The Narco News Bulletin |
August 15, 2018 | Issue #43 |
narconews.com - Reporting on the Drug War and Democracy from Latin America |
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Sur les 159 citoyens mexicains arrêtés le week end dernier dans l'état de Oaxaca sur différents chefs d'accusation en relation avec les protestations anti-gouvernementales, 141 ont été transférés en hélicoptère à vingt-quatre heures de route de chez eux et de leurs familles au pénitencier de San José del Rincon, Nayarit. Bien que cette première vague d'arrestations se soit faite au hasard - quiconque a eu la malchance d'être dans les rues où la police anti-émeute a déferlé - le gouvernement a classé ces prisonniers « dangereux » justifiant leur transfert dans une prison éloignée. Aucune des personnes arrêtées le week end dernier n'a vu ou parlé avec un avocat, un défenseur des droits humains, un membre de sa famille ou un médecin indépendant. Lundi, lorsque des journalistes et des députés de l'état de Nayarit sont allés à la prison pour enquêter, des agents de la Police Fédérale Préventive (PFP) les ont interceptés, les menaçant d'arrestation et ont volé la pellicule de l'appareil d'un photojournaliste qui informait sur cette présence.
A Oaxaca, la police fédérale, coordonnant ses opérations avec les brigades paramilitaires et la station de radio pirate du gouverneur Ulises Ruiz, continue à perquisitionner maison par maison à la recherche des présumés « leaders » de l'Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca (APPO). Avocats, médecins, prêtres, journalistes, familles et représentants officiels des droits humains ont tous été empêchés de parler avec les prisonniers ou d'observer leur condition suite aux violences policières infligées à plusieurs d'entre eux lors de leurs arrestations, d'après ce que des témoins ont affirmé à Narco News.
Les arrestations massives lors des évènements des derniers jours à Oaxaca sont les plus importantes au Mexique depuis les 3 et 4 mai dernier quand 217 citoyens ont été détenus à Atenco et près de Texcoco, dans la banlieue de Mexico. Dès les premiers jours des raids de la police d'Atenco, les premiers témoins de bastonnade, de viols et de torture des détenus sont apparus : cinq étrangers - journalistes et observateurs des droits humains - qui ont été écartés par la police alors qu'ils couvraient les évènements d'Atenco et qui ont été coupés de toute communication pendant plusieurs jours avant d'être expulsés à Barcelone, Berlin et Santiago du Chili. C'est par eux que le monde a appris les viols en réunion et les autres sauvageries infligées à des femmes et à des hommes entravés, un bandeau sur les yeux, alors qu'ils étaient conduits en prison. Les chefs de la police fédérale se sont ouvertement moqués des fermes recommandations de la Commission des Droits Humains, une agence gouvernementale, demandant à que l'on enquête et que l'on punisse la brutalité policière. Dans ce contexte, l'attitude réservée de l'Etat par rapport aux prisonniers de Oaxaca est inquiétante.
Des atrocités d'Atenco, le gouvernement du président boiteux Vicente Fox n'a pas appris à corriger ses propres abus autoritaires et illégaux. Il est évident que ce qu'il considère comme sa seule faute en mai dernier, c'est son incapacité à cacher ses propres crimes à la vue du public. Donc, samedi dernier, lors de l'attaque menée dans le centre-ville de Oaxaca, ce gouvernement a fait attention à ne pas écarter les journalistes étrangers ou les observateurs des droits humains qui auraient pu dénoncer leurs déportations ultérieures en tant que témoins de ce qui était arrivé aux Mexicains arrêtés. (Cependant, les observateurs internationaux auraient tort de présumer que la milice ne va pas venir pour eux aussi ; on rapporte déjà dans les médias nationaux qu'une opération séparée est planifiée pour débarrasser la scène de crime des yeux et des oreilles « globales ».) En déplaçant de suite la majeure partie des détenus loin de Oaxaca et des centres médiatiques, le gouvernement de Fox dévoile son intention de cacher aux yeux du public ce qu'il fait des personnes arrêtées. Le dernier legs de Vicente Fox, un homme qui a souvent prétendu qu'il avait « démocratisé » le Mexique, se révèle être un Guantanamo-sur-Pacifique où personne ne pourra entendre les cris des torturés.
