The Narco News Bulletin |
August 15, 2018 | Issue #42 |
narconews.com - Reporting on the Drug War and Democracy from Latin America |
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Avec 94,08 pourcent du rapport des bureaux de vote (d'après les résultats préliminaires de l'Institut Electoral de l'Etat de Chiapas), le candidat du Parti de la Révolution Démocratique de centre-gauche (PRD) devance le candidat de la coalition du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) et du Parti d'Action Nationale par seulement 2300 voix (0,2 pourcent de plus d'1,1 million des votes exprimés). Au milieu d'évidences d'achats de votes et de fraude des deux côtés, il semble peu probable que les institutions électorales mexicaines et le système politique soient capables d'établir un résultat crédible, plongeant le pays, en l'espace de sept semaines, dans une deuxième crise post-électorale.
La grande gagnante de ce dimanche a été l'abstention. La majorité des électeurs de Chiapas ont simplement refuser de participer (la participation dimanche était inférieur à 45 pourcent). La majorité des 400 000 indigènes sympathisants de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) ici au Chiapas, état le plus pauvre du Mexique, ont refusé de voter dans un processus considéré de plus en plus comme un simulacre de démocratie.
Les résultats de Chiapas montrent aussi le dérapage des principaux partis politiques du Mexique, éloignés de toute trace de principe ou d'idéologie, purs véhicules des disputes entre factions pour le pouvoir et l'argent qui vient avec la fonction publique. Le candidat « centre-gauche » du PRD, Juan Sabines, était jusqu'à cette année un ancien politicien du PRI. En fait il prétendait être le candidat du PRI jusqu'à ce que le gouverneur de Chiapas Pablo Salazar conclût un marché pour qu'il soit le candidat du PRD. Le candidat du PRI, Jose Antonio Aguilar, affrontant le pouvoir considérable du gouvernement de l'état, devait alors forger une alliance avec le parti du président Vicente Fox le PAN et d'autres petits partis pour être capable de concourir dans la course électorale..
Les élections de Chiapas se sont déroulées sept semaines après les élections présidentielles mexicaines encore irrésolues, au cours desquelles l'Institut Fédéral Electoral (IFE) a essayé de déclarer gagnant le candidat du PAN Felipe Calderon tandis que les partisans du candidat PRD Andres Manuel Lopez Obrador ont occupé le centre de Mexico pour exiger le recomptage complet. Un recomptage partiel par le Tribunal Electoral du Pouvoir Judiciaire Fédéral (connu sous le nom de Trife) a révélé une trame de bourrage d'urnes et de captation des voix qui devrait légalement causer l'annulation des résultats de plus de 7000 bureaux de vote, ordre qui inverserait le résultat officiel et ferait de Lopez Obrador le vainqueur. Cependant la réticence du Trife pour ordonner un recomptage complet en début de mois fut considéré comme le signal qu'il légalisera la fraude électorale nationale et imposera Calderon. La troisième option, c'est que la cour annule les élections, que le congrès choisisse un président intérimaire et que de nouvelles élections aient lieu avant 18 mois. Le tribunal doit se prononcer pour le 6 septembre mais la semaine prochaine pourrait donner lieu à des décisions partielles indiquant la conclusion que le Trife est enclin à donner et qui déclenchera sans doute une vague nationale de désobéissance et de résistance civiles comme en aucun moment historique précédant.
En plus de cette situation déjà explosive, le désastre post-électoral de Chiapas - état occupé déjà par plus de 60 000 troupes de l'armée fédérale qui encerclent les communautés zapatistes dans la jungle et les montagnes - et de la réponse zapatiste sur le point d'être annoncé, l'incertitude que provoque les élections de Chiapas ouvre une blessure particulièrement sensible dans le Zeitgeist national.
