The Narco News Bulletin

August 15, 2018 | Issue #43  
 narconews.com - Reporting on the Drug War and Democracy from Latin America
  

Brad Will, documentariste new-yorkais et reporter pour Indymedia, a été assassiné par des balles pro-gouvernementales à Oaxaca alors qu'il informait

Le photographe Oswaldo Ramirez du quotidien Milenio a été blessé par les tireurs d'Ulises Ruiz Ortiz à Santa Lucia del Camino

Par Al Giordano

l'Autre Journalisme avec l'Autre Campagne à Chihuahua

27 octobre 2006
This report appears on the internet at http://www.narconews.com/Issue43/article2223.html

Brad Will, 36 ans, cinéaste documentariste et reporter pour Indymedia à New York, en Bolivie et au Brésil, est mort aujourd'hui d'une balle dans la poitrine alors que des assaillants pro-gouvernementaux ont ouvert le feu sur une barricade dans le quartier de Santa Lucia del Camino à la périphérie de Oaxaca, au Mexique. Il est mort sa caméra à la main.


Brad Will à Chetumal, Quintana Roo.
Photo: D.R. 2006 Narco News
Brad était arrivé à Oaxaca début octobre pour couvrir les événements que les imposteurs des médias commerciaux comme Rebecca Romero de l'Associated Press déforment au lieu de les rapporter: le récit d'un peuple fatigué de la répression et de l'injustice, qui a repris les rênes du gouvernement qui leur appartient de droit. Dans ce contexte, son assassinat est aussi une conséquence de ce qui passe quand les médias indépendants doivent faire le travail que ne font pas les grands médias : dire la vérité. Il était mon ami et collègue depuis 1996 lorsque nous travaillions ensemble à Steal This Radio à New York, je suis encore tombé sur lui en Bolivie en 2004 lors d'une réception publique que tenait l'Ecole de Journalisme Authentique de Narco News et récemment dans la péninsule du Yucatan en janvier dernier alors qu'il était là pour couvrir les débuts de l'Autre Campagne zapatiste. Brad est mort pour apporter la vérité au monde.

Brad est venu à Oaxaca début octobre en toute connaissance de cause, assumant et partageant les risques qu'implique la couverture des événements. Son dernier article publié le 17 octobre, intitulé « La mort à Oaxaca » rapportait l'assassinat d'Alejandro Garcia Hernandez sur les barricades montées par l'Assemblée Populaires des Peuples de Oaxaca (APPO). Brad écrivait :

« ... je reviens juste de la barricade d'Alejandro avec un groupe de sympathisants venant d'un quartier extérieur il y a une demi-heure - j'ai marché avec des gens en colère sur le chemin de la morgue - je suis entré et je l'ai vu - je n'avais pas vu beaucoup de cadavres dans ma vie - c'est accablant - un tas de corps sans nom dans un coin - à peu près le nombre qui était mort - pas de réfrigérateurs - l'odeur - on a dû ouvrir son crâne pour retirer la balle - je suis rentré avec lui et les siens

« et maintenant Alejandro attend sur le zocalo - comme les autres à leur sit-in - il attend une impasse, un changement, une issue, une voie pour avancer, une sortie, une solution - il attend que la terre bouge et s'ouvre - il attend novembre quand il pourra s'asseoir avec les siens pendant le jour des morts et partager à manger et à boire et une chanson - il attend que la place se retourne vers lui et éclate - il attendra seulement jusqu'au matin mais ce soir il attend que le gouverneur et son équipe partent pour ne plus revenir - encore une mort - encore un martyr de la guerre sale - encore une fois pleurer et souffrir - encore une fois reconnaître le pouvoir et son affreux visage - encore une balle qui déchire la nuit - encore une nuit sur les barricades - certains entretiennent le feu - d'autres s'enroulent et s'endorment - mais tous sont avec lui, le veillant tandis qu'il se repose une dernière nuit...


