d’autre. C’est l’esprit de la Otra. Les zapatistas, les autres organisations et individus l’ont « pigé ». Ils ne veulent pas qu’aucun d’entre nous ni personne soit comme eux. Nous nous rendons compte que nous ne gagnons cette liberté que si tout le monde la gagne. Ainsi nous nous battons ensemble pour construire « one big fight » (un grand combat) qui sonne bien avec le vieux credo de l’IWW (Industrial Workers of the World) d’une «One Big Union » (un grand syndicat).
Je pense que « la gauche » aux Etats-Unis est particulièrement peu clair sur ce point alors que la gauche mexicaine l’est de plus en plus : tant de nos paisanos veulent dire à tout le monde ce qu’il devrait faire. Mais l’activisme hégémonique ne fonctionne pas. Cela ne fait avancer aucun combat ni aucune cause. Vraiment j’espère avec impatience que La Otra arrive à la frontière car, oui, nous allons faire un saut en avant à ce stade, si ce n’est physiquement du moins pour voir si c’est quelque chose de mieux sortira de la pollinisation croisée des mouvements de chaque côté de la frontière. Il y a un grand intérêt pour l’Autre Campagne dans le nord. Nous y pensons davantage, je pense, que la plupart des gens. Nous avons entendu de nombreux lecteurs là haut nous disant qu’ils ont l’intention de venir aux meetings bi-nationaux qui auront lieu à Tijuana et à Juarez. Quand cela se réalisera, voulez-vous une lettre de rappel au sujet de votre prédiction comme quoi l’Autre Campagne était déjà « à moitié ruinée » et «érodée » en juin 2006.
John : Le ton de supporteurs sans scrupule de la presse alternative est-elle une condition pour accompagner l’Autre Campagne ?
Al : Quelques jours avant le lancement de l’Autre Campagne, en décembre de l’année dernière, un communiqué de la Forêt Lacandonnienne est paru dans lequel Marcos demandait aux organisations organisées localement au Mexique de « donner la préférence de traitement aux compagnons de l’Otra qui « couvraient » ce tour puisque ces médias alternatives sont en désavantage par rapport aux masse médias et si c’est la Otra, et bien, nous devons être « autrement » en ce qui concerne la communication.
Or malgré sa clarté, cela a pris plusieurs semaines à la caravane sur la route pour qu’elle s’imprègne de cette éthique. Il y eu de premières tentatives –au Chiapas, dans le Yucatan et le Oaxaca – de la part de certains organisateurs locaux de se poser en vigile d’une façon qui inhibait l’esprit du communiqué. Je me souviens d’une réunion où un organisateur local nous dit que nous ne pouvions pas filmer « par ordres de Marcos ». Nous envoyâmes une note à l’Equipo de Apoyo du EZLN (équipe de soutien) et cinq minutes plus tard vint un de ses membres dire au type, en face d’un tas de monde, que rien de tel n’avait été dit. Nous mîmes tous en marche nos caméras. Mais nous dûmes nous battre pour cela ; gentiment, poliment, mais ce fut un combat. Dans d’autres endroits, comme Quintana Roo, les organisateurs locaux saisirent l’éthique immédiatement et nous facilitèrent notre boulot. C’était formidable. C’est là que fut bâtît le meilleur projet innovant par des gens que nous n’avions jamais vus auparavant comme le défunt Julio Lacossay et les jeunes gens du Rincon Rupestre, dont quelques uns se joignirent à la caravane. Quand l’Autre Campagne quitta le Chiapas et entra à Chetumal, c’était comme si un long nuage de d’abus de vigilance s’était enfin levé. En gros après quelques chocs à Oaxaca, la situation était généralement bonne. Mais vous avez eu une escarmouche avec ce vieux démon dans le Chiapas, vrai ? Je m’en rappelle. Votre question suivante s’y réfère…
John : Si tous les medias sont invitées à couvrir l’Autre Campagne comme le communiquait le Délégué Zéro le 1er janvier, pourquoi suis-je forclos des conférences de presse ?
Al : Honnêtement vous ne pouvez pas parler de « conférences de presse » au pluriel. Il n’y a eu qu’une « conférence de presse » durant les cinq mois et demi de l’Autre Campagne, au troisième jour et j’imagine que vous voulez dire pourquoi il n’y en a pas eu d’autres.
Je n’y étais pas. Vous y étiez. Et vous l’avez dénoncé ultérieurement. Je vous supportais avec beaucoup d’énergie, comme vous savez, mais avec mon propre style sans faire de ce que je considère une affaire interne une dénonciation publique. Je pense que nous sommes d’accord sur ces faits.
Le premier problème était « comment vous déterminez qui est une média alternative et qui ne l’est pas ? » Par exemple notre ami Hermann Bellinghausen : il travaille pour un journal commercial, La Jornada. Mais ses reportages sont « d’en bas et de gauche ». Maintenant vous êtes allé à ces réunions à Palenque, je pense que c’était le 3 ou 4 janvier et vous avez signé la liste de presse comme étant, je m’en souviens, du San Francisco Bay Guardian, un journal hebdomadaire alternatif appartenant à un autre bon ami, Bruce Brugman. Soudain, Marcos convoqua une conférence de presse et on lut la liste des médias alternatifs présents comme la liste des invités. Vous n’y étiez pas. Hermann y était. Aussi, il était clair qu’il n’y avait pas de cohérence dans les critères appliqués. Peut-être si vous aviez signé la liste en tant que « Narco News » à la place – vous avez déjà signé avec l’Autre Journalisme – vous seriez rentré. Ou peut-être pas : c’était tout au début et le processus de déblayer les vieux démons avait à peine commencé. Quelle que soit la personne qui faisait cette liste, elle n’avait probablement jamais entendu parler du Bay Guardian. Nous avons parfois tous trop tendance à déchiffrer une situation et à interpréter une gaffe impersonnelle ou du fait de l’ignorance comme un coup intentionnel et personnel. Je ne pense vraiment pas que c’est ce qui s’est passé ici.
C’était un dilemme : si vous allez donner une conférence de presse seulement devant les « médias alternatives », comment décidez-vous qui entre et qui n’entre pas ? C’est une décision très difficile. Vous savez que je l’ai contestée car vous avez une copie des emails que j’ai envoyés en privé pour vous appuyer auprès de qui vous savez. Mais j’ai protesté à titre privé. Est-ce cela que vous voulez dire par « supporters sans scrupule » ? Que lorsque j’ai une réclamation interne, je la traite en interne ? Si c’est cela, je plaide coupable et avec fierté : je pense qu’autre est le problème des mouvements sociaux quand une faction engage un combat avec une autre au travers des médias, alternatifs non. Vous aurez remarqué qu’à Narco News nous ne faisons pas de reportage sur les disputes fratricides dans les mouvements sociaux à moins qu’ils aient été déjà médiatisés ou se soient passés dans le cadre d’un forum public. Mais nous ne sommes jamais les premiers à révéler l’histoire qu’un tel se bat avec un tel au sujet de telle chose. Nous rendons compte des débats portant sur la philosophie, la stratégie et la tactique. Mais nous ne considérons pas les conflits de personnalité ou les problèmes de logistique inévitables (comme qui a été invité à une conférence de presse) comme des « nouvelles » cars il n’y a rien de « nouveau » en cette matière.
Un cas concret : dans l’état de Yucatan, en décembre et janvier dernier, il y avait une division pénible entre plusieurs organisation à l’intérieur de l’Autre Campagne avant l’arrivée de Marcos. Il y avait des divisions qui existaient dans certains cas depuis trente ans. La dispute était terminée dans l’état où Marcos y passait trois jours : c’était une dispute au sujet de quelque chose de vraiment important. Les deux partis lui demandèrent de médiatiser et il dit que non, les gars, c’est à vous de le résoudre. Un des groupes alla alors au Diaro de Yucatan pour divulguer publiquement sa dispute. Un autre, du même côte de la dispute – les artisans de la zone archéologique de Chichen Itza – choisirent de ne pas diffuser publiquement leur objections et continuèrent à défendre leur position en privé : ils voulaient que Marcos visite les ruines et prête attention à leur cause. Par la suite Marcos arriva au Yucatan, vit ce qui se passait réellement et décida alors de changer le programme pour aller à Chichen Itza.. Ce fut un moment historique pour l’Autre Campagne car c’est alors qu’il commença à voire qu’il y avait des vices à l’intérieur des comités locaux, une mentalité de garde barrière et il choisit de briser les barrières.
Quand il parla, il remercia les artisans de Chichen Itza de na pas avoir diffusé leur objection dans les médias. Lui, comme nous, semble croire qu’un mouvement fait mieux de ne pas immiscer l’ennemi (les médias) dans des disputes internes. Sa présence indiqua que les artisans de Chichen Itza avait gagné leur dispute en la faisant comme il l’avait fait : en interne.
Dans un mouvement, c’est ainsi qu’il devrait en être. Autrement on ne fait qu’encourager la contre-insurrection des masses medias dans leurs efforts pour diviser et régner, déformer, faire d’un rien une montagne et d’escamoter ce qui est réellement important. Puisque nous sommes adhérents et partie prenante de ce mouvement, nous combattons les luttes internes en interne et gardons nos munitions publiques pour les trucs qui sont vraiment des nouvelles.
Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas de discussions ouvertes, comme celle-ci, qui sont de sincères efforts pour élargir les visions philosophiques, stratégiques et tactiques et d’essayer d’être d’accord au moins sur les faits : de là germe (parfois) l’évolution et la progression d’un mouvement. C’est incroyable ce qui peut arriver entre les différentes tendances quand tout à coup ils arrivent au moins à se mettre d’accord sur les faits. C’est le premier pas vers l’unité. D’une certaine manière, c’est ce que nous avons fait malgré ces désaccords. De même si vous pensez que je travaille avec une carte routière périmée, je vous invite à me corriger ou à donner d’autres arguments soit en m’envoyant une réponse à publier ici, soit en utilisant votre récit sur The Narcosphere. Ce n’est pas que je veuille avoir le dernier mot sur ça
Je ne considère pas que ce soit mon boulot d’enseigner aux organisations adhérentes – y compris le EZLN – comment il doit faire son boulot. Nous ne sommes pas une « presse » d’élites qui se tient à l’extérieur ou au dessus de la bataille. Nous sommes une organisation médiatique qui adhère à une cause. Si vous voulez appeler cela « supporteur sans scrupule » c’est votre droit. Mais vous savez que j’exprime fréquemment mes critiques et mes reproches en privé à qui je veux. (S’il en est, le reproche à mon endroit serait que je le fais trop souvent et trop passionnément et que les gens se sentent blessés). Que je ne le fasse pas publiquement quand ça se passe, je pense, que c’est pour beaucoup pour redresser les tords et corriger avec succès les erreurs. Je ne veux pas dire qu’il faut faire les choses de la même manière ni étouffer quoi que ce soit. C’est simplement une affirmation autonome dans un mouvement où d’autres façons de faire coexistent aussi.
En tous cas vous devez savoir qu’il n’y a pas de politique qui vous « bannisse » des conférences de presse. Votre extrapolation qui consiste à transformer un incident en ce que vous nommez une politique actuelle manque de la rigueur journalistique qui caractérise souvent votre travail.
Mais il y a un autre point, je pense, qui explique mieux pourquoi il n’y a pas eu plus de « conférences de presse » pour les « médias alternatifs » et je ne crois pas que ce soit lié avec l’insurmontable problème de qui entre ou n’entre pas. C’est que les « médias alternatifs », en général, ne savent pas encore utiliser la conférence de presse, en d’autres termes, ils sont encore au stade de l’apprentissage en ce qui concerne ce qu’elle peut devenir et va devenir. Cette conférence de presse de Palenque fut convoquée, je crois, en partie pour démontrer la préférence de l’Autre Campagne pour les médias alternatifs. C’est là que Marcos a dit que les médias alternatifs seraient « la colonne vertébrale de la première phase de l’Autre Campagne » et qu’il nous a exhorté à ne pas décevoir la Otra en disparaissant. Cette première et seule conférence de presse eut lieu une semaine après le communiqué du 26 décembre où il engagea à « consolider les différents projets de communication alternative qui existent en bas et à gauche au Mexique ». L’idée c’était que d’une certaine façon tous les projets de médias alternatifs puissent se consolider en quelque chose de plus grand.