Vers 11 heures du matin, lundi, les informations d'une chaîne de télévision annonçait qu'un camp avait gagné les élections de l'état de Chiapas tandis que la radio annonçait que l'autre camp avait gagné. Le comptage officiel préliminaire fait mentir les deux. Il est trop serré pour proclamer qui des deux a gagné. Plus de 240 bureaux de vote présentent des incongruités, d'après l'Institut Electoral de l'Etat, 89 d'entre elles venant de la capitale Tuxtla Gutierrez, le fief électoral du candidat PRD Sabines où le plus grand nombre de bureaux ont raté la restitution des comptages. Les opposants accusent les agents électoraux de retarder les résultats pour les manipuler. Seulement cette fois les accusations de tripatouillage de votes viennent du PRI et du PAN et sont dirigées contre le PRD, tout à l'inverse de ce qui se passe dans l'agitation présidentielle nationale.
Il n'y a pas de héros électoraux ici au Chiapas. Le candidat PRD, Juan Sabines, était, avant qu'il ne change de partis, le maire de la capitale de l'état Tuxtla Gutierrez, fils d'un ancien gouverneur du PRI, neveu du feu « poète de l'état » Jaime Sabines ; en plus de l'appui du gouverneur Salazar (auparavant du PRI, ensuite du PAN et maintenant du PRD), il compte aussi avec la machine politique de l'aile droite du PRI de Roberto Albores Guillen, ancien gouverneur qui est censé être la main droite de Sabines au gouvernement s'il l'obtient. Et le léger avantage de Sabines est terni par la force brutale qu'utilise le gouvernement d'état aujourd'hui au pouvoir pour acheter les voix - avec l'argent des contribuables prélevé sur la souffrance et la pauvreté du peuple - et l'emploi des mêmes tactiques de fraude électorale utilisées par Fox et son parti d'Action National (PAN) dans toute la nation au cours des élections présidentielles du 2 juillet.
Par exemple, dans la région de Pueblo Nuevo Solistahuacan , au nord de Chiapas, le dépouillement dans les premières circonscriptions la nuit dernière proclamait une participation électorale de 96 pourcent (hautement improbable à la lumière des moins de 45 pourcent de participation au niveau de l'état). La région entière proclame une participation de plus de 60 pourcent. Et voilà que le candidat du gouverneur, Sabines, est censé gagner par plus de dix pourcent avec 51,47 pourcent des voix contre 41,70 pourcent pour le candidat PRI-PAN Aguilar. Ce qui a été fait au PRD dans la compétition à la présidence dans plus de 4000 fiefs électoraux du PAN, principalement au nord du Mexique - les urnes remplis de votes supplémentaires en faveur du candidat officiel - paraît vraisemblablement avoir été adopté maintenant par le PRD comme stratégie dans le sud.
Une indication du parfait cynisme du candidat PRD Juan Sabines survint lundi lorsqu'il dit aux journalistes qu'il se dissociait du mouvement de protestation nationale contre la fraude électorale, maintenant qu'il croyait qu'il allait gagner les élections de Chiapas. Mais au-delà du triomphalisme bizarre de la part d'un candidat qui se réjouit du plus petit avantage dans un comptage électoral non encore terminé, les paroles de Sabines trahissent sa peur de ce qui va arriver après : « Chiapas n'est pas pour les manifestations. Chiapas mérite un climat d'unité. Ce serait une absurdité de ma part de demander qu'il n'y ait pas de manifestations contre moi mais moi si de participer à d'autres ». Avec ces mots, il trahit son supporteur le plus populaire : Andres Manuel Lopez Obrador.
La confusion invite à la dyslexie nationale. Le même parti « centre-gauche » qui est victime d'une fraude gargantuesque à niveau national est maintenant accusé d'en être l'auteur dans le Chiapas. La droite politique (PAN) et la droite institutionnelle (PRI) s'opposent à la résistance civile contre la fraude à la course électorale mais maintenant se permettent de se tourner vers de telles tactiques dans le Chiapas : sit-ins, blocages et slogans pour un recomptage « vote par vote, bureau par bureau ». En haut à mexico chaque camp pousse dans une direction. En bas dans le Chiapas les mêmes forces poussent dans des directions contraires. Les eaux de l'opinion publique se meuvent en véritable tourbillon de mécontentement. Chacun des partis majoritaires perd de sa crédibilité dans ce processus. Ceux qui, comme les zapatistes, ont fermement maintenu que le système électoral est illégitime, recevront la crédibilité que ceux d'en haut malmènent. Il n'y a pas un romancier au monde qui pourrait inventer un scénario aussi tumultueux que l'histoire réelle qui se déploie aujourd'hui depuis le Chiapas.