C'est dans ce contexte qu'un coup d'état sera mené vendredi en installant le successeur de Fox, Felipe Calderon, sur le trône de la démocratie mexicaine qui n'a jamais existé.
Alors que le traitement des prisonniers restait caché, hier, les caméras pouvaient couvrir la scène illustrée par cette photo.
Photo: DR 2006, La Jornada |
Tous les membres de cet estimé corps législateur ne sont pas d'accord sur le fait que Calderon a été élu à la présidence le 2 juillet dernier. Les faits suggèrent le contraire. (Voir « Mexico's Presidential Swindle » (L'escroquerie présidentielle mexicaine), New Left Review, Septembre-Octobre 2006.) A peu près 150 députés proches du Parti de la Révolution Démocratique (PRD) répètent que le candidat du PRD Andres Manuel Lopez Obrador est celui qui a reçu le plus de voies et il a juré de ne pas laisser Calderon, du parti de Fox, le Parti d'Action National (PAN), être intronisé président. Le 1er septembre dernier, en direct à la télévision nationale, les députés PRD (qui forment près d'un tiers du Congrès) ont pris la tribune et empêché Fox de faire son discours sur l'Etat de l'Union pour protester contre la fraude électorale dont a bénéficié Calderon. Ainsi leur promesse de recommencer vendredi n'est pas vaine et les défendeurs de la fraude électorale sont sur les dents.
Le gouvernement PAN a ainsi appliqué à Mexico la même « solution » qu'à Oaxaca : le 20 novembre, il a envoyé la police fédérale encercler le bâtiment du Congrès et a décrété une espèce de loi martiale dans les quartiers alentours et ce, le jour où les partisans de Lopez Obrador convergeaient vers la place centrale de Mexico, le zocalo, et lui présentaient les attributs présidentiels tricolores. Craignant que la masse de gens présents prenne le bâtiment du Congrès situé à plusieurs kilomètres (une peur qui ne s'est pas matérialisée), Fox a envoyé la police anti-émeute pour protéger le bâtiment. Mais, comme le révèle la photo, la solution n'a pas eu d'effet. Le Congrès lui-même est en pleine guerre civile.
Photo: DR 2006, La Jornada: L'honorable Violeta Lagunes de la Chambre des députés du Mexique en plein travail. |
L'équipe de transition Fox-Calderon a travaillé dur à recruter des chefs d'état pour assister à l'ascension de vendredi et donner un vernis de légitimité au changement de régime. Parmi ceux qui sont attendus, George Herbert Walker Bush, ancien président des Etats-Unis et père de l'actuel occupant de la Maison Blanche, pour représenter le voisin du Nord. L'histoire se répète : c'était Bush Senior qui, en tant que Vice Président des Etats-Unis en 1988, avait officiellement félicité Carlos Salinas de Gortari en tant que nouveau président du Mexique après ce qui est désormais reconnu par les historiens sérieux comme une monumentale fraude électorale.
Mais aujourd'hui le Secrétaire d'Etat mexicain, Luis Ernesto Derbez, s'est inquiété publiquement que la bagarre en cours pour le contrôle de la tribune du Congrès pourrait en effrayer certains. « Ça va être vraiment honteux et discréditant pour notre pays, a-t-il dit, si nous avons des chefs d'états de la qualité de l'ancien président George Bush père, en train d'observer à la tribune un spectacle digne d'un pays de deuxième classe. »
Pendant que les députés en costumes-cravates continuent à se battre à la tribune, Calderon jure qu'il ira, contre vents et marées, au Congrès chercher son trophée - six ans aux commandes du Mexique - vendredi. Pendant ce temps, son rival Lopez Obrador a appelé ses partisans au Zocalo à 7h vendredi matin et Fox en est encore réduit à son rôle de « président police-secours » en appelant la police. Ce que planifient - s'ils planifient quelque chose - Lopez Obrador et ses alliés n'est pas clair. Depuis l'élection frauduleuse de juillet, il a fait de grands discours mais il a reculé quand il s'est agit d'envoyer ses troupes à la confrontation, même lorsqu'il pouvait compter sur des millions, indignés et de son côté. Soit il va surprendre vendredi, soit le 1er décembre pourrait marquer l'effondrement de la stratégie de la voie électorale pour un changement au Mexique.
