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La revanche de la Guelaguetza

Elle a toujours été une fête populaire qui se fonde sur le don et la coopération communale


Par Hermann Bellinghausen
La Jornada

26 juillet 2007

La Guelaguetza est une invention relativement récente, ce qui n’a sans doute plus beaucoup d’importance aujourd’hui. On en connaît la date de naissance (1932), sur l’initiative d’un gouverneur (Francisco López Cortés) et parrainée par un président de la République mexicaine (Abelardo Rodríguez, président par intérim, en 1933), et elle possède un sérieux handicap (elle est issue d’une initiative raciste, celle de rendre « un hommage racial » aux Oaxaquègnes d’en bas) tout en s’inscrivant dans l’action humanitaire qui a suivi le tremblement de terre de 1931 ayant fait d’énormes ravages dans l’Oaxaca, à qui notre Union fédérale mexicaine était soucieuse de prêter une main secourable. La Guelaguetza urbaine, surgie suite à un séisme, fête donc ses soixante-seize ans, secouée par un nouveau séisme.

Ce qui n’est pas sans importance aujourd’hui, c’est qu’elle nous sert à faire remarquer, une fois de plus, à quel point ce pays est sans vergogne, qui autorise la permanence d’un gouvernement usurpateur, mafieux et violent comme l’est celui d’Ulises Ruiz Ortiz. La « dispute » pour la Guelaguetza est devenue révolte d’un symbole sur un terrain douloureusement réel et concret.

Puisant ses origines dans les traditions festives des vallées centrales de l’Oaxaca majoritairement zapotèques, puis expropriée par les missionnaires espagnols qui lui ont substitué le jour de la Vierge du Carmen, la Guelaguetza a toujours été une fête populaire qui se fonde sur le don et la coopération communale. Ce n’est pas par hasard qu’elle est issue d’une civilisation pratiquant le tequio (le travail collectif pour le bien commun).

La légende des amours tragiques de la princesse zapotèque Donají, fille du seigneur de Zaachila (région déjà christianisée à l’époque) et de Nucano, un guerrier ennemi mixtèque, avait été mise à profit par les missionnaires pour asseoir la domination des Zapotèques et des Mixtèques. Depuis lors, cette fête et ses danses sont syncrétiques (comme quasiment toutes les manifestations indigènes qui survivent de nos jours). Le fait est que la Guelaguetza représente le banquet par excellence du pouvoir politique et patronal de l’Oaxaca, qui s’abrite derrière l’hypocrisie typique du racisme métis : utiliser l’Indien pour encenser son maître. En ce début du XXIe siècle, la bourgeoisie locale conserve certains aspects du XVIIe siècle, dans le pire sens du terme. Sans oublier qu’aujourd’hui, pour participer aux festivités, on doit passer par Ticket Master et/ou American Express.

L’État postrévolutionnaire s’est servi de la Guelaguetza pour attirer les Mixes, les Zapotèques de l’Isthme, les Huaves, les Mazatèques des montagnes. Intégration. Identité. Contrôle ? Aujourd’hui, elle est censée être une cérémonie des seize peuples (et surtout pas « ethnies ») de l’Oaxaca. Non pas pour qu’ils se rassemblent. Non, uniquement pour qu’ils se montrent sous leur plus beau jour. Au fil des ans, la Guelaguetza est devenue une grande offre touristique pour les hôtels, les restaurants, les agences de voyage, les boutiques d’artisanat, les bijouteries et les services. Pour les peuples, le pourboire. Qu’ils dansent, s’adonnent à leur folklore et se tiennent tranquilles !

Au cours de son évolution, passant du festin au spectacle, elle a été transférée sur la colline du Fortin, où elle a été lentement assassinée, pierre après pierre. Sous le mandat de José Murat, elle était déjà totalement pervertie : les Indiens déposaient leurs offrandes aux pieds du « señor » (guajolotes [dindons] vivants, fruits, pain, fleurs) et les filles de leurs maîtres pouvaient s’afficher en dansant parmi les Indiens. Ulises Ruiz était bien loin de soupçonner ce que serait la Guelaguetza qui scellait son destin : une crise répressive (pour la deuxième année consécutive). Au rythme où vont les choses, ce sera sa tombe, politiquement parlant.

Nous assistons à une nouvelle transformation de la Guelaguetza, qui se perpétue par ailleurs telle quelle chez de nombreux peuples de l’altiplano de l’Oaxaca. L’APPO la voit comme une tradition à réhabiliter, au moment précis où l’on semblait oublier le sens profond du mouvement social dans cet État (et non pas seulement dans la capitale). Celui d’une lutte qui ne date pas d’hier et qui a déjà trouvé ses diverses manières de dire « basta ! » pour chaque peuple.

Avec le retour en scène de l’EPR et les très productives théories du complot censées expliquer le mécontentement dans l’Oaxaca par la « provocation » ou par le « complot de groupes extrémistes », la répression a perdu toute pudeur et toutes limites. Même le scandale à l’échelle internationale semble « gérable ». Et ne parlons pas des médias.

Les capitalistes d’Oaxaca sont désespérés. Le butin que leur rapporte le tourisme (en vampirisant les Indiens) risque de s’évaporer. « On veut nous ôter la Guelaguetza », brament-ils dans le dernier couplet de leur discours sur « l’identité oaxaquègne » menacée par le désordre qui vient assurément de la planète Mars et mérite « tout le poids de la loi » – et peu importe que ceux qui sont censés faire respecter la loi soient les instances les plus illégales de l’Oaxaca : l’exécutif, le parlement, les forces de police et les magistrats. (Qui d’autre aura d’ailleurs à répondre de la « correction » criminelle qu’a subie Emeterio Merino Cruz ?)

Il y a cependant une Guelaguetza populaire qui attire les foudres répressives des gestionnaires de la fête patronale (du mot patron), uniquement parce qu’elle réclame la place qui lui est due. Il se peut qu’Ulises Ruiz Ortiz soit le dernier « seigneur » de la Guelaguetza artificielle, lui qui ne peut se rendre au bal sans cordon de grenadiers et sans militariser toutes les routes, pour cette « fête » que l’on voyait déjà servir de défilé de mode aux gamines de riches, sur fond de figurants en chair et en os des communautés indigènes pomponnées et emplumées, des jeunes filles déguisées à leur tour en Indiennes pour parader devant des gouverneurs qui ont plutôt l’air de capos dans leurs propriétés fortifiées.

Qui aura pu prévoir que cette célébration-spectacle se transformerait en un puissant moment de revendication populaire ? Chargés de symbolisme et mythifiable à souhait, les Lundis de la colline du Fortín ne seront plus jamais les mêmes. Voilà que la Guelaguetza mord là où on s’y attendait le moins et dénude le pouvoir qui croyait qu’elle lui appartenait à jamais.

Hermann Bellinghausen
La Jornada, 23 juillet 2007.

Traduit par Ángel Caído (CSPCL)

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