Mais la proposition de « consolidation » allait contre la graine de l’esprit d’autonomie et de décentralisation de La Otra. Le fait que ce ne se soit pas produit prouve ma thèse que l’Autre Campagne est réellement une entreprise collective. Une organisation adhérente –le EZLN- proposa (j’insiste proposa, il n’ordonna à personne de faire quelque chose) que les diverses organisations médiatiques se consolident. Mais les diverses organisations médiatiques adhérentes ne montrèrent aucun enthousiasme pour cette proposition et ne firent que continuer à faire à leur façon, nous y compris. En quelques semaines, le EZLN et son porte-parole ajusta sa position, accepta la réalité qu’il fallait compter sur différentes organisations médiatiques, de styles très différents ; alors resplendit la lumière de ces diverses organisations médiatiques qui travaillaient pour couvrir La Otra d’un façon on ne peut plus quotidienne. Elles mirent en liaison certains d’entre nous sur leurs sites web. Elles mentionnèrent dans un récent communiqué certaines organisations de media alternatif. Les organisations médiatiques adhérentes les plus actives semblaient être tout à fait satisfaites de cet arrangement. Il préserve chacune de nos autonomies respectives et notre liberté de faire avancer nos projets exactement comme nous voulons. Il n’y eut pas besoin de réunion, de processus de groupe, ni d’appeler aux votes ou d’arriver à un consensus. Le vote se fit par le travail réalisé par la classe ouvrière à l’intérieur du mouvement : « les acteurs ».
C’est pour mois le seul vrai processus collectif : celui dans lequel ceux qui font vraiment le travail détermine ce qui arrive à la base. Pour paraphraser Zapata : le mouvement appartient à celui et celle qui travaille.
« Les « processus de groupe » et les théories vides sur les « prises de décision collective » ont été rejetés comme des épées non démocratiques de « la haute classe » des mouvements sociaux : ces personnes éduquées et sédentaires –souvent employés- avec des facilités pour voyager, avec du temps et le désir de participer à des réunions au lieu de faire le dur travail où se jouent leurs combats, sur le terrain. C’est le plus grand problème pour les mouvements aux États-unis. La dernière chose que veuille l’Autre Campagne, à mon avis, c’est un processus de « gringotisation » (amerlocalisation) de ses processus de groupe. Au contraire ceux qui croient que la « collectivité » n’existe que dans une salle de réunion ont beaucoup à apprendre de l’Autre Campagne.
Vraiment John : aucun de nous ne sommes des « gens de réunion ». Vous êtes poète. Je suis musicien. Il nous arrive aussi d’être journaliste. Voulez-vous vraiment changer l’Autre Campagne en une série sans fin de réunions et d’assemblées et de processus pour arriver aux « décisions » (cela n’a tendance à arriver que lorsque trop peu de gens restent dans la salle pour les appliquer) ? J’en doute quelque peu. Je suis sûr que vous n’aimeriez pas le résultat.
J’espère que lorsque ces élections seront terminées en haut, dans moins de deux semaines, vous trouviez votre chemin qui vous ramènera à la place que vous jugez pertinente dans l’Autre Campagne, celle qui laisse John être John et que vous la gardiez, que vous la défendiez. Je pense vraiment qu’après le 2 juillet tout sera plus clair alors.
John Ross – Rendre un autre monde possible – chroniques zapatistes 2000-2006 sera publié par Nation Books ce mois d’octobre.
Traduction d’anglais en français : Claudine MadelonAl Giordano : Le journaliste John Ross m’a envoyé au cours des semaines dernières plusieurs emails critiquant l’Autre Campagne Zapatiste au Mexique et la couverture qu’en fait Narco News, la considérant trop manquer de sens critique. La semaine dernière il m’envoya « 20 Questions » qui reflètent la frustration de John. Le temps presse : j’examinais si cela valait la peine de répondre à ces questions qui sont pour l’essentiel de fausses questions , abondant en exposés de « faits » sans fondement, basés sur de pures suppositions de John, comme je le signale ci-dessous
Dans l’ensemble, ces « vingt questions » qui sont émaillées de références aux « supporteurs sans scrupule » et au « totalitarisme stalinien » et dont certaines touchent directement l’Autre Campagne en train de gâcher les élections mexicaines qui se terminent le 2 juillet, donnent un argument où il y a un contre argument. Les questions de John et mes réponses sont le reflet de débats historiques sur la gauche et au sein des mouvements sociaux en général et dans toute l’Amérique Latine en particulier. Si John est assez honnête pour les poser tout haut, il se pourrait qu’il y en ait d’autres qui se les posent tout bas – ou répètent leurs affirmations errantes comme des « faits ». Par conséquent je pense qu’il serait utile de répondre à John ici et – puisque ni John ni moi n’auront le dernier mot sur de tels grands et vastes sujets – j’invite nos 288 coéditeurs, et tout autre personne désireuse de signer de son nom, à rejoindre la table ronde en envoyant vos commentaires à narconews@gmail.com.
20 Questions
John Ross : Pourquoi n’y a-t-il pas eu de communiqués de la Comandancia du EZLN depuis le commencement de l’Autre Campagne le 1er janvier ?
Al : Pourquoi le demandez-vous à moi, cher ami ? Je ne parle pas au nom du EZLN et je ne vais pas parler au nom de cette organisation ni aucune autre dans les vingt réponses suivantes. Mais je peux, comme n’importe quel autre confrère, vous aider à chercher l’information qui se trouve déjà dans les archives publiques. Un « cours de rattrapage sur l’Autre Campagne est de règle.
En novembre 2005 est paru un communiqué signé par le CCRI-CG du EZLN (« Comité Indigène Révolutionnaire Clandestin – Etat major Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale »). Le Sous commandant Marcos l’a signé (pour la « Commission Sexta ») ainsi que le Lt.Colonel Moises (pour le « Comité Intergalactique »). Il annonce une «consultation sur le net » pour les gens du monde entier et une page web pour y participer. Vous pouvez y lire des communiqués signés du Lt.Col.Moises écrit du Chiapas en 2006. Donc on ne peut pas dire que l’on n’entendait pas parler de la forêt à cette époque, ni que la Comandancia n’a pas accès à la parole chaque fois qu’elle veut émettre un communiqué – réellement tout le monde sur terre peut envoyer un message à cette page . Votre question semble impliquer que ce que vous entendez comme silence révèle d’une certaine façon un manque de confiance dans ce que fait Marcos sur le parcours de l’Autre Campagne,
Je l’entends différemment. Dans ce cas, le silence équivaut au consentement, à l’approbation : une ratification. Par ailleurs, toutes les fois que les zapatistes du Chiapas n’ont pas gardé silence, ils ont communiqué leur consentement et leur approbation – et leur enthousiasme – pour la direction prise par l’Autre Campagne.
Mais votre question, en fait, s’inscrit dans le contexte des questions qui suivent. Aussi voyons la question numéro deux…
John : Pourquoi les Juntas de Buen Gobiernos (JBG) en exercice dans les cinq Caracoles n’ont-elles pas émis beaucoup de communiqués depuis le 1er janvier ?
Al : Qu’entendez-vous par « pas beaucoup » ? Je compte quatre communiqués venant des municipalités autonomes zapatistes pendant ces trois dernières semaines. On peut les lire sur la page de liaison. Il y a eu treize communiqués de cette sorte, en tout et pour tout, depuis le 5 mars.
Avant ça, je vois une communiqué du « JGB » (Assemblée de Bon Gouvernement) du « Caracol » (siège du gouvernement autonome) de Roberto Barrios, un autre datant du 17 février du JBG du Caracole d’Oventik, et un autre datant du 14 février du JBG du Caracol de Realidad, tous publiés sur notre page denuncias, ainsi que tant d’autres venant de tant d’autres organisations de tant d’états qui sont aussi, comme le EZLN, part de l’Autre Campagne.
D’après ce que je peux voir, 2006 a apporté plus de communiqués des municipalités Zapatistes autonomes que les autres périodes de cinq mois au plus de l’histoire zapatiste. Etant donné la différence de mes souvenirs et les faits que je viens de citer, pensez-vous que votre question ait encore un sens ?
Votre question suivante répète le même thème…
John : Pourquoi n’y a-t-il pas de comandantes indigènes qui accompagnent le Délégué Zéro sur l’Autre Campagne ?
Al : Cette question, qui diffère des deux précédentes, repose sur un fait réel : il n’y a pas eu, d’après mon observation, de comandantes EZLN avec Marcos sur la piste de l’Autre Campagne hors du Chiapas. C’est une décision qu’ils ont pris – et annoncée – bien avant 2006. Je suis d’accord avec cette décision, en particulier après avoir été témoin de cette vague de répression à Atenco et, en fait avant, à San Blas Atempa et dans d’autres endroits.
C’est la Comandancia, après tout, qui a envoyé Marcos pour qu’il soit leur « éclaireur » et dont les membres, selon leurs propres mots, le suivront deux par deux, restant de longues périodes dans chaque état, pendant la Phase Deux, une fois achevé le premier tour national. Je voudrais rafraîchir votre mémoire en revenant sur les explications du Lt.Col.Moises, en date du 16 septembre, expliquant pourquoi ils envoyaient un éclaireur en premier – Marcos – pour faire le compte rendu en terrain national de tous les endroits vers lesquels se déploieront plus tard les comandantes et insurgés. Voilà ce qu’a dit Moises :
« Pour nous, il est de notre devoir d’explorer le terrain où nous allons emmener nos compagnons et compagnes de nos peuples, nous sommes comme ça, les militaires, il y en a toujours qui partent en avant-garde. Nous appelons avant-garde ceux qui vont devant, et qui voient ce qu’il y a au-delà du terrain, que nous ne connaissons pas encore, et leur tâche est de détecter ce qu’il y a ; si le terrain est marécageux, pierreux, épineux, et d’autres situations que l’avant-garde observe et dont elle nous informe pour savoir quoi faire et comment le faire.
Nous savons que vous concevez l’avant-garde comme celui qui va diriger, ou ceux qui savent comment on doit lutter ou ceux qui commandent, et que ce sont les seuls et qu’ils ont raison et savent plus et mieux…..Nous, nous ne l’entendons pas ainsi, l’avant-garde pour nous c’est … celui qui va reconnaître le terrain, qui est pour nous un terrain inconnu, et où il est nécessaire d’aller pour avancer dans la lutte ; ce travail nous revient à nous, les militaires, l’exploration du terrain….
Le travail de reconnaissance du terrain de l’avant-garde pour l’Autre Campagne est revenu au compagnon Sous-Commandant Insurgé Marcos. Ce sera le premier à sortir, et derrière lui nous aussi, nous relayant pour faire le travail… ».
-Lieutenant Colonel Moises
Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN)
16 septembre 2005
C’est exactement ce que le EZLN a dit qu’il ferait depuis le début. Il me semble très naturel et logique à moi qu’ils tiennent leur parole et suivent leur plan.
John : Pourquoi les voix des femmes Zapatistes ne s’entendent-elles pas dans l’Autre Campagne ?
Al : Oh, frère : pourquoi adresses-tu cette question à un homme ?
Vous semblez avoir oublié que c’est une commission du EZLN (« la Sixième Commission ») qui a proposé le plan de l’Autre Campagne et qui comprenaient huit femmes zapatistes –Gabriela, Rosalinda, Keli, Delia, Ofelia, Yolanda, Ana Berta et Graciela – et sept hommes plus Marcos. Vous vous en souvenez – ces personnes avec des masques de ski – qui étaient l’été dernier au six réunions d’organisation, dans la forêt, et auxquelles vous avez participé au moins à une.
Le 16 septembre, lorsque nous avons entendu Marcos et Moises donner des renseignements sur la proposition de l’Autre Campagne, nous avons aussi entendu parler la Comandanta Ramona (quatre mois avant sa mort), la Major Ana Maria, la Comandanta Susana et plusieurs autres femmes comandantas, nous enjoignant tous de nous mettre à l’œuvre pour réaliser leur projet: L’Autre Campagne.
Je sais que avez assistez à d’autres événements et réunions de l’Autre Campagne depuis le premier de l’an car nous nous sommes vus. Admettez-le, je vous en prie, car votre question a d’autres implications : durant toutes ces réunions on entendait parler les femmes autant que les hommes, dans certaines plus de femmes que d’hommes parlaient et les femmes aussi ont dirigés certains événements, comme le concert des femmes sans peur du 22 mai où Marcos était l’un des deux seuls hommes à parler sur scène.
Vous étiez là le 1er janvier au Chiapas quand, selon notre compte rendu écrit par Giovanni Proiettis, les Commandantes Keli et Hortensia ont pris la parole convoquant Marcos à entreprendre son voyage.