Aujourd'hui marque la dernière étape du marathon de onze mois qu'a été la tournée d'écoute de l'Autre Campagne zapatiste à travers le Mexique. Le sous-commandant insurgé Marcos qui a visité chaque recoin du pays depuis le 1er janvier, prenant note des témoignages des « gens simples et humbles qui luttent », fera un dernier arrêt dans la région rurale huastèque dans l'état de San Luis Potosi avant de rentrer au Chiapas informer les commandants indigènes de ses conclusions. Décembre sera consacré à des réunions entre les adhérents de l'Autre Campagne afin de déterminer les prochaines étapes de ce qui est dorénavant un effort véritablement national de faire chuter non seulement un gouvernement illégitime mais aussi le « système capitaliste » qu'il sert. A la fin de l'année, le 30 décembre, les zapatistes recevront des délégués du monde entier pour une rencontre internationale dans la municipalité autonome d'Oventic, Chiapas.
DR 2006, Narco News |
Une grande part du travail de ce journal international durant l'année qui vient de s'écouler a été de couvrir ces histoires, de les traduire dans d'autres langues, de briser le blocus de l'information. La logique de l'Autre Campagne veut que si tant de gens voient leurs droits de base niés, souffrent seuls des coups d'un régime dictatorial, chacun oublié dans son coin, alors est venu le temps pour l'aide mutuelle de manière à ce que, si les bonnes gens sont battues, emprisonnées et assassinées, cela fait encore plus sens de se confronter au régime ensemble.
Ainsi par exemple, quand il a été su lundi qu'à Oaxaca, 141 personnes avaient été déplacées clandestinement dans une prison isolée du Nayarit, les adhérents de l'Autre Campagne à Oaxaca, avec parmi eux des membres de l'Autre Journalisme, connaissaient désormais par leur prénom leurs homologues au Nayarit et dans les villes voisines de Guadalajara et Jalisco. Entre compañeros, des appels téléphoniques, des textos et des emails ont eu lieu. Et les adhérents de cette région ont commencé à organiser le soutien et à faire du bruit afin que ces 141 prisonniers ne disparaissent pas dans le Guantanamo de Fox, oubliés et invisibles. Cela signifie aussi que les efforts qu'ils entreprennent seront rapportés à Oaxaca, à la nation et au monde dans toutes ses langues. En somme, bien qu'aucun des 141 de Oaxaca au Nayarit n'ait été entendus, ils parlent déjà et défient le gouvernement et le black-out des médias sur leur existence et la répression dont ils sont les victimes. Conséquence de l'Autre Campagne zapatiste, la distance entre Oaxaca et une prison au Nayarit s'est rétrécie plus que n'auraient pu le croire Fox, Calderon ou les capos de leur appareil de sécurité.
Ceci, en bas, n'est pas le pays de deuxième classe où des clowns en costumes se tapent dessus dans l'enceinte du Congrès ou encore celui où les autorités électorales président à la falsification des résultats. C'est le pays de première classe du Mexique digne que le vice-roi sortant Fox et le nouveau vice-roi Calderon tentent d'étouffer à Oaxaca et ailleurs : une nation de gens qui travaillent dur, qui élèvent leurs familles et supportent les matraques de police, les gaz lacrymogènes, les balles, la prison, la torture et la mort chaque fois qu'ils expriment leur désir d'une vie meilleure.
Calderon a envoyé un message très clair en termes de violence d'état et de répression que le Mexique n'avait probablement pas encore connu, pas même durant la guerre sale des années 60 et 70 comparé à ce qui est à venir, quand il a nommé cette semaine le gouverneur du Jalisco, Francisco Ramirez Acuña, au puissant poste de Ministre de l'Intérieur pour diriger le gouvernement. Ramirez Acuña est largement perçu comme un autoritaire intransigeant qui emprisonne les dissidents pour le fun - il l'a fait de nombreuses fois dans le Jalisco. C'est une certaine philosophie de l'art de gouverner quand un gouverneur a la réputation de fournir aux narco-trafiquants et à d'autres criminels violents un refuge dans son état : créer du divertissement en traquant les manifestants tout en pavoisant avec des slogans sur comment « la loi va être respectée ».