Les décisions du Tribunal Electoral sur la compétition présidentielle sont maintenant sévèrement compliquées par le scénario se déployant dans le Chiapas. En dépit de tant de rhétorique au sujet d'un tribunal qui examine seulement les questions institutionnelles et légales, la réalité politique met la cour dans une situation encore plus difficile : si elle légalise la fraude au niveau national mais annule la fraude dans le Chiapas, elle finit par soutenir le PAN dans les deux cas. Si elle démonte la fraude à niveau national mais la défend dans le Chiapas, elle finit par soutenir le PRD dans les deux cas. Légaliser la fraude dans les deux instances est un chemin risqué. Il n'y a pas de jugement de Salomon disponible si on considère ensemble les deux grands conflits post-électoraux. Dans n'importe quel cas, la décision présidentielle prime et cela déterminera si le Tribunal Electoral a encore de la crédibilité pour arbitrer dans les élections de Chiapas, état où les forces rebelles et les municipalités autonomes sont très bien organisées pour combler le vide du pouvoir d'en haut.
Peut-il arriver quelque chose de pire ? L'échec des politiques électorales dans le capitalisme est maintenant dévoilé, de nouveau à l'intérieur de l'état même d'où la première résistance a émergé, après la guerre froide, contre le capitalisme global...avec la légendaire insurrection armée indigène de 1994.
S'il y a une escalade du conflit post-électoral, cette fois l'état ne se soulèvera pas seul : les états voisins largement indigènes de Oaxaca et Guerrero sont devant le même précipice mais aussi à l'évidence Mexico et également l'état de Mexico qui l'entoure, foyer d'un village du nom d' Atenco (ensemble ils regroupent un mexicain sur quatre). Et après il y a les « états dormant ». Appauvris et réprimés, les états de Veracruz, Puebla et Morelos sont pareillement au seuil de la révolte. Et qu'en est-il de cette péninsule qui déborde dans les caraïbes ? Campeche, Quintana Roo et (croyez-le ou pas) Yucatan sont actuellement plus brûlants qu'un chile habanero. Et la frontière ? Qu'en est-il des 35 millions de mexicains et chicanos de l'Autre côté ? Et des êtres humains partout qui peuvent voir ce qui se passe ici ? La fraude électorale plonge le système politique mexicain chaque jour dans une crise de plus en plus grave.
Cependant il serait impossible d'attribuer la faute des élections frauduleuses de Chiapas à un seul côté de la dispute. Répétant l'effet de tourbillon, alors que le gouvernement de l'état de Salazar manipule les résultats au nom d'un des côtés, le parti politique national de Vincente Fox, le PAN, au travers de son chef Manuel Espino, a été pris les mains dans le sac cette semaine, sur une bande sonore, en violation de loi électorale. Un enregistrement de la conversation téléphonique avec le chef du PRI de Chiapas, Victor Hugo Islas - une bande que Lopez Obrador a passé samedi sur le Zocalo de Mexico et diffusé dans la presse - révèle que le PAN à niveau national et les chefs à niveau état du PRI ont conspiré pour envoyer de l'argent à la campagne PRI-PAN de Chiapas après la date butoir, la semaine dernière, alors que toute la campagne politique, selon la loi, devait déjà avoir cessée.
Et, comme tout citoyen mexicain sait, cet argent servait pour une seule chose : acheter des votes et des cartes électorales.
La bande sonore peut s'écouter en ligne sur le site Internet de La Jornada. La transcription en espagnol aussi. Voici un extrait, traduit, de la conversation :
Secrétariat : Avocat Manuel Espino (au téléphone)Le leader du PRI de Chiapas Victor Islas (VI) : Chef ?
Le leader national du PAN Manuel Espino (ME) : qu'est-ce qui t'arrive Victor ?
VI : Excuse le dérangement. C'est juste pour m'assurer que nous sommes sur la même longueur d'onde. Vous lui avez bien envoyé un et demi ?