Ça fait pas mal de temps qu’on ne vous a pas vu. Je ne vous ai pas vu, John, dans les états de Quintana Roo, Yucatan, Oaxaca, Querétaro, Michoacán, Morelos, Guerrero, Tlaxcala ni dans l’état de Mexico. Je vous ai vu deux fois à Mexico lors d’événements. Nous avons entendu dans tous ces lieux la même participation des voix des femmes et des d’hommes (des enfants et des personnes âgées aussi). Dans notre équipe d’autres personnes ont noté la même chose dans les autres réunions qui avaient lieu dans d’autres états. Donc le point de départ de votre question n’est simplement pas exact. Les voix de femmes, d’hommes, de personnes âgées, d’enfants, d’indigènes et non indigènes et de bien d’autres secteurs ont été écoutées intégralement et pendant des heures jusqu’au bout. Dans toutes les réunions d’adhérents de l’Autre Campagne, tout le monde est invité à prendre le microphone. Tout le monde prend la parole aussi longtemps qu’il le veut. Votre question insinuante sous-entend autre chose. Il y a des montagnes de rapports sur la page de l’Autre Journalisme qui démentent votre déclaration. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot à ce sujet. N’importe qui lisant cette discussion a la possibilité de retourner vérifier les articles, via notre page et d’autres et il y a des milliers de témoins oculaires sur tout cela.
Maintenant, peut être par « femmes zapatistes » vous voulez dire celles avec des masques de ski sur la tête ? Comme Gabriela, Rosalinda, Keli, Delia, Ofelia, Yolanda, Ana Berta et Graciela ? Comme Ramona, Susana et Ana Maria et d’autres? Elles ont déjà expliqué pourquoi elles envoyaient Marcos en éclaireur et qu’elles s’en iraient lors de la prochaine vague.
In Chetumal – vous avez sans doute raté cette perle lors de la première halte de l’Autre Campagne hors du Chiapas – Marcos annonçait que la Comandanta Susana serait un des deux commandants Zapatistes qui irait vivre dans l’état de Quintana Roo pour s’occuper de l’organisation, le moment venu, en phase deux. Nous espérons rendre compte de son long séjour – et ses efforts d’organisation – sur cette péninsule.
John : Est-ce que L’Autre Campagne est une entreprise collective ?
Al : Oui. Je vous mets au défi de trouver un exemple de quoi que ce soit d’aussi grand qui ait été plus « collectif » que l’Autre Campagne. C’est facile de balancer un mot vague comme « collectif ». Citez-moi vos exemples d’autres efforts nationaux qui aient été plus « collectifs» que celui-là. Et voyons comment vous définissez « collectif » dans ce contexte.
Je soutiens que l’Autre Campagne a été plus collective car la collectivité ne se passe pas en haut, parmi les « grosses têtes du mouvement » avec un penchant pour le processus de groupe mais du bas où le travail se fait.
Quant à la Sixième Commission du EZLN – une des organisations faisant partie de l’Autre Campagne – je ne connais pas tous les détails de leur processus de prise de décision interne, bien qu’ils nous aient donné pas mal d’indices toutes ces années.
Je pense que vous voulez parlez de la relation entre les autres organisations (des centaines) et les individus (des milliers) qui font partie de l’Autre Campagne et vous vous demandez si le EZLN et son éclaireur, Marcos, n’ont pas une voix disproportionnée. Je pense que oui dans une certaine mesure et c’est accepté collectivement par toutes les organisations et les individus engagés.
C’est ma façon de voir et cela correspond à ce que le « Délégué Zéro » disait dans tous les états qu’il a traversés, à savoir que sa tournée à l’écoute et à la recherche de faits n’est qu’une partie de l’Autre Campagne mais aussi que tous nos efforts accomplis dans notre secteur (par exemple, le secteur du journalisme authentique, dont je fait partie, et où vous avez une place depuis le début) et notre organisation ou individuellement en forment partie. Nous avons de l’autonomie au sein de cette Autre Campagne et le EZLN a aussi de l’autonomie. Ils peuvent dire et faire ce qu’ils veulent. Nous aussi. Et vous aussi. Je remarque, John, que vous n’hésitez pas à dire ce que vous pensez,
Par exemple, en tant qu’adhérent, quand vous vous asseyez pour écrire une article ou un commentaire, le signalez-vous à un quelconque comité avant sa publication ? J’en doute. L’écriture est une tâche qui s’exerce au mieux dans la solitude. A l’intérieur de cet effort collectif il y a aussi des initiatives à niveau individu et organisation. Personne ne doit demander permission à personne pour faire ou dire quelque chose. Cela vaut pour Marcos : voulez-vous qu’il soumette ses communiqués à un comité supérieur avant de les envoyer ? Qu’en est-il du texte de ses discours ? Qu’en est-il de ses commentaires improvisés et sans préparation qui sont nombreux (Je gage que ses déclarations et ses actions les plus importantes et effectives ont été improvisées ; mais vous savez bien que j’ai un faible pour le jazz). Suggérez-vous que sa liberté de parole devrait être assujettie à une restriction préalable d’une commission ? Ce n’est pas l’objet de la Otra.
Dans la mesure où les réunions avec Marcos attirent en général plus de monde que les événements de l’Autre Campagne sans lui, cela reflète une sorte de décision collective. Chaque individu qui assiste à ces événements vote avec ses pieds. Ils –nous- y assistons car cela fait avancer nos combats de le faire.
En attendant, dans les douze états du nord du Mexique où Marcos n’a pas encore mis les pieds, il y a aussi une Autre Campagne, active et visible, de Tijuana à Juarez, de Monterrey à San Luis Potosi et partout ailleurs. Le EZLN n’y a fait aucune réunion. Pareil devrait-ils attendre que Marcos arrive pour se mobiliser ? Pas question ! C’est la beauté de la « Otra ». Personne n’attend plus les ordres des quartiers généraux. Ces jours sont finis dans les efforts de solidarité Zapatista. Et croyez-moi le chemin est tracé pour que d’autres mouvements dans d’autres pays utilisent cette recette – que l’on peut appeler « autonomie à tout va » – afin de réaliser de grandes avancées.
Cette nouvelle liberté de parole nous permet de faire l’Autre Journalisme avec l’Autre Campagne. Nous avons cette liberté aussi. Comme Marcos disait l’été dernier : prend ta place dans l’autre Campagne, garde-la et défends-la et ne laisse aucune autre organisation te l’enlever. Cette déclaration a été un tournant pour moi. Elle a signalé l’avènement longtemps attendu de la promesse d’autonomie, ici et maintenant et non comme quelque chose que l’on attend.
Que dire des efforts dans le monde entier – les marches et les actions dans des dizaines de villes dans de nombreux pays – en particulier depuis les atrocités d’Atenco ? Est-ce que les gens qui s’organisaient à l’étranger attendaient sans rien faire la permission ? Ont-ils transmis leurs décisions, leurs slogans, leurs déclarations, leurs chansons, leurs processus de prise de décision ou autre à un comité central ? Non. Ils sont autonomes. Ça aussi c’est la « Otra » (et bien que dans ces 20 questions vous catégorisez l’Autre Campagne comme une entreprise «à moitié ruinée », admettez-vous au moins qu’elle a inspiré plus d’efforts de solidarité active dans plus d’endroits au monde qu’à un autre moment ces douze dernières années?)
Ce que vous sembler suggérer c’est que seule une des organisations impliquées –le EZLN – à cause de son pouvoir de convocation (fondé en partie sur son succès unique pour organiser une base populaire) devrait soumettre ses déclarations et ses actions –même les propositions qu’elle fait à la plus grande « Otra » – à un comité ou à un processus de groupe. Non seulement je ne suis absolument pas d’accord avec ça. Je ne voudrais pas participer à quelque chose d’aussi ennuyeux. Je ne peux rien imaginer de plus voué à l’échec qu’un « processus de groupe »de style-activisme gringo – rigide, affligé de rétention anale et plaçant les « orateurs » qui aiment assister aux meetings comme des patrons auto-nommés des « acteurs » – pour miner le bon travail et le moral de tout le monde.
La Otra arrive pour rompre ce scénario de défaite. Et tant que ça durera, nous seront là pour en informer. Car ce qui attire aussi beaucoup d’entre nous dans cette histoire, c’est la façon dont la recette développée ici peut s’appliquer dans d’autres pays – comme les USA –pour rompre avec cet horrible et tragique activisme de la «politique identitaire » du monde prétendu développé, activisme fanatique du contrôle, bureaucratique et maniaque.
Quand l’ « Autre Campagne » atteindra la frontière des USA et se réunira avec les mexicains de « l’Autre côté » à Juarez et à Tijuana, ce sera un test important pour savoir si cette même « autre » manière de s’organiser –autonomie partout- peut prendre racine dans une culture activiste qui souffre encore des nombreux vices dont La Otra nous a libéré ici-bas.
John : Comment Marcos s’est-il empêtré dans cette guerre débile de desgaste (guerre d’usure) qui a moitié ruiné l’Autre Campagne ? (Réponse -absence de prise de décision collective)
Alt : Comme je j’ai répondu plus haut, l’existence ou l’absence de prise de décision collective (ou desgaste) se trouve dans les yeux du….spectateur .
D’où je suis, en tant que non-spectateur – avec mon expérience, décrite plus haut, montrant que je n’ai jamais fait partie d’un mouvement mené d’une façon plus collective que celui-là – il n’y a pas de « guerre d’usure », l’Autre Campagne n’est pas du tout « à moitié ruinée » et que vous pensiez différemment démontre simplement que vous n’avez pas « encore » pris, ni gardé, ni défendu votre place» dans cette entreprise.
Après le Jour des Elections au Mexique, le 2 juillet, l’Autre Campagne sera encore là tandis que tous les comités de campagne électorale et les partis politiques auront brûlé toutes leurs cartouches, avec un seul gagnant possible et même ça pourrait être mis en question. Votre « déclaration de fait » que l’Autre Campagne « est à moitié ruinée » et « en guerre d’usure » va s’avérer faux dans à peine deux semaines, John, aussi, prenez votre mal en patience et vous verrez que ce que je dis ici se démontre vrai ou du moins le sera très bientôt.
Collective, schmollective : Le EZLN est une armée. Vous le saviez déjà. Elle a toujours admis qu’elle est hiérarchisée, qu’elle a une ligne de commandements. Il y a des années que vous le savez et ça n’avait pas l’air de vous turlupiner avant.
Puisqu’un mot comme « prise de décision collective » est sacrément vague, j’aimerais entendre votre proposition précise sur la façon dont vous pensez comment les décisions doivent être prises.
L’Autre Campagne est une entreprise horizontale qui comprend des collectivités, quelques syndicats (qui ont leur propre forme d’organisation), des ONG avec leur direction et leurs salariés pour quelques unes et des organisations locales ad hoc autour, des artistes, des communicants, des comités indigènes avec leurs différentes méthodes propres de prise de décisions de place en place et, oui, quelques organisations avec une hiérarchie de commandements.
Voulez-vous que l’Autre Campagne soit plutôt une entreprise hégémonique ? Toute organisation qui adhère à la Otra doit-elle se soumettre à un test de pureté et n’être admise que si elle a un système de prise de décision « collectif » ? De tout façon qu’est-ce-que ce sacré « système de prise de décision collectif » ? Cela veut-il dire qu’un mouvement national doit travailler par consensus ? Ou selon les Règles de Procédure de Sr Robert, Ou avec des élections ? Devons-nous présenter notre propre liste de candidats, L’Autre Campagne doit-elle tenir des assemblées gigantesques avant de prendre une décision tactique ? Et que dire des gens des provinces qui ne peuvent pas voyager si facilement ? Les gens d’une région, disons Mexico, doit-elle prédominer ? Ou des groupes avec beaucoup d’expérience qui manœuvrent le vrai peuple avec des astuces « de dynamique de groupe » plein les manches, doivent-il être responsables ? Les gens qui aiment aller aux réunions– je les appelle « les orateurs » – doivent-ils avoir le dernier mot sur ce que peut faire ou ne pas faire ceux qui font l’organisation de base – je les appelle « les acteurs »- ? Bien, c’est là que je dois sauter du train. Et un grand nombre d’autres « acteurs », qui ne peuvent encaisser les réunions stupides pleines d’ « orateurs » qui ne font rien ou presque, prendraient sans doute la même porte de sortie. Non pas pour protester mais simplement parce qu’un grand nombre de personnes créatives ne tolèrent guère la tyrannie des meetings, même si leurs processus se prétendent démocratiques.