Ramirez Acuña a déclaré aux journalistes que la question de Oaxaca serait en première place sur son agenda quand il prendra les commandes du gouvernement fédéral. Une autre question qui reste ouverte est celle des changements de politique qui attendent les communautés autonomes zapatistes au Chiapas et la loi d'amnistie pour les leaders de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) que Fox a plus ou moins respectée durant les six années de son mandat. La disgrâce dans laquelle est tombé Fox durant sa dernière année de présidence, qui inclue les violentes actions policières à Atenco et à Oaxaca, sans se limiter à cela, signifie qu'un homme qui a commencé son mandat en pardonnant les prisonniers politiques indigènes s'en va en en ayant emprisonné un nombre bien plus élevé - des centaines de Mexicains dissidents dont un nombre disproportionné d'indigènes - le plus souvent sur des accusations forgées de toutes pièces comme punition pour avoir exercé leur liberté de parole. Il est tout à fait possible que, en ce qui concerne Oaxaca, il ait déjà cédé le contrôle de la police fédérale et des techniques de répression à Calderon et à Ramirez Acuña.
Que ce soit par commission ou par omission, Vicente Fox Quesada, qui voulait tant qu'on se souvienne de lui comme l'homme d'état qui avait mis fin à 70 ans de dictature du parti unique, part en laissant seulement le souvenir d'un répresseur empoté et d'un pillard de plus au bas d'une longue liste. D'un autre côté, Calderon et son équipe ne commencent pas avec les mêmes illusions transcendantales. Ils sont les fiers architectes et héritiers du coup d'état du vingt et unième siècle et le jour de paye, c'est vendredi.
D'abord, ils vont promouvoir la peur et la terreur, ils vont tenter de faire taire la clameur et la protestation venant d'en bas. Cela n'aura pas l'effet escompté. Le niveau d'indignation et de désir d'en finir avec la longue suite des régimes répressifs, comme en a été témoin la caravane 2006 de l'Autre Campagne dans chaque état et région, n'a été qu'enflammé par les évènements en cours à Oaxaca et ailleurs. C'est aussi un secret de polichinelle que l'élection de 2006 a été volée. Même ceux qui affirment qu'elle a été juste n'y croient pas vraiment. Il y a certainement suffisamment de prisons et de cimetières au Mexique à remplir avec des milliers de personnes en plus pour le crime de parler et de s'organiser pour une vie meilleure. Et il y a des policiers et des soldats en abondance, et encore des paramilitaires, pour faire le sale travail. Mais il n'y en a toujours pas assez pour retenir la masse critique des millions qui ne reconnaissent pas leur légitimité. L'histoire marche dans la direction d'une confrontation entre ceux qui imposent d'en haut et ceux d'en bas qui, reconnaissant maintenant que quiconque comme eux est dans la même situation horrible, ont construit une « autre » organisation basée sur la communication horizontale et d'aide mutuelle.
Le nouveau régime va être intronisé, semble-t-il, avec des matraques et des coups de feu. Nous n'allons pas tous y survivre. Mais le jour se rapproche où des millions vont se soulever, tous en même temps, et vont vaincre les puissants qui ont créé deux opposants pour chaque personne qu'ils ont mise en prison et trois pour chaque qu'ils ont tuée. Et depuis ce petit recoin, celui d'un observateur avec un ordinateur portable, quoi qu'il arrive, ça aura été le plus grand des privilèges d'avoir écouté, appris, couvert et informé toutes ces années depuis le pays de première classe qu'est le Mexique d'en bas. Il a montré à chacun de nous, dans chaque coin de la planète, une nouvelle façon de lutter. Vous ne la lirez pas dans les médias commerciaux et, certainement, dans l'avenir, ils réussiront à colporter le mythe que tout espoir est perdu, mais la conclusion suivante sera évidente pour quiconque a vraiment écouté le bruit venant du bas : le coup d'état est là mais il ne va durer.
Traduction Caro