Les assassins de Brad Will, identifiés par El Universal : Juan Carlos Soriano Velasco (en tee-shirt rouge), agent de police connu sous le nom « la Sauterelle » ; Manuel Aguilar (veste sombre), chef du personnel municipal ; et Avel Santiago Zarate (chemise rouge), chef de la sûreté générale.
Photo: D.R. 2006 El Universal
« Salut Al
C'est Brad de New-York - ça serait super d'avoir tes contacts Narco News à Oaxaca - j'y vais et j'aimerais contacter le plus de gens possible - es-tu à Mexico ?- je vais y passer et ce serait super de boire un verre.
Brad
»

Connaissant la malchance de Brad en couvrant d'autres événements (il avait été frappé par la police à New York et au Brésil en faisant ce dangereux mais important travail), ses difficultés avec l'espagnol, et le risque encore plus grand pour les reporters qui ne se sont pas implantés avec le temps (et donc connus par les gens) à Oaxaca, je lui ai demandé de ne pas y aller, d'aller plutôt à Atenco et de couvrir l'arrivée des commandants zapatistes là-bas :

« Notre équipe à Oaxaca est bien implantée. Il y a un paquet d'autres internationaux qui sillonnent la ville pour faire un article mais la situation est délicate, l'APPO ne donne sa confiance qu'à ceux qu'elle connaît depuis des années et ne cesse de me demander de ne plus envoyer de nouveaux car la situation est vachement tendue... Si tu vas au Mexique, je te recommande plutôt de traîner du côté de Mexico-Atenco et de rapporter les événements qui sont sur le point d'y commencer. L'APPO (et c'est compréhensible) est très méfiante envers les gens qu'elle ne connaît pas déjà. Et nous avons suffisamment de personnes sur le coup là-bas pour continuer à informer. Mais ce qui est sur le point de se passer à Atenco-Mexico nécessite plus de monde.»

Brad, résolu, répondait la même nuit :

« Salut,
merci pour ta réponse rapide - j'ai une caméra professionnelle - on m'a rapporté le niveau de méfiance à Oaxaca, c'est déconcertant - je pense que je vais quand même y aller - je ne leur dirai pas que tu m'envoies et je reste ouvert à d'autres suggestions sur l'utilisation de mon temps - je ne sais pas ce qui va se passer à Atenco dans les prochains jours - je vais peut-être contacter l'Autre Campagne épisode 2 quelque part sur la route - c'est super d'avoir de tes nouvelles - as-tu un numéro de téléphone ?
solidaridad
Brad
»

Ça ne m'a pas surpris qu'il aille à Oaxaca finalement. Brad a toujours pris des risques : que ce soit en voyageant dans des wagons de fret à travers la plaine nord américaine ou en s'enfermant dans le squat de la cinquième rue en 1996 alors que la police et les machines de démolitions l'envahissaient déjà, sa vie aura été courageuse. Je lui avais donné mon numéro de portable en cas d'urgence. Il m'a répondu le 7 octobre, il y a trois semaines :

« Salut Al,
c'est Brad - merci pour les contacts et les infos - j'ai atterri à Mexico assez malade et je suis allé directement à Oaxaca et je me suis branché - si tu veux partager tes contacts ici, ça me serait très utile - je crois que je vais rester un mois - Nancy m'a dit que tu était en contact avec un avocat des droits humains qui pouvait aider les journalistes à ne pas se faire expulser - s'il te plait aide-moi avec cette info aussi - je sais que tu es occupé et j'ai hâte de voir plus de ton travail
paix
Brad
»

Ce sont les mots d'un companero courageux dans ces emails qui, sachant fort bien que ce reportage pouvait être le dernier, a décidé de partager les risques avec les gens dont il relayait la cause.

Partageant également les risques aujourd'hui à Santa Lucia del Camino, Oaxaca, le photographe Oswaldo Ramirez du quotidien Milenio, a été blessé par un coup de feu. C'est le reporter de Milenio, Diego Enrique Osorno qui a confirmé la mort de Brad à 16h30. Il a aussi précisé qu'à l'autre bout de la ville, à l'extérieur du bureau du procureur fédéral, des tireurs ont visé d'autres membres de l'APPO, que trois ont été blessés et qu'un instituteur était porté mort, mais il n'a pas pu le confirmer.