L’Autre Campagne est ainsi faite pour que tout un chacun -vous compris, John- voulant prendre des initiatives et mettre de l’huile de coude pour faire quelque chose, puisse commencer à le faire à l’intérieur des paramètres qui ont été établis lors des six gigantesques meetings l’été dernier où tout le monde, vous inclus, a eu son tour au microphone. La Sixième Commission des 16 Zapatistes écoutèrent toutes les 106 heures de témoignages, sans interruption, ni roulement d’yeux à tout ce qui se disait, les formulèrent ensuite en une proposition. Des milliers de personnes et d’organisations exprimèrent leur accord avec enthousiasme et la volonté de participer à cette stratégie. Une campagne nationale gigantesque fut lancée et continue à présent. Des suggestions sont faites tous les jours sur la messagerie du Sous-commandant Sup’s weblog et beaucoup se réalisent. De notre petit coin, nous avons fait diverses suggestions à la Sixième Commission via email pour dire comment l’Autre Campagne pouvait nous faciliter la couverture de la Otra à nous et à d’autres et la plupart se concrétisèrent rapidement. Il est clair que la Sixième Commission –et le Délégué Zéro- lisent leurs emails attentivement et prennent en considération chaque chose et chaque personne. Ce qui est, pour moi, « diriger par obéir » et le prototype de l’effort collectif.
En tous cas je doute beaucoup que vous ayez écrit vos « 20 questions » en comité ou que vous ayez « pris une décision collective » ou même fait un effort collectif pour les formuler. Je ne serai jamais pour qu’on soumette vos écrits ou ceux d’un autre à ça. Mais pourquoi, comme le sous-entend votre question, devrait-on uniquement censurer Marcos de la sorte ?
John : Pourquoi a-t-on imposé une Alerte Rouge aux communautés Zapatistes autonomes du Chiapas ? Quel était le danger ? Pourquoi n’a-t-elle pas été annulée ?
Al : C’est une question militaire. Je suis civil. Etant donné que je ne suis pas résident des communautés Zapatistes autonomes du Chiapas, je considère que ce n’est pas mon rôle de répondre en leur nom. Encore une fois, je respecte leur autonomie comme elles respectent la mienne…et la vôtre et celle de n’importe qui. Ce que je peux dire c’est que depuis que l’on a déclaré l’Alerte Rouge, l’équipe de l’Autre Journalisme et moi, nous avons fait plus de travail par jour qu’avant et c’est ce qui vous indique le mieux que nous somme d’accord avec les décision autonomes prises par une de nos organisations co-adhérentes, le EZLN.
Nous ne recevons d’ordres de personnes et nous respectons le fait que d’autres organisations adhérentes –le EZLN inclus- n’en reçoivent pas de nous. En tout cas, vu comment vont les choses, je ne prévois rien qui pourrait nous faire vouloir supprimer un effort auquel nous croyons plus aujourd’hui qu’au début.
Dans l’Autre Campagne, personne venant d’une organisation différente au sein d’une plus grande, ne pourra jamais dire ce que doit ou ne doit pas faire le EZLN ou l’Ecole de l’Autre Journalisme du Narco News, ou Marcos ou John ou qui que ce soit. Ces jours sont passés grâce à La Otra. C’est une évolution que nous applaudissons tous, nous qui votons avec nos pieds et occupons cette salle de presse.
John : Pourquoi l’Alerte Rouge, mécanisme politico-militaire du EZLN représentant le niveau de danger le plus haut, a-t-elle été imposée par le Délégué Zéro de Mexico alors, qu’ en fait, le Délégué Zéro n’est plus le commandant des forces militaires Zapatistes ?
Al : La supposition dans votre question –que Marcos (« Délégué Zéro ») « n’est plus » le commandant militaire du EZLN est incorrecte. Comme nous l’avons signalé pendant l’Autre Campagne, Marcos est encore le commandant militaire du EZLN. Je ne sais d’où vous avez pris cette fausse idée. Aussi récemment qu’en avril dans le Guerrero, quand Marcos a rencontré la Police Communautaire de Guerrero, il s’est présenté comme « commandant en chef » des soldats et officiers du EZLN, les saluant de soldat à soldat. Je n’ai rien dans mes souvenirs ni mes notes sur des réunions– y compris l’été dernier, lors de la présentation du plan– qui ait pu suggérer qu’il ait cessé de l’être.
Ce qu’on a souvent dit c’est qu’un plan est en place s’il arrivait quelque chose au chef militaire –Marcos – pour que quelqu’un d’autre prenne le commandement militaire. Mais cela ne doit pas du tout se confondre avec la suggestion qu’il ait été déplacé de son poste.
En tous cas vous et tout le monde ont vu qu’au moment de la déclaration de l’Alerte Rouge, les communautés Zapatistes du Chiapas ont agi en accord. Cela n’indique-t-il pas aussi le consentement ? Et vous ne savez pas si cela a été décrété, comme vous le sous-entendez, sans consultation ni consentement de la Comandancia. Toute personne extérieure au commandement du EZLN qui proclame savoir ce qui se passe derrière des portes fermées – ici et partout – ne sait rien. Ce sont des décisions conformes à l’organisation. Je les respecte.
John : Pourquoi Marcos commence-t-il l’Autre Campagne comme « Sous délégué » Zéro et maintenant s’appelle-t-il « Délégué Zéro » ?
Al : Vous pouvez retirer la question si vous voulez. Voila ce qu’a dit Marcos le 16 septembre, à l’annonce du programme de l’Autre Campagne :
« Mon premier voyage, comme je l’ai déjà expliqué, commencera au mois de janvier et finira au mois de juin. Pendant six mois celui qui s’appelle le délégué zéro –c’est-à-dire moi- fera un premier tour à travers le pays pour tenir des réunions par état pour l’Autre Campagne et mettra en place le transport, le logement, la restauration et le déplacement de la Sixième Commission. »
Il a dit « délégué zéro », rien de sous délégué.
Voici le lien de la traduction du discours complet, prononcé du même podium où se tenaient assis tant de comandantes (et comandantas) pour parler. Personne n’exprima son desaccord. Il y a un lien sur cette page avec le texte original en espagnol. Les mots « sous délégué » ne sont pas utilisés. Peut-être y-a-t-il une confusion à cause de son autre titre de sous commandant ? Il a toujours été les deux : Sous commandant et Délégué.
Il y a eu un communiqué – du 26 décembre- je donnerai le lien quand j’y ferai référence ci-après- où il signe « Sous-délégué ». C’était un jeu de mots. Peut-être l’a-t-il fait en d’autres occasions. Enfin, John, vous êtes poète. Comprenez.
Votre question semble impliquer qu’il est parti dans son propre show et que la Comandancia ne le soutient pas. Mes ces mots viennent d’un communiqué signé du fameux « CCRI-CG du EZLN », un communiqué qui finit avec les signatures des sept femmes et six hommes au commandement : les voici :
…La Sixième et l’Autre Campagne n’appartiennent désormais plus seulement à l’ EZLN, mais à tous ceux et à toutes celles qui la font leurs.
Pour le Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène- Commandement Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale,
Commandante Ramona,
Commandante Susana,
Commandante Esther,
Commandante Miriam,
Commandante Hortensia,
Commandante Gabriela,
Commandant David,
Commandant Tacho,
Commandant Zebedeo,
Commandant Ramón.
Pour les troupes insurgées et miliciennes de l’Armée Zapatiste De Libération Nationale, Lieutenant-Colonel Insurgé Moisés.
Pour la Commission Sixième de l’EZLN,
Sous-Commandant Insurgé Marcos.
J’espère que cela dissipe tout malentendu. A la question suivante………
John : Pourquoi pendant son apparition à Tlatelolco le 3 mai , après avoir vu le reportage télévisé sur le premier jour de la bataille d’Atenco et conscient que la couverture signalait une répression brutale de la part du mal gobierno (mauvais gouvernement), le Délégué Zéro a-t-il incité les adhérents de la Otra Campaña à se rendre immédiatement à Atenco où ils furent arrêtés, frappés et violés et même assassinés (Ollin Alexis) le jour suivant, le 4 mai ?
Al : Votre question est basée sur de fausses déclarations, encore une fois. Heureusement, il y a des reportages audios et vidéos, des transcriptions et des traductions qui réfutent votre « description des faits ». Voici ce qui a été dit à Tlatelolco, citation :
« En tant que sixième Commission de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, organisation adhérente à l’Autre Campagne, nous demandons respectueusement aux coordinateurs régionaux et sous-régionaux dans tout le pays de convenir et de mettre en place des mobilisations en soutien du Front des Peuples pour la Défense de la Terre demain 4 mai, à 8 heures du matin.
En tant que Sixième Commission nous nous déclarons en alerte. Les troupes de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale viennent d’être déclarées en alerte rouge et à l’heure actuelle les Caracoles et les Municipalités Zapatistes Autonomes Rebelles seront fermées. A partir de maintenant, la nouvelle chaîne de commandement de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale est en fonction. Peu importe ce qui peut m’arriver, il y a des gens ici pour prendre des décisions. Nous ne vous connaissons pas tous mais aujourd’hui nous sommes tous Atenco.
Nous allons prêter attention à vos demandes. Nous vous appelons à vous réunir par secteur et par région pour que vous y réfléchissiez et conveniez des actions. En tant que Sixième Commission nous annulons toute notre participation aux activités programmées et attendons la parole du Front des Peuples en Défense de la Terre. S’ils ont besoin de notre présence là-bas, alors nous viendrons. Sinon nous participerons directement à une des actions que vous programmez pour demain à partir de 8 heures du matin ».
Prêtez attention, s’il vous plait, à ce qu’il a dit exactement. Marcos appelle à la mobilisation à partir de 8 heures du matin le 4 mai. Il n’a pas dit où. Et il a dit, cela vaut vraiment la peine de répéter : « nous attendons la parole du Front des Peuples en Défense de la Terre. S’ils ont besoin de notre présence là-bas, nous viendrons. Sinon nous participerons directement à une des actions que vous programmez pour demain à partir de 8 heures du matin. »
Il a dit attendez l’invitation du FDPT, l’organisation adhérente à Atenco. Il a dit que le EZLN attendait également cet appel.
Juste après qu’il ait dit ces mots, America del Valle, représentant ce même FPDT, demanda au gens de se mobiliser à 8 heures, le 4 mai, à l’Université de Chapingo (à l’extérieur d’Atenco) et aussi à un pont de Ecatepec (à l’extérieur d’Atenco). Ni elle ni Marcos ont dit aux gens de se précipiter à Atenco et aucun de ceux qui répondirent à l’appel et allèrent à Chapingo et à Ecatepec ne furent arrêtés, ni frappés, ni violés, ni tués, aucun d’entre eux.
En tant qu’adhérents, nous n’anticipons pas les décisions autonomes de chaque organisation ou individu. Nous sommes solidaires avec ceux qui décidèrent d’y aller (beaucoup d’entre eux sont maintenant blessés ou prisonniers politiques, un d’entre eux, Alexis Berhumea, est mort) et nous respectons aussi et soutenons ceux qui ont attendu que le FPDT les y invite (y compris le EZLN).
Pour nous –et c’est tout à fait l’esprit de la Otra comme nous l’interprétons– l’autonomie de chaque organisation, de chaque individu est prépondérante et digne de solidarité et de soutien. Les jours sont finis où des secteurs de mouvements sociaux pouvaient entonner : « Oh, mais nous, nous aurions fait autrement, par conséquent nous dégageons notre solidarité » et pouvait trouver un chœur important pour les accompagner, du moins en ce qui concerne l’Autre Campagne.
Je ne trouve rien de plus prétentieux que cette forme d’activisme qui insiste sur la pureté, qui accorde et retire ses alliances sur des querelles de tactique. Cette approche démodée et égoïste de la politique ne marche pas. C’est un excès de vanité. C’est considérer les mouvements sociaux comme des produits de consommation où le consommateur dit : « Bon, je vais faire affaire ailleurs ! » c’est stupide. Cela ne fait jamais gagner une seule bataille et cela en a causé la perte de beaucoup. La Otra est un retour du principe de « solidarité pour toujours ». C’était une chanson qu’on chantait – et une éthique qu’on vivait – quand les mouvements syndicaux et sociaux gagnaient des batailles. Tous pour un et un pour tous, c’est ça pour nous l’Autre Campagne.
John : Pourquoi le Délégué Zéro n’apparaît pas à Atenco avant le soir du 5 mai ?
Al : Car c’est le jour où il a été invité. Il y est allé le 5 mai –un jour après le raid de la police – avec des milliers d’autres gens, tous ensemble. Au moment où l’organisation locale – le FPDT -l’invita lui et les autres à venir. Cela me semble plutôt naturel et raisonnable.
