The Narco News Bulletin |
August 15, 2018 | Issue #44 |
narconews.com - Reporting on the Drug War and Democracy from Latin America |
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Forêt Lacandone, Chiapas, 2 février. L'Autre Campagne n'a pas seulement parcouru le pays et traversé les frontières. Mais également les communautés de la Forêt Lacandone, où elles se partagent le territoire, des indigènes qui n'avaient jamais été zapatistes, ou qui avaient cessé de l'être avec l'arrivée de la contre-insurrection et les douleurs de 13 années de guerre de basse intensité, la proposition d'une organisation politique nationale d'un « type nouveau », contenue dans la Sixième déclaration de la Forêt Lacandone (Sexta) a rencontré une réponse comme peut-être aucune autre initiative de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) depuis plus d'une décennie.
Sebastian Jiménez Clara, du village Salvador Allende, dans la région dénommée Candelaria de Monte Azules, parle pour la première fois face à un média du processus de cooptation auquel les organisations indigènes ont fait face suite au soulèvement armé, de la division des villages qui ont accepté les projets gouvernementaux, de la « colère » de se sentir trahis, de sa relation avec l'EZLN et de la récente et croissante incorporation de centaines de familles de la Lacandone à la Otra.
« Je n'ai jamais été zapatiste. Nous ne sommes pas entrés à l'EZLN parce que nous ne la comprenions pas bien et nous avions peur de partir en guerre. C'était comme du tapage pour nous. Outre cela, nous appartenions à une autre organisation politique, l'ARIC-I (Association Rurale d'Intérêt Collectif Indépendante), » dit-il.
Il y eut un temps, dit-il, « où nous avons essayé de nous orienter vers les zapatistes mais nous ne nous sommes pas réunis. Nous nous sommes rendu compte que depuis le début, le gouvernement cooptait beaucoup de gens afin de diviser les communautés. Comme les gens étaient très motivés grâce au soulèvement, le gouvernement parlait avec ceux qui n'étaient pas zapatistes pour que nous ne passions pas de leur côté et, en même temps, parlait avec ceux qui étaient zapatistes pour les faire sortir de l'organisation. » Pourtant, « nous avons toujours partagé des choses avec eux et quelquefois nous sommes parvenus à des accords. Maintenant, il y en a qui disent que puisque nous entrons dans la Otra, nous devenons zapatistes, mais non ».
La région Candelaria naît en 1994, autrefois, elle s'appelait Amador. Un groupe est parti avec le gouvernement et s'est retiré de l'endroit, les autres ont établi un consensus. « L'ARIC-I est politique, et plus fondamentalement, lutte pour la terre depuis qu'elle a défendu la brèche lacandone. En 1975, on a organisé massivement la défense et la résistance et la Quiptik, fondement de l'ARIC, est née. Avec la déclaration de guerre des zapatistes, nous nous sommes sentis soutenus. Le gouvernement a fait une pression énorme sur nous pour nous expulser et nous nous sommes coordonnés avec l'EZLN pour nous défendre. »
Selon Sebastian : « Pour chacun, il y a eu un avant et un après la guerre. » Avec le soulèvement « et l'alarme nationale, le gouvernement a changé, pas pour satisfaire les réclamations mais pour coopter les dirigeants. Ils attrapaient les familles les unes après les autres et offraient de l'argent et des projets. Depuis 1994, on a commencé à développer des projets de contre-insurrection pour diviser les communautés, démanteler les bases zapatistes et pour que les autres organisations n'aillent pas avec eux. »
À Salvador Allende, un peu avant le soulèvement, le Procampo (Programme de Soutien Direct à la Campagne) est arrivé. Le Secrétariat de Développement Social proposait des projets productifs. « Rien que des planches. Plus tard, ils ont offert l'eau potable et d'autres choses. La stratégie consistait à donner à une communauté et pas à une autre. Ou alors à sélectionner seulement quelques familles dans une même communauté pour les mettre face à face. Nous avions déjà décidé de ne pas accepter les projets qui divisent. Nous en étions là quand est arrivée la Sexta. Nous l'avons lue attentivement, nous l'avons étudiée sur le papier. Nous avons vu qu'elle portait l'idée de coordonner les organisations. Ce que nous voulions, c'est l'initiative de discuter ensemble. Nous avons senti que c'était le bon moment de nous unir. »
Les indigènes ont considéré que l'ARIC-I « s'était trompée de chemin, était seulement pleine de projets ». Pendant ce temps, « nous entendions que d'autres organisations avaient rejoint la Sexta. »