Photo: D.R. 2006 El Universal
Brad Will était connu et aimé à travers tout l'hémisphère et ses centres de médias de New York à Sao Paulo en passant par Mexico. Ce soir, son corps repose à la morgue de Oaxaca, la même qu'il avait visitée et sur laquelle il avait écrit la semaine dernière. Il ne partira pas dans la longue nuit de la répression que le gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, le président Vicente Fox et son successeur illégitime Felipe Calderon ont créée à Oaxaca, et, de fait, dans tout le Mexique. Il était inévitable que tôt ou tard, un reporter international rejoigne la liste grandissante des personnes assassinées par les régimes répressifs du Mexique (d'autres avaient déjà été violés et frappés à Atenco pour n'être expulsés qu'en mai dernier). Ce soir, c'était Brad qui faisait ce travail responsable et urgent, la caméra à la main, de briser le blocus des médias commerciaux.

Lors d'une réunion publique de l'Autre Campagne à Buaiscobe, Sonora, en recevant la nouvelle de la mort de Brad et le résumé des événements de la journée à Oaxaca, le sous-commandant insurgé zapatiste Marcos a déclaré au public et à la presse :

« Nous apprenons qu'il y a quelques minutes, les paramilitaires du gouvernement ont attaqué une barricade où des gens étaient concentrés et qu'ils ont tué au moins une personne. Cette personne tuée travaillait pour les médias alternatifs. Ce n'était pas quelqu'un qui travaillait pour les télévisions ou pour les grands quotidiens, mais quelqu'un comme ceux qui viennent ici avec nous dans le bus, qui regardait les gens d'en bas et relayait leur voix pour qu'elle soit écoutée. Car nous savons bien que la télévision ne parle que des affaires du gouvernement, et les grands quotidiens aussi. Et cette personne, un companero de l'Autre Campagne, qui avait voyagé avec nous dans plusieurs régions quand nous visitions le Yucatan, prenant des photos et des films de ce qui se passait, ils lui ont tiré dessus et il est mort. Il semble qu'il y ait une autre personne morte. Et le gouvernement ne veut pas endosser la responsabilité de ce qu'il a fait. On nous dit maintenant que tout le peuple de Oaxaca se mobilise, sans peur, pour occuper les rues et protester contre cette nouvelle injustice. Nous allons lancer un appel à toute l'Autre Campagne au niveau national et aux companeros et companeras d'autres pays afin de nous unir pour exiger justice pour la mort de notre companero, en particulier aux médias libres et alternatifs du Mexique et du monde entier. »

Ce soir, depuis la morgue municipale de Oaxaca, Brad Will crie « Ya Basta ! » (ça suffit !) aux morts et aux souffrances imposées (comme Brad, un anarchiste sérieux et conscient, le comprenait) par le système économique, le système capitaliste. Sa mort sera vengée quand ce système sera détruit. Et ce dernier sacrifice de Brad expose la brutalité et la violence autoritaire du régime mexicain cachées aux yeux du monde par les médias commerciaux, et ainsi, accélère la venue du jour où la justice viendra du bas et balaiera les régimes de douleur et de répression requis par le système. Brad a donné sa vie ce soir pour que vous et moi puissions connaître la vérité. Nous lui devons de continuer dans ce sens et de prendre les risques qu'il a pris. Salut, vieux frère. Ton sacrifice ne sera pas vain.

Mise à jour, 22h30, Oaxaca : L'Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca (APPO) a confirmé la mort de l'instituteur Emilio Alfonso Fabian . Celui-ci a reçu trois balles lors d'une attaque des tireurs d'Ulises Ruiz Ortiz près du palais du gouvernement fédéral.

Information rapportée par Kristin Bricker depuis Sonora.



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