Et pour souligner ce point, ce que les gens d’Atenco nous ont dit (car nous y sommes retournés de temps en temps depuis) c’est que Marcos – le 3 mai , en contact par téléphone portable avec leur porte-parole Nacho del Valle – proposa à plusieurs reprises de venir immédiatement. Nacho répondit que non, qu’ils étaient sur le point de se faire matraquer et qu’ils avaient besoin de l’Autre Campagne encore debout pour les en sortir après ça. Ceci, confirme pour moi l’intelligence de la stratégie et de la tactique de Nacho – et son désintéressement. Sous une répression et une pression énorme, il fit un appel de sang froid. Et c’est ce qui est arrivé. Tout le monde n’est pas allé en prison. Un mouvement existe à l’extérieur luttant pour la mise en liberté des prisonniers et qui a gagné jusqu’ici le relâchement de 189 détenus sur les 217 arrêtés.
Voici un credo que nous avons sans cesse répété autour de notre salle de presse tout le mois dernier en voyant les réactions des gens à la crise d’Atenco, qui passaient de l’héroïque à l’effective jusqu’à la maniaco-dépressive de ceux qui choisissent, dans le feu de l’action, de se plaindre et de lancer des flèches au lieu de travailler pour sortir nos gens de là : dans les moments de crise morale, se révèle le vrai caractère de chaque individu.
Le 3 mai et après, nous avons pu voir qui était méthodique, prudent, qui réussissait et tout sous d’énorme pression. Ce sont ces gens – non ceux qui ont des réactions automatiques dont la premier réflexe en temps de crise est de se mettre à commander les autres alentour comme si c’était un troupeau de moutons – qui mènent un mouvement à la victoire.
John : Pourquoi le Délégué Zéro a-t-il accordé à Télévisa une interview prolongée en studio avec le présentateur vedette Carlos Loret de Mola après avoir dénoncé et satirisé le monopole de la télévision pendant 12 ans et en dépit du passage au sénat de l’infâme « loi Télévisa » quelques jours auparavant ?
Al : Le 5 mai à Atenco –nous y étions en reportage et vous pouvez lire ici à ce sujet – Marcos annonçait d’une façon transparente qu’il accorderait des interviews sous des conditions très spécifiques au masse média qui garantirait que ses paroles seraient retransmises en entier et sans correction. La Jornada, Televisa, CNN et TeleSUR, dans cet ordre, fournirent ces garanties.
Personne – du moins pas en bas ni à gauche –n’a jamais posé ouvertement ces conditions à Télévisa ou à une autre grande chaîne TV, or c’est ce qu’il a fait.
Mon opinion c’est que cette interview – dans ce contexte important qui est omis dans votre question – fut une victoire pour la lutte contre les médias commerciales et une défaite pour Télévisa en particulier. Je le vois à la lumière de mon « manifesto » de 1997 : The Medium is the Middleman : For a Revolution Against the Media (avec des annotations de mises à jour reflétant l’évolution de ma pensée en 2002). L’Autre Campagne a forcé Télévisa à laisser cet antécédent que l’on peut désormais demander zéro censure de leur part en échange de l’octroi d’interviews. Et ce précédent établit aussi qu’on peut le faire de la façon que vous appelez « prolongée » (vous signalez la longueur de l’interview comme un reproche : Je dis non. Gagner le droit à l’accès prolongé aux ondes, sans interruption ni censure et non abrégée est l’antidote à la mentalité du spot archi-simplifié des actualités télévisées. En tous cas je suis en train de vous accorder une interview encore plus longue que celle-là, en ce moment…
En plus, je pense que l’interview elle-même avait son importance par ses mérites. Elle s’inscrit dans le renversement des rôles de « la version officielle » de l’histoire d’Atenco (qui était celle d’une foule violente et indisciplinée corrigée par les forces de l’ordre et de la loi) et l’a rendue à ce qu’elle est maintenant : une histoire d’un régime répressif et illégitime qui frappe, arrête, viole et tue pour arriver à ses fins. J’ai écrit à ce sujet dans « The Zapatista Other Campain and the Netwar Over Defining Atenco » le 26 mai, si vous voulez lire pourquoi cela a marché d’après moi.
La semaine dernière, nous avons vu comment ce « renversement des rôles » est entré en jeu à Oaxaca, conduisant à l’échec d’un raide policier fédéral similaire (cette fois avec des professeurs en grève) et à une réponse différente du gouvernement fédéral qui cette fois refusa la semonce du gouverneur d’envoyer des troupes fédérales taper sur des têtes. C’est le meilleur signe que la stratégie qui a introduit une apparition à Télévisa, mais sans se limiter du tout à cela, a marché.
John : Pourquoi le Délégué Zéro appelle-t-il maintenant dans les meetings publiques à renverser le gouvernement alors que dans le passé le EZLN a déclaré à plusieurs reprises que la prise du pouvoir d’état ne l’intéressait pas?
Al : Faire tomber un gouvernement est une chose .Prendre le pouvoir d’état serait une toute autre chose. Je ne suis pas d’accord avec votre déduction que c’est une seule et même chose. On peut détruire quelque chose et ne pas s’en désigner son propriétaire après. Peut-être le meilleur exemple en est, dans l’histoire du Mexique, Emiliano Zapata, lequel fit basculer le régime mais refusa de s’assoire sur la chaise du président quand on l’y invita.
Mais cela n’a rien de nouveau comme vous savez. Si l’on révise, comme nous l’avons fait, la somme totale de tout ce qu’a dit Marcos tout au long du parcours de l’Autre Campagne, dans tous les états, le message est essentiellement le même qu’il y a douze ans. Dans le premier communiqué de 1994, Déclaration de Guerre, ils jurent de « surpasser » les forces fédérales et de faire tomber le gouvernement, une fois la révolte à Mexico. Cela fait 12 ans que c’est répété. Et ça été sûrement répété dans la Sixième Déclaration, document que vous avez lu et signé. Vous êtes allé dans la forêt et avez également parlé comme adhérent. La Sexta appelle à la destruction du capitalisme. Vous n’avez alors exprimé aucun désaccord et je doute que vous ne soyez pas d’accord maintenant.
La totalité de vos questions – car en écoutant nous essayons aussi d’écouter ce que les gens ne disent pas tout haut – semble suggérer que le Délégué Zéro est en quelque sorte un individu solitaire, abandonné par sa base de soutien du Chiapas et que lui seul, avec ses dangereux pouvoirs hypnotiques, a détourné par magie vers un autre chemin. le EZLN et tous ceux engagés avec lui Vous suggérez presque qu’il a trahi les principes mêmes du Zapatisme. Ce n’est pas là l’histoire dont nous avons été témoin et que nous n’avons pas arrêté de raconter en route depuis cinq mois presque six. Ce scénario est imaginaire, un phantasme, une théorie sans preuve.
John, vous étiez pris par la rédaction finale de votre livre. Dans plusieurs articles que vous avez publiés pendant cette période, dans la rubrique description de l’auteur, vous dites « ne me dérangez pas, je suis pris par la rédaction finale de mon livre ». Peut être aurais-je dû vous déranger pour vous sortir dans un club de blues et vous présenter ces points de vue en buvant une bière ou deux. Cette priorité signifiait aussi que vous n’étiez pas tellement au courrant de l’Autre Campagne dehors dans les provinces, depuis janvier que vous étiez au Chiapas et plus récemment lors d’événements à Mexico. Et c’est – je le répète ici – votre décision autonome. Je la respecte. Je ne vais pas vous rabaisser et en déduire que vous êtes moins adhérent que moi ou que d’autres dans cette équipe. Nous affrontons tous ensemble le même peloton d’exécution. Mais vous avez des idées qui ne correspondent simplement pas à la réalité que nous avons vécue et constatée nous tous lors de nos voyages dans le sud et au centre du pays, au sein de cette équipe, sur les routes de cet Autre Journalisme. Notre expérience au cours de la tournée de l’Autre Campagne est légitime. Notre reportage a été d’une honnêteté impeccable. Or il nous conduit à des conclusions très opposées.
En tous cas j’arrive avec impatience à votre question suivante au sujet de Staline car elle va m’aider à mieux expliquer le concept d’autonomie absolue et quelques autres « principes essentiels » – de même que les impératifs stratégiques – derrière nos opinions…
John : Pourquoi le Délégué Zéro ne dit rien au sujet des portraits de Joe Staline qui apparaissent maintenant à chaque meeting ? N’est-ce pas le but de l’Autre Campagne de construire à partir d’en bas une gauche horizontale, miroir opposé du totalitarisme stalinien ?
Al : J’ai écrit à propos du poster de Staline –porté par une organisation (pas le EZLN) adhérant à l’Autre Campagne – lors de cette récente guerre des médias (netwar). Je pense que c’est une question intéressante. Mais commençons par une réflexion.
N’étant pas un enfant des années 1960, c’est la génération punk des années 1970 qui m’a formé, à New York notamment où elle atteint quelques unes de ses premières manifestations. Là-bas un artiste du nom de Arturo Vega était le « design director » du groupe musical les Ramones. C’était avant qu’ils aient enregistré leur disque. Comme Bob Dylan devait imprégner votre génération, ces punks ont imprégné la mienne. Et Vega – qui était membre d’un autre groupe musical, un duo du nom de Suicide – avait une appartement où vivaient les membres des Ramones et il y exerçait son art.
Un jour Vega monta un mur entier de croix gammées fluo – beaucoup dans le style, disons, des fluos « peace-and-love » des années soixante de l’artiste Peter Maxx – et il allait s’asseoir pour observer la réaction des gens quand ils entraient et voyaient son œuvre d’art provocatrice. La réaction des gens le faisait hurler d’une joie goguenarde. Il partagea plus tard ses réflexions avec McNiel et Gillian Mccain pour leur histoire orale du mouvement punk, Please Kill Me (1966, Grove Press).
Dans une critique sur ce livre pour le supplément littéraire de Phoenix Boston, je donnais cet argument que je reproduis ici :
Des gauchistes hyper-socialisés ont longtemps été contre la négation comme outil de changement du monde : « Il est certain que vous bouleversez les choses » disent-ils, « mais quel est votre programme ? »Le programme punk « c’était » le bouleversement. Le mouvement punk codifiait l’art de « ce qui n’est pas beau ». L’artiste Arturo Vega peignsit des croix gammées fluo qui décoraient l’appartement des Ramones. Il considérait les peintures « un détecteur de Nazi secret » démasquant ceux qui contestaient le plus bruyamment car réprimant leur propres tendances autoritaires (« pense toujours que pour vaincre le mal » dit-il « tu dois lui faire l’amour »).
Quand j’ai vu, lors des réunions dans la forêt de l’été dernier, le poster de Staline (ainsi que d’autres de Marx, Engels et Lénine) et j’ai vu les membres du Parti Communiste Mexicain l’entourer malicieusement comme s’ils montaient un poster sacrilège, c’était comme juste d’avoir gagné la révolution, j’avais, dans la forêt, « un moment punk rock à la Arturo Vega ».
D’abord cela m’embêtait de les voir là, tout comme je tique encore si je vois une croix gammée et je dois me rappeler la Doctrine d’Arturo Vega ou, d’ailleurs si je sens l’odeur d’un truc « New Age » (ce qui me semble un des fondamentalismes les plus puritain de notre époque, nous avons tous nos bêtes noires, non ?) et c’était le premier indice pour y regarder de plu près. Quand un discours m’embête, j’essaie d’observer mes propres réactions et non le discours (ou le poster, l’image ou toute autre forme de discours) car, en fait, mots et images –contrairement à l’opinion des gauchistes hyper-socialistes du monde développé et les créatures qu’il déforme en ce que nous sommes – ne dérangent personne. Comme un syndicaliste anarchiste de tendance Makhnovshchine (ce qui veut dire ennemi juré du stalinisme, non pas que la tendance à laquelle nous nous rattachons intéresse la plupart des gens, mais j’écarte celle-ci ), je devais vraiment réfléchir longuement au sujet des implications du poster de Staline.
Il était là : ce poster de Staline aux méchants yeux perçants, nous dévisageant tous quelque part dans les montagnes du sud-est mexicain, comme une scène d’un film d’horreur du Rocky Horror Picture Show. Un autre adhérent arriva avec une pétition demandant qu’on l’enlève. C’était le premier indice pour moi. Qu’un poster conduise un adhérent à vouloir censurer l’expression d’un autre adhérent. Je me dit : « Ah ah ! Voilà la face cachée du stalinisme dans l’Autre Campagne ! »Ce n’était pas tant dans un poster mais dans le besoin de le déporter en Sibérie. Le besoin d’extirper une, si ce n’est la, caractéristique qui définit le stalinisme.
Je dis au compañero : « rien ne t’empêche de placer un poster anti-Staline à côté », en refusant de signer sa pétition. Comme partisan absolu de la liberté de parole, je commençais à penser à tout ce vacarme différemment. Je commençais à regarder ces membres du Parti Communiste comme des rockers punk qui exposaient ce qu’ils considéraient être l’expression la plus sacrilège ou « radicale » et, comme Arturo Vega, observaient les réactions des personnes qui entraient. Ils adoraient définitivement cela. Cela semblait plus anarchiste que staliniste, cet esprit de méchanceté. C’était leur version du Coussin Péteur glissé sous les sièges des gens manquant humour.