Quatre communautés de la région ont décidé de la rejoindre : Salvador Allende, Corozal, San Manuel, San Martin et une partie de Candelaria. « Nous avons été chercher quelques compas de l'EZLN pour qu'ils nous parlent de la Sexta. Ils se sont ouverts à nous et nous ont expliqué. Nous sommes rentrés dans nos villages et nous avons parlé. Nous avons vu que l'objectif de la Otra est le consensus des luttes pour un mouvement national et faire front au capitalisme. Nous avons senti que si nous intégrions ce mouvement, où allions-nous aller en tant qu'organisation, que communauté, comme familles ou comme personnes ? Nous recherchons le consensus mais ça ne s'arrête pas là. Ce n'est pas un recrutement, ce n'est pas un renforcement de notre propre organisation. Nous avons écouté les familles les unes après les autres. Si l'une d'entre elles dit non, nous la respectons, nous n'allons pas diviser. »
Dans la Otra, ajoute-t-il, « ils nous ont dit : « Porte le visage de ton organisation, de ton autonomie, de ta façon de lutter et de parler. » Et ça, ça nous a plu ; à d'autres moments, nous pensions que si nous voulions aller avec les zapatistes, nous devions laisser tomber l'organisation à laquelle nous appartenons. » Pour Sebastian, la Otra « est un mouvement d'organisations, d'expériences, de stratégies et de plans de lutte. C'est l'unité sans laisser ton organisation. Aujourd'hui, je suis de l'ARIC-I et de l'Autre Campagne. »
Il reconnaît que les « malentendus » ne manquent pas. Le gouvernement « offre, mais nous sommes au clair sur ce que nous pouvons recevoir et ce que nous ne pouvons pas. Nous sommes aussi en résistance. » Avec les programmes « est arrivée la maudite division. C'est ce que veut le gouvernement tandis que la Otra dit : « Je ne vais pas t'enlever ce qui est à toi. » ou « Maintenant que tu es à la Otra, je t'interdis d'accepter des choses. ». Ce qu'elle nous dit, c'est : « Si ton organisation accepte des choses du gouvernement, fais-le avec conscience, ne te laisse pas acheter. » »
Et il explique : « Actuellement, nous ne laissons pas entrer les projets du gouvernement. » Même si, reconnaît-il, « il y a d'autres organisations de l'ARIC-I qui acceptent et qui, à cause de cela, ont beaucoup de problèmes. » En ce qui concerne le processus d'adhésion, le représentant tzeltal dit : « Tout a été très joyeux. Dans la région, nous avions déjà insisté pour rechercher la coordination avec les zapatistes. Maintenant qu'est arrivée la Sexta, ce sont eux qui la recherchent. De cette manière, nous avons commencé à parler avec les frères et nous voyons que le moment est venu de nous rencontrer. »
Dans sa région, à Monte Azules, six communautés continuent d'être menacées, y compris Salvador Allende, qui est en processus de régularisation. Les autres sont San Gregorio, San Manuel, Samaritano, Corozal et San Antonio Miramar.
Des nouveaux gouvernements - fédéral et local - Sebastian n'attend rien. En son temps, nous avons eu confiance en Pablo Salazar et c'est tout le contraire qui est arrivé. Nous nous sommes même mobilisés pour son élection mais la seule chose qu'il a faite, ça a été d'attirer les dirigeants et le peuple est resté dans la même situation. Il a trahi le peuple qui avait confiance en lui. »
Le sentiment des communautés est « la colère suivie de l'incrédulité ». Ils sont « en colère contre le gouvernement qui est passé. » Salazar parlait des accords de San Andrés et de l'initiative de la loi, et, « avec ce masque, nous pensions qu'il allait faire quelque chose pour les peuples indigènes. Maintenant, nous savons qu'il a mis Juan Sabines et que les choses vont empirer. »
C'est seulement depuis 13 ans que nous avons trouvé cet espace de participation politique. La Otra n'offre ni charge ni promesse, c'est bien plus le travail de l'autonomie. Ce que nous ne cherchons pas, c'est à être plus grand que le peuple. Depuis très longtemps, nous nous sentons compañeros de l'EZLN. Ici, dans la forêt, les zapatistes ne sont pas un autre groupe ou d'autres familles ; nous sommes les mêmes. Ce sont mes cousins, mes oncles, mes parrains, les fils d'autres ou des petits-enfants. Nous ne pouvons pas être ennemis. »
Il ne nie pas non plus les conflits : « Il y a des régions où la politique gouvernementale a fracturé famille après famille. Pour grande que soit l'ARIC-I, si elle ne fait pas partie de la Otra, elle restera seule dans son coin et alors que va-t-il se passer avec le mouvement national ? Nous sommes les compañeros de ceux qui sont à la Otra dans tout le Mexique, comme à Atenco ou à Oaxaca. Nous voyons aussi que nous sommes menacés à Monte Azules, la tuerie à Viejo Velasco Suarez et il peut désormais se passer bien pire, et alors, où irons-nous ? Qui va parler pour nous ? Aujourd'hui, nous sommes fièrement de la Otra, nous faisons partie du mouvement et aussi nous nous sentons protégés par les bases zapatistes et les compañeros adhérents de tout le pays. »