ME : J'ai envoyé un, demain j'enverrai quelqu'un avec l'autre moité.
VI : avec la moitié de l'autre ?
ME : Oui, je suis en train...
VI : Oui, je sais, je sais. C'est tout ce que vous allez envoyer ?
ME : Je crois que oui ; j'ai demandé a certains de tes amis et des miens, au gouverneur de Durango (Ismael Alfredo Hernandez Deras) et il m'a dit qu'il était dessus ; j'ai aussi demandé à Puebla ( Ismal Marin Torres), j'ai aussi demandé à Enrique (Pen Nieto ?le gouverneur PRI de l'état de Mexico) et il m'a dit que c'était confirmé. Je ne sais à qui ils l'envoient.
VI : Oui, moi j'ai reçu quelque chose. Je vais essayer de faire un effort pour en donner un peu plus ; je leur en ai donné un. Je te l'ai dit, non ?
ME : oui
VI : Bon, je vais essayer de faire encore un effort pour leur donner une autre aide. Alors je leur dis que tu vas les envoyer demain ?
ME : oui
VI : Merci
La majorité des observateurs croient que le mot « un » dans cette conversation signifie « un million de pesos » (plus de 100 milles dollars) et la « moitié » représente un autre demi million de pesos que le PRI a sollicité du PAN (qui en retour en sollicita des trois gouverneurs PRI dans d'autres états). Le tarif, dimanche, pour acheter un vote ou une carte dans l'état pauvre de Chiapas était de 100 pesos : Cette somme d'argent achèterait donc 15 000 votes. Et dans la conversation enregistrée, le leader du PRI (qui appelle le leader du PAN « Jefe » ou chef) dit qu'il avait mis un montant équivalent. Ensemble ces fonds illégaux de caisse noire achèteraient 30 000 votes dans une élection si serrée que le comptage officiel place à moins de 3000 votes la différence entre les deux candidats.
Le retour du tourbillon : à mesure que le gouvernement de Chiapas utilisait l'argent des contribuables pour acheter des votes pour un côté, le parti du gouvernement faisait la même chose de l'autre côté à niveau national.
Dimanche, des opérateurs des deux camps ont été surpris la main dans le sac. Douze membres de la campagne politique ont été arrêtés tandis qu'ils cherchaient à offrir de l'argent pour des votes ou pour des membres de la campagne électorale :
Les deux camps en firent autant. Comment un tribunal électoral peut-il résoudre un gâchis pareil ?
Mais à quelque chose malheur est bon : il y a une lueur d'espoir qui perce le nuage noir qui surplombe un autre jour d'élections au Mexique en 2006. C'est qu'avec tout cet argent tournoyant afin d'être offert en échange de voix dans le Chiapas, plus de la moitié de la population de l'état, bien que souffrant d'extrême pauvreté, n'a pas pris l'argent facile. Cela indique que leur abstention aux élections n'était pas une question d'apathie (une personne apathique ou désintéressée profiterait de l'occasion pour se faire de 100 pesos à la va-vite). Non, cela signifie que la majorité des abstentions, loin d'indiquer un manque de conscience et de principes, constitue au contraire un rejet généralisé pour la participation à un jeu réglé d'avance.
En somme, cela indique qu'en trente années de rébellion indigène dans le Chiapas, les institutions -spécialement électorales - ont perdu toute crédibilité et autorité. Le gouvernement, en convertissant les élections en une cynique simulation de fausse démocratie, a perdu le contrôle. Gardez cela à l'esprit, chers lecteurs, dans les jours à venir, quand le Trife devra décider du résultat des élections présidentielles du 2 juillet. Ils peuvent ne pas l'entendre d'en haut, mais Chiapas gronde de nouveau de son silence...un silence qui, si le passé est prologue, sera rempli quand il parlera à travers la voix du porte parole rebelle de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale et son « Autre Campagne », la seule force politique nationale qui n'a pas perdu son poids moral en ne participant pas au sport sanguinaire de la politique mexicaine : la Fraude Electorale. Restez à l'écoute.
Publié le 21 août en anglaisTraduit le 24 août en français : Claude Madelon