Quand ils ont emmené ce poster sur le tour de l’Autre Campagne et qu’ils se sont mis à le brandir partout où Marcos apparaissait, j’ai du y réfléchir un peu plus sous l’angle de la propagande car la gueule de Staline n’est pas exactement attrayante pour beaucoup de bonnes gens. Naturellement tous les autres de tendances politiques différentes commencèrent à en parler entre eux. Les Marxistes-Léninistes du Parti Communiste Mexicain – un groupe différent du CP avec le poster de Staline, organisation qui rejette fermement le Stalinisme – et les Troskistes, les anarchistes, les punks, les pacifistes, les catholiques, les protestants, les ONG de type droits de l’homme, les excentriques des médias alternatives (votre compadre Hermann Bellinghausen dit que la Caravane est comme l’arche de Noé car il y en a au moins deux de chaque tendance) et tout le monde – sauf la grande majorité des gens sans« tendance » déclarée – parlaient du poster.
En même temps nous commencions à faire connaissance avec ces « staliniens », à partager nos repas avec eux, parler avec eux et il devenait évident que ces gens n’étaient une menace pour aucun d’entre nous. Ils avaient le sens de l’humour. Quand on devait organiser des trucs en vitesse, ils étaient vraiment bons. Ils travaillaient bien ensemble, en équipe. Nous pouvions les taquiner au sujet de El Gran Pepe. Et ils savaient se moquer de nous en nous traitant de mixture d’anar, de punks ou autre. Avec le temps, ils montrèrent par l’exemple ce que Marcos voulait dire en disant : « prend ta place dans l’Autre Campagne », garde-la et défends-la. » Car, mon vieux, ils devaient vraiment défendre ce mouvement d’un grand nombre de personnes qui voulaient enlever leur poster ou les bannir complètement. Ce fut ouvertement débattu à la session plénière du 16 septembre dans la forêt mais l’écrasante majorité des adhérents considéra le débat comme un spectacle dissident. Il n’y avait pas de lame de fond pour bannir le discours d’un autre. Ainsi pour la grande majorité de l’Autre Campagne, la motion de censure n’a pas été de mise il y a neuf mois. Et maintenant où aille le poster de Staline, des drapeaux anarchistes lui font de l’ombre : deux idéologies opposées qui trouvent un terrain d’entente dans l’Autre Campagne et s’entendent entre eux pour atteindre un but supérieur commun. Je trouve ça encourageant et non pas décourageant.
Sautons à Atenco, 4 mai : deux de ces compagnons avec le poster de Staline dont j’avais fait la connaissance au cours de tant de haltes sur la route –Bertin et Pedro – furent mis en prison. Nous nous battîmes exactement avec la même vigueur pour les en sortir que pour les autres. J’étais fier de les connaître quand ils ont brûlés publiquement leurs uniformes de prison, le 28 mai.
Le problème avec les gauchistes hyper-socialisés c’est qu’ils prêchent la tolérance à un niveau fétichiste pour « les groupes identitaires » (c’est à dire les classifications d’ethnie, de race, de genre, d’orientation sexuelle, etcetera) mais ne montrent aucune tolérance pour des différences d’opinion. Les pacifistes veulent que nous renoncions à la violence révolutionnaire et même à la confrontation et les militants veulent que nous renoncions au pacifisme et même à la non-violence. Les anarchistes veulent que nous renvoyions les communistes et les communistes veulent que nous mettions des coussins péteurs sous les sièges des anarchistes. Les hippies détestent les punks et les punks méprisent les hippies et il y a une armée de mômes sortant derrière nous qui voient les hippies et les punks comme vieux jeux (et ils ont raison comme les jeunes ont tendance à l’être à propos des générations précédentes) mais ils sont encore prêts à travailler avec nous dans l’Autre Campagne. Passons sur le coup de couteau dans le dos historique et les guerres de territoire qui eurent lieu – avant l’Autre Campagne- entre les organisations de médias alternatives : c’est pour l’essentiel fini maintenant. Dieu vous bénisse si vous êtes juste une personne normale qui n’affiche aucune tendance politique mais qui sait que l’injustice est un tord et qui croit simplement en la démocratie, la liberté et la justice. La gauche est tout le temps paralysée par cette mutuelle intolérance.
L’Autre Campagne a mis fin à cela, non pas en « bannissant », « censurant » ou « renvoyant » les gens mais en trouvant un meilleur chemin, plus attractif, vers l’unité. La co-existence de toutes ces tendances disparates à côté de tant de « gens normaux » aussi dans la caravane a prouvé que c’est faisable. Hermann a raison. L’Autre Campagne est le nouvel Arche de Noé. Elle nous fait traverser l’inondation. Quand la pluie s’arrêtera, nous pourrons vivre les uns avec les autres – collaborer – d’une manière que peu d’entre nous pensaient possible avant que le bateau quitte le port.
Quant à la décision de Marcos de ne « rien dire » (vos mots) à ce propos, demandez-lui. Je répète ce fut déjà débattu dans une assemblée de milliers d’adhérents et il y eu peu de soutien pour censurer l‘expression ou la tendance de quiconque dans l’Autre Campagne. Je me suis pleinement exprimé à ce sujet mais il est clair que mes conclusions diffèrent des vôtres. Ça ne m’embête pas, un poster : limogez-moi alors. Ceux qui semblent excessivement embêtés m’ont l’air de Mrs Teasdale confrontée à un autre Marx du nom de Groucho, un des Marx Brothers. Mes propres principes anarchistes anti-stalinistes – je les ai oubliés ou j’ai changé d’opinions sur les erreurs du stalinisme – me font défendre des discours même si je ne suis pas d’accord. D’un autre côté j’adore observer, à la façon d’Arturo Vega, des soi-disant anti-autoritaires se livrer à leurs propres impulsions de censure staliniste au nom de l’anti-stalinisme. Nous sommes tous dans un processus d’auto éducation, dans ce truc aussi. Vous êtes assis sur le coussin péteur. Belle affaire. Envoyez-le promener et de retour au combat. Si vous y croyez encore dur comme fer, apporter votre propre poster anti-staliniste au prochain événement au lieu de demander à Marcos ou à un autre de le faire pour vous. Ça aussi c’est l’Autre Campagne.
John : Pourquoi plusieurs adhérents qui assistèrent au ralliement du Zocalo le 10 juin en mémoire de Ollin Alexis furent-ils expulsés du meeting ? Étaient-ils des « porras » (agitateurs) comme le soutenaient une poignée de membres du Conseil Général de la Grève ?
Al : Je n’ai rien entendu sur l’événement que vous décrivez. Je n’y étais pas. Peut-être y étiez-vous. Mais mon esprit journalistique interroge : que voulez-vous dire par les gens furent « expulsés » du Zocalo ? Comment quelqu’un peut-il être « expulsé » d’un parc public, le plus public de tout le Mexique ? Se pourrait-il que l’Autre Campagne appelle la police ? J’en doute.
Maintenant on dirait sans doute qu’il ne parlerait pas s’ils étaient présents – cela est arrivé auparavant au cours de la tournée de l’Autre Campagne (Elena Poniatowska de la non-autre campagne étant la seule à s’en plaindre publiquement) – mais c’est le droit de tout un chacun de ne pas parler devant quelqu’un avec qui il ne veut pas parler. A certains moments dans mes concerts de blues, j’ai arrêté le concert parce que quelqu’un pour qui je ne voulais pas chanter, est entré et j’attendais qu’il soit parti pour recommencer. Peut-être avez-vous vu des choses semblables dans des lectures de poèmes. C’est le droit de chacun en tant que personne publique : le silence est un droit. Mais je doute fortement que quelqu’un ait été expulsé du Zocalo. J’aimerais lire votre compte rendu sur cette éventuelle expulsion. Mais cela ne passe pas le test de réalité, pas la façon dont vous l’avez décrite.
John : L’Autre Campagne n’est-elle pas censée être intégrative ?
Al : Je pense ce que je viens de dire concernant l’intégration même des stalinistes le prouve.
Mais ne surévaluons pas la capacité d’intégration. Nous avons tous payé cher le fait de laisser entrer dans nos vie ou nos projets quelqu’un avide de pouvoir, émotionnellement instable ou peut être provocateur. Pour faire de la place pour intégrer quelqu’un, il y a souvent exclusion de ceux qui feraient dérailler un projet. Pour faire de la place pour l’intégration de l’Autre Campagne – anticapitaliste et de gauche – il y a eu une exclusion marquée de militants, candidats et officiels de partis politiques électoraux. A cette phase du processus – dans la chaleur de la campagne électorale présidentielle – cela me semble raisonnable.
Ceux-ci attrapés dans l’horloge électorale –A 13 jours du compte à rebours – sont frénétiques, obsédés par une seule chose, un vote, une date. Uta Madre ! Même les supporteurs de Patricia Mercado – votre réel spoiler (candidat saboteur) cette année –en sont insupportables. Dès qu’ils entrent dans une pièce, rien d’autre ne peut se passer, tant ils sont zélés. Cette « Arche de Noé » qu’est l’Autre Campagne n’aurait jamais été construite si ces gens avaient été là, nous poussant encore et encore vers leur impératif électoral qui malgré toute leur ferveur religieuse, sera terminée dans moins de deux semaines. Noé n’avait pas non plus invité à monter dans le bateau deux espèces de variole. C’est ce jour là – la fin des élections et le commencement de « ce qu’il y a après » – je pense, que beaucoup de ceux qui ont abandonné l’Autre Campagne ou l’ont vu comme une plaisanterie commenceront à la comprendre vraiment pour la première fois. Car l’aveuglement électoral sera enfin passé et les faux espoirs que beaucoup se font dans ce qui se passe en haut commenceront à s’écraser sur l’écueil de la realpolitik.
John : Est-ce que le PRD est vraiment content de la mort d’Ollin Alexis, comme l’affirme le Délégué Zéro ? Le PRD est-il réellement aussi mauvais que le PAN ou le PRI ? Est-ce que le pire est meilleur ?
Al : Vous me demander encore de parler au nom de quelqu’un d’autre, cette fois des partis politiques. Un parti politique ne peut être content ou mécontent de rien. Seuls les individus peuvent être contents ou mécontents. Je suis sûr qu’il y a des membres dans chaque parti qui en sont attristés et d’autres qui en jubilent. Je ne suis pas sûr de l’exactitude de votre citation dans la réprobation de ce qu’a dit Marcos, puisque nous avons traduit virtuellement tout ce qu’il a dit à propos d’Alexis et je ne me rappelle pas une telle citation. Mais peut-être a-t-il dit une chose pareille. Je le répète : vous êtes poète. Si vous n’aimez pas le poème d’un autre poète, écrivez-en un meilleur. Il n’y a pas grand-chose à faire en ce qui concerne les mots d’un autre. C’est un but indigne que d’essayer de censurer quelqu’un d’autre.
Je peux répondre à une question : je ne crois pas que le pire soit le mieux. Je ne crois pas que les choses doivent empirer afin de créer les conditions objectives pour une révolution. Les choses sont suffisamment mauvaises comme ça. Nous n’avons pas besoin d’impulsion supplémentaire pour la révolte. Je ne crois pas non plus que l’Autre Campagne essaie de provoquer un parti franchement d’aile droite pour gagner la présidence du Mexique, comme on dit erronément au PRD (Parti de la révolution démocratique). Quelque chose d’autre se passe en bas et sur une horloge différente.
Je peux dire que j’ai fais mon temps dans la prison qu’est de regarder en haut. Je l’ai fait pendant des années comme reporter politique aux États-unis. Je l’ai fait en Amérique Latine. Quand Lula da Silva fut élu au Brésil, j’y suis descendu y vivre en espérant être témoin et partie d’un grand saut en avant. Mais ce n’est pas arrivé, non ? Et Lula était gauchiste de bonne foi ! C’était une dure leçon.
L’Autre Campagne a été très claire : comment voter ou si voter, c’est une décision personnelle. Elle ne voulait pas de militants d’aucun parti engagés avec La Otra – ce n’est pas nouveau, c’était annoncé dès le premier jour – et, à mon avis, c’était une requête intelligente. Il faut s’assurer que les gens qui seront hors du gouvernement – anti-capitalistes et de gauche – sont organisés ensemble pour confronter toute administration de parti, de gauche, de droite ou du centre, lorsqu’ il entre au pouvoir.
Je ne crois pas non plus que les élections au Mexique ou aux États-unis soient justes et libres ni même proches de la démocratie authentique. Aux US, je crois que Gore gagna les élections populaires de 2000 et que Kerry gagna les élections de 2004 et que les preuves de fraude furent bien documentées, quoique pas dans les masses médias. Je suis d’accord que les choses sont pires pour tout le monde car Bush est à la Maison Blanche et que sa défaite aurait été préférable. Mais les fraudes informatiques sont faciles à faire et difficiles à détecter. Je crois que nous en avons vu des exemples ces dernières années. Qui empêchera de le faire au Mexique, où on ne peut même pas avoir un inspecteur des élections qui comptent les votes à chaque bureau de vote ? Tout ce bavardage sur « comme la sécurité du comptage des votes à chaque bureau de vote a évolué, blablabla, c’est du vent. Si on ne peut compter les sacrés votes au bureau de vote, on ne peut garantir l’absence de fraude informatique, à la 1988.
De plus je crois que l’argent et le coût des médias rend de telles élections injustes dès le départ. C’est une mauvaise plaisanterie. La décision sur la présidence du Mexique sera faite d’en haut comme ce fut le cas il y a six ans quand l’Empire paria sur Fox.
Si ceux d’en haut décident que cela doit être Andres Manuel Obrador, le « centre-gauche », ils auront de bonnes raisons de le faire, leurs propres intérêts. Car si, inversement, ils décident que ce soit la droite de Felipe Calderon du PAN (Parti action national) un grand nombre de gens ne vont pas l’avaler, la mémoire collective de la fraude que vous avez si bien décrite l’autre jour et la révolte pourrait apparaître dès le 3 juillet. Je n’écarte pas encore le scénario où le système lance Roberto Madrazo et le PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) comme les supposés gagnants. Mais le système peut acheter plus de temps avec Lopez Obrador qu’il le peut avec les autres. C’est un risque pour le système car il y a encore la possibilité, quoique minime, que Lopez Obrador nous surprenne, comme Chavez au Venezuela, peut être et fasse correctement quelques grandes choses. Le seul moyen possible de le faire, ce serait un mouvement populaire hors de son gouvernement pour l’y pousser, comme s’est arrivé au Venezuela et qui pourrait arriver en Bolivie ; nous verrons. Encore une fois, tout ramène à la nécessité de l’Autre Campagne.
Bon, John, imagine que ce soit maintenant le 3 juillet. Si Lopez Obrador est déclaré gagnant, qui poussera ce gouvernement d’en bas à gauche ? On aura besoin de l’Autre Campagne. Si Calderon est déclaré gagnant : qui mènera la charge pour proclamer son illégitimité ? On aura besoin de l’Autre Campagne. Si le diable sort de sa boîte –surprise – Madrazo sort en vous souriant, vous aurez vraiment besoin de l’Autre Campagne alors. Les élections sont des choses fugaces; comme la Coupe du Monde, ce sera bientôt terminé. Qui a pensé à ce qui viendra après ? Beaucoup d’adhérents de l’Autre Campagne l’ont fait à un degré auquel n’est arrivé, à mon avis, aucun des candidats ni des partis.
John : Pourquoi la presse alternative ne dit rien sur tout ça ? N’est-ce pas le rôle de la presse alternative d’être critique ?
Al : J’ai l’impression d’avoir cette discussion juste en ce moment. Toujours est-il que je ne partage pas vos points de vue. Il est clair que je suis en désaccord avec bon nombre de vos exposés des « faits » et nous en avons donné la justification évidente ci-dessus. La plupart de vos objections, d’après moi, sont au stade de supposition injustifiée et d’approximation. Bien que d’autres aient dit la mêmes chose, c’était généralement des groupes médiatiques ou des geignards anonymes sur internet et il est inutile d’entamer un débat avec des pseudonymes. Mais c’est bien : John et Al ayant une conversation en public, avec nos noms apposés. J’espère que cela signifie que si l’un de nous démontre, avec faits à l’appui, que l’autre est dans l’erreur, l’autre modifiera sa position en conséquence.
Il y a différentes sortes de médias alternatives. A Narco News nous ne nous identifions pas avec ce mot. « Alternative à quoi ? » Aux Etat-unis, les « médias alternatives » sont une grande entreprise. Il ne plaisante même pas avec le combat anti-capitaliste, comme il le faisait il y a 30 ans, et n’en fait encore moins le reportage. Nous préférons le terme « journalisme authentique » car nous ne réagissons pas contre eux, ni contre les masses medias. Nous ne faisons que ce que nous pensons juste. Pour nous tous ces simulateurs en haut sont « des alternatives » – ils inventent littéralement une réalité alternative et l’impose ensuite à tout le monde – tandis que nous essayons de faire le reportage de la réalité que nous vivons, en combattant en bas.
Comme de vrais gens, comme des êtres humains qui choisissent de faire du journalisme, nous ne vérifions pas notre humanité à la porte, ni assumons une attitude « objective » distante (comme si c’était possible). Nous n’essayons même pas. Nous ne considérons pas cela comme un but valable. Nous sommes une classe d’ouvriers qui est surtout exploitée par le secteur privé, non par la censure de l’Etat mais par la mise au ban du Nouvel Etat que forment les médias. Ils prêchent la liberté comme ils réduisent quotidiennement la parole au silence ; plus exactement ils noient sous un flot de mensonges la parole véridique. Je n’ai pas besoin de vous le dire. Vous savez comment c’est là bas. C’est horrible. Souvent la « presse alternative » est le pire exploiteur du travail. Aussi nous avons notre propre combat. En nous alignant sur les combats d’autres ouvriers, de fermiers, de tous les autres secteurs de l’Autre Campagne, nous faisons ce que nous pensons le mieux pour tout le monde mais aussi pour nous.
La Sixième Déclaration nous séduisait car elle est anti-capitaliste et de gauche et, pour nous, cela signifie reprendre les moyens de production. En tant qu’ouvriers des médias cela signifie reprendre les ondes, les presses, les réseaux de distribution ou détruire ceux qui existent et faire un espace pour tout le monde dans la société pour en construire de nouveaux. Ce n’est pas que nous voulons devenir les nouveaux directeurs de Télévisa ou les prochains correspondants du New York Times en Amérique Latine, pas plus que les Zapatistes veulent être des hommes de congrès ou que Zapata voulait être président. Non. C’est que nous détruisons le pouvoir de convocation de Télévisa, du New York Times et tous les autres, nous « envoyons promener » leur crédibilité et la croyance des gens à mesure que nous construisons quelque chose d’autre, quelque chose « autrement », nous-mêmes. Depuis six ans Narco News a été actif dans cette bataille et comme individus depuis plus longtemps encore.
Lorsque nous avons vu les zapatistes – des fermiers la plus part – reprendre les terres des propriétaires de plantations et les ouvriers posséder de nouveau leur propre travail et défendre ce terrain depuis douze ans, nous cherchèrent comment cette recette pouvait s’appliquer au journalisme. Quand nous lisons dans la Sixième Déclaration de la Forêt Lacandonienne que le temps est venu pour chaque secteur de le faire, nous répondîmes à l’appel de notre propre place. Notre méthode d’être parti prenante de cette cause – non séparé d’elle –non en haut de quelque olympe en haute masturbation avec les intellectuels, mais partie prenante – a été de faire ce que nous faisons : du journalisme mais comme part de quelque chose de plus grand que du journalisme. Nous découvrons nos influences. Quel est le problème alors ?
Parler de la « presse alternative » comme si c’était une espèce de monolithe est une grande erreur. Avant que l’Autre Campagne ne commence, peu d’entre nous pouvaient se mettre d’accord au déjeuner. Mais parmi ceux qui y étaient entrés, comme nous, nous avons vu d’autres projets comme Radio Pacheco, comme les deux Indymedias au Mexique et au Chiapas, comme Radio KeHuelga et Radio Sabotage et d’autres se développer comme nous. Nous avons vu quelques projets débutants intéressants aussi au niveau local et régional ou national tel que le magasine Palabras de la Otra. Il s’avère qu’aucun de ces projets – bien que quelques uns fonctionnaient comme çà dans le passé – n’étaient jamais en compétition pour les mêmes espaces ou le même personnel. Que chacun, par ses adhérents de l’Autre Campagne, a trouvé une équipe qui s’agrandit toujours de gens ayant les mêmes dispositions et à l’aise avec chacun des différents styles (il est clair que les styles de chaque projet sont très différents des uns des autres). Chacun a aussi élargi son audience public. Quand Marcos commentait en février que « les médias alternatives n’ont fait qu’utiliser l’Autre Campagne comme ses coulisses », je pense qu’ « il a pigé » avec force. Il le pensait dans le sens le plus positif. Que La Otra est un espace qui permet à plusieurs sortes de différents projets de valeur de grandir et de prospérer, bon, pas financièrement mais de toutes les autres façons importantes.
Ainsi la façon dont vous définissez votre travail de « média alternative » peut être bien différente de la mienne ou des autres membres de notre équipe. La Otra a de l’espace pour tout le monde dans toutes ses nuances. Mais je ne vais pas vous dire comment faire votre boulot. Je ne laisserais certainement personne me dire comment faire le mien. J’ai combattu trop durement pour gagner cette liberté pour la laisser passer maintenant.
En dépit de nombreuses divergences, nous paraissons quand même d’une certaine manière collaborer. Vous m’envoyez vos articles. Nous les publions. Notre réseau de lecteurs les distribue et les mettent en valeur. Vous lisez ce que d’autres collègues publient et nous lisons les vôtres et « une vérité plus grande » naît de cette combinaison. Je ne veux pas que John Ross soit comme moi. Il est clair que je ne veux pas être obligé d’être comme quelqu’un d’autre. C’est l’esprit de la Otra. Les zapatistas, les autres organisations et individus l’ont « pigé ». Ils ne veulent pas qu’aucun d’entre nous ni personne soit comme eux. Nous nous rendons compte que nous ne gagnons cette liberté que si tout le monde la gagne. Ainsi nous nous battons ensemble pour construire « one big fight » (un grand combat) qui sonne bien avec le vieux credo de l’IWW (Industrial Workers of the World) d’une «One Big Union » (un grand syndicat).
Je pense que « la gauche » aux Etats-Unis est particulièrement peu clair sur ce point alors que la gauche mexicaine l’est de plus en plus : tant de nos paisanos veulent dire à tout le monde ce qu’il devrait faire. Mais l’activisme hégémonique ne fonctionne pas. Cela ne fait avancer aucun combat ni aucune cause. Vraiment j’espère avec impatience que La Otra arrive à la frontière car, oui, nous allons faire un saut en avant à ce stade, si ce n’est physiquement du moins pour voir si c’est quelque chose de mieux sortira de la pollinisation croisée des mouvements de chaque côté de la frontière. Il y a un grand intérêt pour l’Autre Campagne dans le nord. Nous y pensons davantage, je pense, que la plupart des gens. Nous avons entendu de nombreux lecteurs là haut nous disant qu’ils ont l’intention de venir aux meetings bi-nationaux qui auront lieu à Tijuana et à Juarez. Quand cela se réalisera, voulez-vous une lettre de rappel au sujet de votre prédiction comme quoi l’Autre Campagne était déjà « à moitié ruinée » et «érodée » en juin 2006.
John : Le ton de supporteurs sans scrupule de la presse alternative est-elle une condition pour accompagner l’Autre Campagne ?
Al : Quelques jours avant le lancement de l’Autre Campagne, en décembre de l’année dernière, un communiqué de la Forêt Lacandonnienne est paru dans lequel Marcos demandait aux organisations organisées localement au Mexique de « donner la préférence de traitement aux compagnons de l’Otra qui « couvraient » ce tour puisque ces médias alternatives sont en désavantage par rapport aux masse médias et si c’est la Otra, et bien, nous devons être « autrement » en ce qui concerne la communication.
Or malgré sa clarté, cela a pris plusieurs semaines à la caravane sur la route pour qu’elle s’imprègne de cette éthique. Il y eu de premières tentatives –au Chiapas, dans le Yucatan et le Oaxaca – de la part de certains organisateurs locaux de se poser en vigile d’une façon qui inhibait l’esprit du communiqué. Je me souviens d’une réunion où un organisateur local nous dit que nous ne pouvions pas filmer « par ordres de Marcos ». Nous envoyâmes une note à l’Equipo de Apoyo du EZLN (équipe de soutien) et cinq minutes plus tard vint un de ses membres dire au type, en face d’un tas de monde, que rien de tel n’avait été dit. Nous mîmes tous en marche nos caméras. Mais nous dûmes nous battre pour cela ; gentiment, poliment, mais ce fut un combat. Dans d’autres endroits, comme Quintana Roo, les organisateurs locaux saisirent l’éthique immédiatement et nous facilitèrent notre boulot. C’était formidable. C’est là que fut bâtît le meilleur projet innovant par des gens que nous n’avions jamais vus auparavant comme le défunt Julio Lacossay et les jeunes gens du Rincon Rupestre, dont quelques uns se joignirent à la caravane. Quand l’Autre Campagne quitta le Chiapas et entra à Chetumal, c’était comme si un long nuage de d’abus de vigilance s’était enfin levé. En gros après quelques chocs à Oaxaca, la situation était généralement bonne. Mais vous avez eu une escarmouche avec ce vieux démon dans le Chiapas, vrai ? Je m’en rappelle. Votre question suivante s’y réfère…
John : Si tous les medias sont invitées à couvrir l’Autre Campagne comme le communiquait le Délégué Zéro le 1er janvier, pourquoi suis-je forclos des conférences de presse ?
Al : Honnêtement vous ne pouvez pas parler de « conférences de presse » au pluriel. Il n’y a eu qu’une « conférence de presse » durant les cinq mois et demi de l’Autre Campagne, au troisième jour et j’imagine que vous voulez dire pourquoi il n’y en a pas eu d’autres.
Je n’y étais pas. Vous y étiez. Et vous l’avez dénoncé ultérieurement. Je vous supportais avec beaucoup d’énergie, comme vous savez, mais avec mon propre style sans faire de ce que je considère une affaire interne une dénonciation publique. Je pense que nous sommes d’accord sur ces faits.
Le premier problème était « comment vous déterminez qui est une média alternative et qui ne l’est pas ? » Par exemple notre ami Hermann Bellinghausen : il travaille pour un journal commercial, La Jornada. Mais ses reportages sont « d’en bas et de gauche ». Maintenant vous êtes allé à ces réunions à Palenque, je pense que c’était le 3 ou 4 janvier et vous avez signé la liste de presse comme étant, je m’en souviens, du San Francisco Bay Guardian, un journal hebdomadaire alternatif appartenant à un autre bon ami, Bruce Brugman. Soudain, Marcos convoqua une conférence de presse et on lut la liste des médias alternatifs présents comme la liste des invités. Vous n’y étiez pas. Hermann y était. Aussi, il était clair qu’il n’y avait pas de cohérence dans les critères appliqués. Peut-être si vous aviez signé la liste en tant que « Narco News » à la place – vous avez déjà signé avec l’Autre Journalisme – vous seriez rentré. Ou peut-être pas : c’était tout au début et le processus de déblayer les vieux démons avait à peine commencé. Quelle que soit la personne qui faisait cette liste, elle n’avait probablement jamais entendu parler du Bay Guardian. Nous avons parfois tous trop tendance à déchiffrer une situation et à interpréter une gaffe impersonnelle ou du fait de l’ignorance comme un coup intentionnel et personnel. Je ne pense vraiment pas que c’est ce qui s’est passé ici.
C’était un dilemme : si vous allez donner une conférence de presse seulement devant les « médias alternatives », comment décidez-vous qui entre et qui n’entre pas ? C’est une décision très difficile. Vous savez que je l’ai contestée car vous avez une copie des emails que j’ai envoyés en privé pour vous appuyer auprès de qui vous savez. Mais j’ai protesté à titre privé. Est-ce cela que vous voulez dire par « supporters sans scrupule » ? Que lorsque j’ai une réclamation interne, je la traite en interne ? Si c’est cela, je plaide coupable et avec fierté : je pense qu’autre est le problème des mouvements sociaux quand une faction engage un combat avec une autre au travers des médias, alternatifs non. Vous aurez remarqué qu’à Narco News nous ne faisons pas de reportage sur les disputes fratricides dans les mouvements sociaux à moins qu’ils aient été déjà médiatisés ou se soient passés dans le cadre d’un forum public. Mais nous ne sommes jamais les premiers à révéler l’histoire qu’un tel se bat avec un tel au sujet de telle chose. Nous rendons compte des débats portant sur la philosophie, la stratégie et la tactique. Mais nous ne considérons pas les conflits de personnalité ou les problèmes de logistique inévitables (comme qui a été invité à une conférence de presse) comme des « nouvelles » cars il n’y a rien de « nouveau » en cette matière.
Un cas concret : dans l’état de Yucatan, en décembre et janvier dernier, il y avait une division pénible entre plusieurs organisation à l’intérieur de l’Autre Campagne avant l’arrivée de Marcos. Il y avait des divisions qui existaient dans certains cas depuis trente ans. La dispute était terminée dans l’état où Marcos y passait trois jours : c’était une dispute au sujet de quelque chose de vraiment important. Les deux partis lui demandèrent de médiatiser et il dit que non, les gars, c’est à vous de le résoudre. Un des groupes alla alors au Diaro de Yucatan pour divulguer publiquement sa dispute. Un autre, du même côte de la dispute – les artisans de la zone archéologique de Chichen Itza – choisirent de ne pas diffuser publiquement leur objections et continuèrent à défendre leur position en privé : ils voulaient que Marcos visite les ruines et prête attention à leur cause. Par la suite Marcos arriva au Yucatan, vit ce qui se passait réellement et décida alors de changer le programme pour aller à Chichen Itza.. Ce fut un moment historique pour l’Autre Campagne car c’est alors qu’il commença à voire qu’il y avait des vices à l’intérieur des comités locaux, une mentalité de garde barrière et il choisit de briser les barrières.
Quand il parla, il remercia les artisans de Chichen Itza de na pas avoir diffusé leur objection dans les médias. Lui, comme nous, semble croire qu’un mouvement fait mieux de ne pas immiscer l’ennemi (les médias) dans des disputes internes. Sa présence indiqua que les artisans de Chichen Itza avait gagné leur dispute en la faisant comme il l’avait fait : en interne.
Dans un mouvement, c’est ainsi qu’il devrait en être. Autrement on ne fait qu’encourager la contre-insurrection des masses medias dans leurs efforts pour diviser et régner, déformer, faire d’un rien une montagne et d’escamoter ce qui est réellement important. Puisque nous sommes adhérents et partie prenante de ce mouvement, nous combattons les luttes internes en interne et gardons nos munitions publiques pour les trucs qui sont vraiment des nouvelles.
Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas de discussions ouvertes, comme celle-ci, qui sont de sincères efforts pour élargir les visions philosophiques, stratégiques et tactiques et d’essayer d’être d’accord au moins sur les faits : de là germe (parfois) l’évolution et la progression d’un mouvement. C’est incroyable ce qui peut arriver entre les différentes tendances quand tout à coup ils arrivent au moins à se mettre d’accord sur les faits. C’est le premier pas vers l’unité. D’une certaine manière, c’est ce que nous avons fait malgré ces désaccords. De même si vous pensez que je travaille avec une carte routière périmée, je vous invite à me corriger ou à donner d’autres arguments soit en m’envoyant une réponse à publier ici, soit en utilisant votre récit sur The Narcosphere. Ce n’est pas que je veuille avoir le dernier mot sur ça
Je ne considère pas que ce soit mon boulot d’enseigner aux organisations adhérentes – y compris le EZLN – comment il doit faire son boulot. Nous ne sommes pas une « presse » d’élites qui se tient à l’extérieur ou au dessus de la bataille. Nous sommes une organisation médiatique qui adhère à une cause. Si vous voulez appeler cela « supporteur sans scrupule » c’est votre droit. Mais vous savez que j’exprime fréquemment mes critiques et mes reproches en privé à qui je veux. (S’il en est, le reproche à mon endroit serait que je le fais trop souvent et trop passionnément et que les gens se sentent blessés). Que je ne le fasse pas publiquement quand ça se passe, je pense, que c’est pour beaucoup pour redresser les tords et corriger avec succès les erreurs. Je ne veux pas dire qu’il faut faire les choses de la même manière ni étouffer quoi que ce soit. C’est simplement une affirmation autonome dans un mouvement où d’autres façons de faire coexistent aussi.
En tous cas vous devez savoir qu’il n’y a pas de politique qui vous « bannisse » des conférences de presse. Votre extrapolation qui consiste à transformer un incident en ce que vous nommez une politique actuelle manque de la rigueur journalistique qui caractérise souvent votre travail.
Mais il y a un autre point, je pense, qui explique mieux pourquoi il n’y a pas eu plus de « conférences de presse » pour les « médias alternatifs » et je ne crois pas que ce soit lié avec l’insurmontable problème de qui entre ou n’entre pas. C’est que les « médias alternatifs », en général, ne savent pas encore utiliser la conférence de presse, en d’autres termes, ils sont encore au stade de l’apprentissage en ce qui concerne ce qu’elle peut devenir et va devenir. Cette conférence de presse de Palenque fut convoquée, je crois, en partie pour démontrer la préférence de l’Autre Campagne pour les médias alternatifs. C’est là que Marcos a dit que les médias alternatifs seraient « la colonne vertébrale de la première phase de l’Autre Campagne » et qu’il nous a exhorté à ne pas décevoir la Otra en disparaissant. Cette première et seule conférence de presse eut lieu une semaine après le communiqué du 26 décembre où il engagea à « consolider les différents projets de communication alternative qui existent en bas et à gauche au Mexique ». L’idée c’était que d’une certaine façon tous les projets de médias alternatifs puissent se consolider en quelque chose de plus grand.
Mais la proposition de « consolidation » allait contre la graine de l’esprit d’autonomie et de décentralisation de La Otra. Le fait que ce ne se soit pas produit prouve ma thèse que l’Autre Campagne est réellement une entreprise collective. Une organisation adhérente –le EZLN- proposa (j’insiste proposa, il n’ordonna à personne de faire quelque chose) que les diverses organisations médiatiques se consolident. Mais les diverses organisations médiatiques adhérentes ne montrèrent aucun enthousiasme pour cette proposition et ne firent que continuer à faire à leur façon, nous y compris. En quelques semaines, le EZLN et son porte-parole ajusta sa position, accepta la réalité qu’il fallait compter sur différentes organisations médiatiques, de styles très différents ; alors resplendit la lumière de ces diverses organisations médiatiques qui travaillaient pour couvrir La Otra d’un façon on ne peut plus quotidienne. Elles mirent en liaison certains d’entre nous sur leurs sites web. Elles mentionnèrent dans un récent communiqué certaines organisations de media alternatif. Les organisations médiatiques adhérentes les plus actives semblaient être tout à fait satisfaites de cet arrangement. Il préserve chacune de nos autonomies respectives et notre liberté de faire avancer nos projets exactement comme nous voulons. Il n’y eut pas besoin de réunion, de processus de groupe, ni d’appeler aux votes ou d’arriver à un consensus. Le vote se fit par le travail réalisé par la classe ouvrière à l’intérieur du mouvement : « les acteurs ».
C’est pour mois le seul vrai processus collectif : celui dans lequel ceux qui font vraiment le travail détermine ce qui arrive à la base. Pour paraphraser Zapata : le mouvement appartient à celui et celle qui travaille.
« Les « processus de groupe » et les théories vides sur les « prises de décision collective » ont été rejetés comme des épées non démocratiques de « la haute classe » des mouvements sociaux : ces personnes éduquées et sédentaires –souvent employés- avec des facilités pour voyager, avec du temps et le désir de participer à des réunions au lieu de faire le dur travail où se jouent leurs combats, sur le terrain. C’est le plus grand problème pour les mouvements aux États-unis. La dernière chose que veuille l’Autre Campagne, à mon avis, c’est un processus de « gringotisation » (amerlocalisation) de ses processus de groupe. Au contraire ceux qui croient que la « collectivité » n’existe que dans une salle de réunion ont beaucoup à apprendre de l’Autre Campagne.
Vraiment John : aucun de nous ne sommes des « gens de réunion ». Vous êtes poète. Je suis musicien. Il nous arrive aussi d’être journaliste. Voulez-vous vraiment changer l’Autre Campagne en une série sans fin de réunions et d’assemblées et de processus pour arriver aux « décisions » (cela n’a tendance à arriver que lorsque trop peu de gens restent dans la salle pour les appliquer) ? J’en doute quelque peu. Je suis sûr que vous n’aimeriez pas le résultat.
J’espère que lorsque ces élections seront terminées en haut, dans moins de deux semaines, vous trouviez votre chemin qui vous ramènera à la place que vous jugez pertinente dans l’Autre Campagne, celle qui laisse John être John et que vous la gardiez, que vous la défendiez. Je pense vraiment qu’après le 2 juillet tout sera plus clair alors.
John Ross – Rendre un autre monde possible – chroniques zapatistes 2000-2006 sera publié par Nation Books ce mois d’octobre.
Traduction d’anglais en français : Claudine Madelon
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